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Afrique du Sud

Dix ans de prison pour un ancien ministre de l'apartheid

Article publié le 17/08/2007 Dernière mise à jour le 17/08/2007 à 11:09 TU

L'ancien ministre de la Loi et de l'Ordre, Adriaan Vlok, lors de son audition en 1997.(Photo : AFP)

L'ancien ministre de la Loi et de l'Ordre, Adriaan Vlok, lors de son audition en 1997.
(Photo : AFP)

Adriaan Vlok, ministre de la Loi et de l'Ordre dans les années 1980, a été condamné à dix ans de prison avec sursis, par un tribunal de Pretoria. Il était poursuivi, avec quatre hauts responsables de la police de l'époque, pour une tentative de meurtre commise en 1989 contre un opposant au régime de l'apartheid. Le procès a mis en lumière la responsabilité des leaders politiques du régime d’apartheid dans les crimes du passé.

Avec notre correspondante à Johannesburg, Valérie Hirsch

Qui pourrait croire que cet aimable grand-père de 70 ans, jugé vendredi à Pretoria, fut le très redouté dernier ministre « de la Loi et l’Ordre » du régime d’apartheid ? C’est la première fois qu’un ancien ministre aura rendu compte de sa responsabilité dans les atrocités du passé. Vlok est accusé d’avoir commandité la tentative de meurtre en 1989 contre Frank Chikane, l’actuel directeur du cabinet du président Thabo Mbeki. Quatre autres personnes comparaissaient avec lui : l’ancien chef de la police Johann van der Merwe qui a été condamné à dix ans de prison avec sursis et trois membres de l’unité spéciale de la police, qui aurait été chargée d’éliminer des leaders du combat contre le régime minoritaire blanc. Ces derniers ont été condamnés à cinq ans de prison avec sursis. Président du Conseil sud-africain des Eglises, Chikane était l’une de leurs victimes ; il assistait, ce vendredi, au procès de ceux qui avaient voulu le tuer. Alors qu’il se trouvait à l’aéroport de Johannesburg, en partance pour la Namibie, un policier a ouvert sa valise et parsemé ses sous-vêtements de paraoxon, un poison mortel. Le révérend a été sauvé par des médecins aux Etats-Unis, où il avait été transporté dans un état grave.

Il y a un an, l’ancien ministre Vlok, à la tête de la police pendant les pires années de la répression, entre 1987 et 1991, avait surpris les Sud-Africains en allant demander pardon à Chikane : tel le Christ, cet homme devenu très croyant avait lavé les pieds de son ancienne victime, lors d’une rencontre privée à Pretoria. Il s’était ensuite rendu dans une township de Mamelodi pour laver les pieds de dix femmes, pour la plupart les mères de jeunes, tués par ses hommes de main. « J’ai voulu montrer que j’ai abandonné mon sentiment de supériorité et mon égoïsme, qui sont à la racine du péché de l’apartheid », avait confié Vlok. Un acte de contrition jugé sincère par Mbeki et Chikane, lui-même, là où d’autres avaient réagi en parlant de comédie.

L’acte n’était, en tous cas, pas complètement désintéressé, car déjà à l’époque, le procureur enquêtait sur l’implication de la police dans la tentative de meurtre contre Chikane. La justice a en effet décidé de poursuivre certains des auteurs de crimes politiques qui n’ont pas demandé ou obtenu l’amnistie auprès de la commission vérité et réconciliation. Cette commission, présidée par le Prix Nobel de la paix, Desmond Tutu, a amnistié 1 200 personnes entre 1996 et 2004, date de la clôture de ses travaux. A l’époque, elle avait recommandé d’ouvrir des enquêtes sur pas moins de 800 dossiers. Le procès de Vlok est le premier à aboutir.

Selon la presse sud-africaine, Vlok et Van der Merwe auraient négocié une peine de dix ans de prison avec sursis, en échange d’une admission de culpabilité et de leur collaboration dans d’autres affaires. « Nous sommes prêts à considérer l’option d’une peine allégée », a confirmé le porte-parole du procureur. Selon The Sunday Independent, qui cite des extraits de l’acte d’accusation, les deux hommes ont décidé en 1987, avec d’autres hauts responsables des forces de sécurité, de tuer des leaders en vue de la lutte anti-apartheid. Vlok a-t-il impliqué plusieurs ministres, et même l’ancien président Frederik De Klerk, comme l’affirment certains journaux ? Un porte-parole de l’ancien président a répondu qu’il était « exaspéré » de devoir continuellement réfuter « les mêmes vieilles accusations visant à impliquer M. De Klerk ». Ce dernier a toujours soutenu n’avoir pas été au courant des meurtres et des tortures. Selon lui, ils étaient le fait de « mauvais éléments » de la police, comme le colonel Eugène de Kok, le seul à avoir été condamné, en 1996, à la prison à vie. Mais depuis sa cellule, De Kok dénonce depuis des années la lâcheté des hauts responsables, qui ont abandonné leurs exécutants.

Une autre personnalité, plus sinistre, avait tout à craindre de ce procès : Wouter Basson, l’ancien chef du programme secret d’armes chimiques et biologiques. Inculpé de meurtre, trafic de drogues et fraudes,  le « docteur de la mort » avait été acquitté en 2002 par un vieux juge blanc. Mais l’enquête aurait prouvé que le poison utilisé contre Chikane venait bien de ses laboratoires. Il a été condamné à cinq ans de prison avec sursis.

Plusieurs anciens policiers et responsables du régime d’apartheid – craignant sans doute les retombées de ce procès – ont déjà contacté la justice pour apporter de nouvelles révélations. « Vlok a ouvert les portes, conclut Chikane. Il est temps que les Sud-Africains confrontent leur passé ». Quitte à affronter certains démons.