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Irak / France / Syrie

Chassé-croisé diplomatique

par Monique Mas

Article publié le 20/08/2007 Dernière mise à jour le 20/08/2007 à 17:59 TU

Après Téhéran début août, où le président Ahmadinejad s’annonce à Bagdad à une date encore non précisée, le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki est à Damas où le président al-Assad attend qu’il se détache de Washington. Avant de partir, Nouri al-Maliki a croisé à Bagdad le chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, venu marquer le retour de Paris sur la scène irakienne et prêcher une plus grande implication de l’Onu. Le tempo diplomatique s’accélère à l’approche de septembre qui devrait voir la Maison Blanche rendre un nouvel arbitrage sur la présence militaire américaine en Irak. Et cela alors que le carnage qui a meurtri les Kurdes yézidis la semaine dernière ou encore l’assassinat, ce lundi matin, d’un gouverneur chiite témoignent de la persistance de la violence et de l’insécurité, le boycott sunnite et la contestation chiite achevant de saborder le gouvernement Maliki.
La rencontre du Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, avec Bernard Kouchner à Bagdad.(Photo : Reuters)
La rencontre du Premier ministre irakien, Nouri al-Maliki, avec Bernard Kouchner à Bagdad.
(Photo : Reuters)

Les Etats-Unis voient dans la visite à Bagdad du chef de la diplomatie française, Bernard Kouchner, «exemple de plus de la volonté croissante de la communauté internationale d'aider l'Irak à devenir un Etat stable et sûr».

C’est le porte-parole de la Maison Blanche pour les questions de sécurité nationale, Gordon Johndroe qui l’a dit dimanche en rapprochant cette initiative française d’autres signaux encourageants à ses yeux tels que «le renforcement du mandat de la Mission de l'Onu en Irak, les récentes conférences avec les voisins de l'Irak et la décision de l'Arabie saoudite d'ouvrir une ambassade à Bagdad et d'annuler la dette de l'époque de Saddam Hussein».

Pour sa part, le quotidien américain New York Times croit savoir que l’administration Bush pourrait saisir l’occasion de la publication du rapport du général David Petraeus attendu sur la situation en Irak, le 15 septembre, pour se réclamer de «progrès» sécuritaires et se prononcer en faveur d’un début de retrait militaire progressif, après avoir au contraire préconisé en janvier le renforcement d’une présence militaire de plus en plus contestée par son opposition démocrate.

Bernard Kouchner : «les forces étrangères n'ont pas vocation à rester»

Quoi qu’il en soit de la décision finale de la Maison Blanche qui se doit quand même de sauver la face, pour ses filleuls de Bagdad, il est urgent de s’aménager de nouvelles planches de survie régionales et internationales à défaut de pouvoir compter sur une architecture politique intérieure qui prend l’eau de toutes parts.

C’est dans ce contexte que Bernard Kouchner a entamé dimanche une visite officielle à Bagdad, la première d'un responsable français de ce rang depuis l'intervention militaire américaine de mars 2003. Pour sa part, Bernard Kouchner n’a jamais épousé les thèses hostiles à la deuxième guerre en Irak défendues par son prédécesseur Dominique de Villepin, missi dominici de l’ancien président Chirac. Le ministre français assure que l’initiative lui en revient et qu’elle répond à une invitation lancée à Paris début 2006 par le président irakien, le Kurde Jalal Talabani, un ami de longue date de l’inventeur du «devoir d’ingérence».

Selon le ministère français des Affaire étrangères, Bernard Kouchner est arrivé «à Bagdad le 19 août 2007, date du quatrième anniversaire de l'attentat qui a coûté la vie à Sergio Vieira de Mello, représentant spécial du secrétaire général des Nations unies, et à une vingtaine de fonctionnaires des Nations unies». Estimant que «les forces étrangères stationnées en Irak n'ont pas vocation à rester et qu’un horizon de retrait devra être défini par les Irakiens eux-mêmes», le ministre préconise un rôle accru pour les Nations unies.

S’il réaffirme «la nécessité pour les Irakiens de recouvrer leur souveraineté et de maintenir l'intégrité territoriale de leur pays», Bernard Kouchner n’en a pas pour autant de panacée à leur proposer. Il appartient aux Irakiens, dit-il, de «forger une solution pour sortir de la situation actuelle».

