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Japon

62 ans après sa défaite, Tokyo regrette mais ne s’excuse pas

par Stefanie Schüler

Article publié le 15/08/2007 Dernière mise à jour le 15/08/2007 à 16:58 TU

Le Premier ministre japonais Shinzo Abe au sanctuaire shintoïste du Yasukuni.(Photo : Reuters)

Le Premier ministre japonais Shinzo Abe au sanctuaire shintoïste du Yasukuni.
(Photo : Reuters)

Le 15 août 1945 constitue une date clé dans l’histoire japonaise et celle de ses voisins : ce jour-là, le Japon impérial capitula, alors que la Chine fêtait sa victoire et la Corée sa libération de la domination coloniale. Mais soixante-deux ans plus tard, les atrocités commises par l’armée japonaise lors de l’expansionnisme nippon au début du XX siècle restent un sujet très sensible aux yeux de Pékin et de Séoul. Et les commémorations, organisées chaque année au Japon à l’occasion de la date d’anniversaire de sa défaite, retournent le couteau dans la plaie - toujours pas cicatrisée - de ses voisins.

« En tant que représentant du peuple japonais, je présente, avec un profond regret, mes condoléances aux peuples victimes ». C’est par ces mots, empruntés à ses prédécesseurs, que Shinzo Abe a présenté à nouveau ses condoléances aux victimes de l’expansionisme militaire du Japon au début du XX siècle. Une phrase presque usuelle donc, exprimée lors d’une cérémonie en présence de l'empereur Akihito, qui commémore chaque année la fin de la Seconde Guerre mondiale, le 15 août 1945, suite à la capitulation japonaise.

Ce mercredi, le Premier ministre japonais avait beau reconnaître les « immenses dommages et souffrances » que sa nation a « infligés à de nombreux pays, spécialement aux nations asiatique », cela n’a pas suffi à calmer les esprits en Chine et dans la péninsule coréenne. En effet, dans ces ex-pays colonisés, les rancœurs et ressentiments à l’égard de Tokyo ne se sont guère atténués  au cours de ces 62 dernières années. On reproche – toujours avec la même vigueur - aux dirigeants japonais de manquer de sincérité et d’esprit de repentance.

Il est vrai que jusqu’à présent, le Japon n’a jamais consenti à présenter des excuses officielles aux victimes de sa politique colonialiste sanglante. C’est pourtant exactement ce qu’exigent Pékin et Séoul. Plusieurs manifestations ont d’ailleurs eu lieu, ce mercredi, devant les consulats nippons dans la capitale sud-coréenne, ainsi qu’à Hong Kong et Taipei.

Toutefois, le Premier ministre japonais a surpris ce mercredi non seulement les Chinois et les Coréens, mais également ses compatriotes, en ne se rendant pas au sanctuaire shintoïste du Yasukuni.

Yasukuni – sanctuaire de toutes les tensions

Le sanctuaire du Yasukuni à Tokyo honore la mémoire de 2,5 millions de Japonais tombés au champ d’honneur. Il est de ce fait considéré comme l’un des hauts lieux spirituels du nationalisme nippon. Depuis 1978, on y honore également 14 criminels de guerre, qui avaient été condamnés à mort par le tribunal militaire international pour l’Extrême-Orient après 1945. A la date anniversaire de la défaite japonaise, le sanctuaire devient tous les ans un véritable lieu de pèlerinage pour des milliers d’anciens combattants et des militants d’extrême droite. Le dernier Premier ministre japonais, Junichiro Koizumi (2001-2006), a effectué tout au long de son mandat des visites au Yasukuni. Ce geste a fait éclater une crise diplomatique importante entre le Japon d’une part, et la Chine et la Corée du Sud, d’autre part.

Diplomatie de rapprochement ou calcul politique national ?

Le Premier ministre Shinzo Abe est arrivé au pouvoir en septembre 2006. Dès sa prise de fonctions, ce nationaliste pur et dur partait en visite officielle à Pékin et à Séoul. Un geste, signalant la volonté du nouveau chef du gouvernement japonais de s’engager dans une politique de rapprochement avec ses voisins. C’est du moins ce que concluèrent de nombreux observateurs et analystes. Mais la phase de relations apaisées entre le Japon d’un côté et la Chine et la Corée du Sud de l’autre fut de courte durée. Au printemps, Shinzo Abe déclenche un tollé en Asie, en affirmant qu’il n’existait « aucun témoignage fiable » prouvant que l’armée impériale nippone avait eu recours à la « coercition » pour recruter des femmes comme chair à soldats dans les pays occupés. C’était au printemps dernier. Depuis, le contexte politique - et avec lui la situation de ce Premier ministre provocateur - ont bien changé.

En effet, le gouvernement de Shinzo Abe est frappé par une série de scandales : un de ses ministres s'est suicidé, trois autres sont limogés, tous accusés d’irrégularités financièrest. Les élections sénatoriales, qui ont lieu le 29 juillet, signent une cuisante défaite pour le Parti libéral-démocrate (PLD) d’Abe. La cote de popularité du chef de gouvernement chute à des niveaux inquiétants pour atteindre actuellement environ 25%.

En pleine crise, Shinzo Abe fait profil bas

Confronté à une telle crise politique, Shinzo Abe a visiblement voulu éviter toute nouvelle polémique publique, et tout risque de crise diplomatique avec la Chine et la Corée du Sud. Il s’est donc abstenu de visiter, en ce jour de commémoration nationale, le sanctuaire du Yasukuni.    

Cette décision du Premier ministre n’a pas empêché d’autres personnalités politiques de se rendre dans ce lieu hautement sensible. Quarante-six députés japonais se sont recueillis à l’intérieur du sanctuaire, y compris un des ministres du gouvernement Abe.

Le tout premier à se rendre, ce mercredi, au Yasukuni, a été l’ancien Premier ministre Junichiro Koizumi. Jouissant toujours d’une immense popularité parmi ses compatriotes, il a été vu en train de prier dans le sanctuaire aux premières heures du matin.