par Monique Mas
Article publié le 15/08/2007 Dernière mise à jour le 15/08/2007 à 19:08 TU
Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah (à g.), et Nabih Berri (à d.), le président du Parlement et chef du Amal
(Photos : AFP)
Dans un discours célébrant le 14 août sa «victoire divine» dans la guerre qui a opposé le mouvement islamiste chiite à Israël en 2006, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s’est déclaré favorable à la recherche d’un «compromis interne» pour résoudre le conflit politique qui paralyse le gouvernement un an après le cessez-le-feu et à quelque mois d’une échéance présidentielle cruciale. Fustigeant des ingérences occidentales sur l’échiquier politique libanais, le chef du Hezbollah donne son «appui» à l’initiative du président du Parlement, le chef du parti chiite Amal, Nabih Berri, en quête d’une personnalité qui puisse faire consensus dans l’assemblée hétéroclite chargée d’élire un président de la République chrétien maronite comme l’impose la Constitution.
«Aujourd'hui, des efforts pour aboutir à une solution sont de nouveau engagés par le président du Parlement, Nabih Berri. Nous soutenons ces efforts et toutes les initiatives pouvant mener à une solution», a lancé mardi soir Hassan Nasrallah. Le chef du Hezbollah accuse les Etats-Unis d’intervenir «jour et nuit pour empêcher une solution et la formation d'un gouvernement d'union», une perspective de plus en plus hypothétique depuis la démission en novembre 2006 des ministres de l’opposition. Celle-ci ne reconnaît plus la légitimité du Premier ministre Fouad Siniora, chef de file du front anti-syrien qui a obtenu la création d’un tribunal international chargé de juger les assassins de l’ancien Premier ministre Rafic Hariri et le déploiement de casques bleus au Liban sud.
Nasrallah plaide pour une solution entre Libanais
«Au Liban, il y a un courant qui veut l'entente nationale et un règlement de la crise, et un autre qui veut la confrontation pour éliminer l'autre partie. Ce dernier compte sur le soutien américain et estime qu'un règlement national est une trahison», assène Hassan Nasrallah, affichant un nationalisme qui lui est d’ailleurs reconnu bien au-delà du cercle islamiste chiite. Cela n’empêche pas ses adversaires de le traiter de suppôt de la Syrie et de l’Iran, ajoutant que si eux-mêmes étaient manipulés de l’extérieur autant qu’il le dit, ils n’auraient pas élu le chef du Amal, Nabih Berri, à la présidence du Parlement. Le système libanais repose en effet sur un partage confessionnel du pouvoir. La Constitution impose que le Parlement soit présidé par un musulman chiite et le charge d’élire un président de la République chrétien maronite tandis que le chef du gouvernement doit être choisi parmi les musulmans sunnites.
L’échafaudage politico-confessionnel du Liban a été grandement mis à mal par le départ il y a neuf mois des cinq ministres chiites du Hezbollah du gouvernement de Fouad Siniora. Comme le souligne le directeur du Centre d'études stratégiques pour le Moyen-Orient, Mustapha Adib, cette absence d’une composante de premier plan est d’autant plus importante que la guerre avec Israël a renforcé la stature politique du Hezbollah: «Il est sorti grand vainqueur stratégique dans la mesure où une résistance qui ne perd pas gagne». Mais si la guerre de 2006 a conforté le Hezbollah, l’assassinat de Rafic Hariri, en février 2005, avait vu se cristalliser une configuration politique plus tranchée que jamais.
Nabih Berri veut résoudre l'équation présidentielle
La tension bipolaire qui prévaut désormais à Beyrouth est marquée par le regroupement des «anti-syriens» d’un côté (sunnites du Courant du futur du fils Hariri, druzes de Walid Joumblatt ou phalangistes chrétiens de Pierre Gemayel notamment), avec, dans le camp adverse, le Hezbollah renforcé par le parti chiite Amal de Nabih Berri et le Courant patriotique libre du général chrétien Michel Aoun. Et sur cet échiquier recomposé, la milice islamiste de Hassan Nasrallah pèse d’autant plus qu’elle conserve son arsenal militaire alors qu’avant-guerre le dialogue national déjà initié par Nabih Berri conduisait à son désarmement. Aujourd’hui, c’est l’équation présidentielle que le président du Parlement veut tenter de résoudre. Il y a urgence.
Arguant du fait que laisser vide le fauteuil présidentiel ferait encourir un risque mortel au Liban, le président et ancien général Emile Lahoud menace de confier les rênes à un comité militaire. Lui-même doit ses fonctions à Damas. Dans l’immédiat, «le débat sur le quorum nécessaire à l’élection du président cristallise toutes les tensions», note Mustapha Adib, mais ce qu’il faut, dit-il, c’est un président qui soit élu par le plus grand nombre possible de députés afin qu’il puisse se prévaloir de la représentativité la plus large. A défaut, les protagonistes de la crise libanaise devront se rabattre sur une personnalité sans relief particulier.
«Il faut un président élu par le plus grand nombre de députés sinon ce sera un président faible. Il faut une solution consensuelle.»
Pour sa part, le général Michel Aoun s’agace de voir sa candidature rejetée par le gouvernement Siniora. A l’unisson avec le chiite Nasrallah, le chrétien maronite Aoun reproche leur «manque de civisme» à ceux qui «noient la victoire [contre Israël] dans des surenchères politiques». Pour le candidat Aoun à la magistrature suprême, l’entente entre le Courant patriotique libre et le Hezbollah porte sur «un mécanisme pour l’application de la résolution 1559 et le désarmement de la Résistance». Cette «entente» permettrait, selon lui, de trouver une «formule adéquate pour l’avenir du Liban, de manière à passer de l’appartenance confessionnelle à l’appartenance nationale». Le pays du Cèdre ne paraît pas en être vraiment là et derrière les «noms qui peuvent être acceptés des deux côtés», c’est tout un jeu d’équilibre que Nabih Berri se doit de concocter dans un pays où les bruits de bottes ne cessent guère.
Fort des succès défensifs du Hezbollah, Nasrallah promet mille morts à Israël au cas où l’Etat hébreu envisagerait de lui chercher à nouveau noise au Liban. Mais de l’avis des observateurs, c’est un tout autre danger dont témoigne le foyer islamiste des combattants du Fatah al-Islam incrustés depuis bientôt trois mois dans le camp palestinien de Nahr al-Bared, au nord du pays. Selon le commandant en chef de l'armée libanaise, le général Michel Sleimane, les islamistes du Fatah al-Islam ne sont plus que 70, terrés dans des abris souterrains pilonnés depuis la semaine dernière. «Ces bombardements sont très efficaces. Plusieurs abris ont été en partie détruits mais les soldats doivent déblayer les décombres et nettoyer les explosifs avant de pouvoir y pénétrer», affirme à l’Agence France Presse l’un de ses porte-paroles.
Haute voltige politico-militaire
«Nettoyer» militairement un camp palestinien est de fait une mission plus que délicate au Liban où les accords de 1969 avec l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) interdisent de telles interventions de l’armée libanaise. De la haute voltige politique qui a vu Hassan Nasrallah encourager l’armée nationale au nom de l’intérêt supérieur de la Nation libanaise. Résidant à Tripoli, non loin du théâtre des opérations, Mustapha Abid note que les insurgés ont opéré à partir d’un camp retranché où a résidé Yasser Arafat dans les années 80. D’après lui, la frontière syrienne n’a pas de secret pour eux ce qui suggère «au moins une passivité bienveillante de la Syrie». Le chercheur souligne surtout leurs accointances salafistes dans la région. D’autres pointent au Liban même des velléités sunnites de peser face au Hezbollah.
Pour le général Sleimane, le Fatah al-Islam «est une organisation bien entraînée, disposant d'armes sophistiquées, y compris des armes lourdes, rompue au maniement des explosifs» et liée à al-Qaïda «qui planifiait des opérations au Liban et à l'étranger à partir des camps de réfugiés palestiniens». En revanche, d’après lui, le Fatah al-Islam «ne dépend pas des services de renseignement syriens», comme l'en accuse le gouvernement Siniora.