Paris souhaite une implication onusienne plus forte

Bernard Kouchner est venu en Irak pour «écouter les représentants de l'ensemble des communautés sans exclusive et essayer de comprendre ce qui pour certains paraît une direction positive et qui, vu de l'extérieur, nous semble une situation horrible», a-t-il indiqué au sortir de ses entretiens avec le président Talabani. Ce faisant, il signifie que la brouille franco-américaine sur l’opportunité d’une action militaire en Irak cède le pas, sinon à un relais diplomatique, du moins à une forme de complémentarité. Celle-ci voit Bernard Kouchner assurer que le successeur de Jacques Chirac, «le président Sarkozy est un ami du peuple irakien» et préconiser un «chemin qui passe par les Nations unies pour lutter contre la violence et rétablir la paix et la démocratie». «Nous insisterons dans ce sens», ajoute-t-il en précisant : «Ce que je pense et ce que M. Sarkozy pense c'est qu'il n'y a pas de solution militaire, et c'est une position constante de notre pays». L’honneur est sauf. Au plan intérieur, bien évidemment, Bernard Kouchner estime incontournable une entente entre chiites, sunnites, kurdes et autres communautés pour parvenir à «l'équilibre et voir la naissance de la démocratie dans cette région tellement importante».

Dimanche soir, le Premier ministre Nouri al-Maliki avait exprimé à Bernard Kouchner toute son attente vis-à-vis de la France, forte selon lui de «ses contacts dans la région et de sa stature internationale», un communiqué de ses services exhortant par ailleurs «les entreprises françaises à participer à la reconstruction du pays».

Oscillant pour sa part entre Washington et Téhéran, le Premier ministre chiite traverse pour sa part une très mauvaise passe. Le gouvernement est une coquille vide depuis la démission le 1er août dernier des ministres du Front de la concorde nationale, le principal bloc sunnite du Parlement.

Et aux querelles entre chiites et sunnites s’ajoute la fracture chiite qui dresse contre Nouri al-Maliki l’influent et irréductible imam Moktada al-Sadr, le chef de «l'armée du Mahdi». C’est dans cette rivalité que paraît d’ailleurs s’inscrire l’attentat à la bombe qui a tué lundi Mohammed Ali al-Hassani, le gouverneur chiite de la province la plus méridionale d'Irak, Mouthanna, au Sud de l'Irak. C’est la deuxième fois en dix jours qu’un administrateur provincial, c’est-à-dire un représentant local de Bagdad, est assassiné.

Nouri al-Maliki de Téhéran à Damas

Les deux gouverneurs assassinés appartenaient à une formation chiite concurrente de celle de l’imam al-Sadr. Ces attentats interviennent dans des provinces où en juillet 2006, les troupes étrangères avaient passé la main aux forces de sécurité irakiennes.

Plus que des camouflets, ils constituent une menace pour al-Maliki au moment où les forces britanniques s’apprêtent à rendre au gouvernement irakien son autorité sécuritaire dans la région de Bassorah. Pour sa part, Washington accuse Téhéran de soutenir la milice d’al-Sadr et Damas de laisser le flux des «jihadistes» anti-américains franchir sa frontière avec l’Irak.

C’est dans ce contexte que Nouri al-Maliki est arrivé lundi à Damas, pour une visite officielle de trois jours qui sera une première pour lui, qui succède dans la capitale syrienne au président Talabani. Ce dernier avait passé une semaine en Syrie en janvier dernier, renouant des liens rompus depuis plus de 25 ans pour cause de compétition baasiste entre Hafez el-Assad et Saddam Hussein.

Nouri al-Maliki arrive à Damas avec un projet de réouverture de l'oléoduc qui relie les deux pays. Et les quelque 1,5 à 2 millions de réfugiés irakiens en Syrie pourront servir d’argument humanitaire à cette visite à laquelle le vice-président syrien Farouk Chareh a voulu donner une couleur stratégique en déclarant que si «Nouri al-Maliki exprime avec sincérité une position irakienne qui mène à une réconciliation globale et établit un calendrier pour le départ des forces américaines d'Irak, il trouvera une Syrie très proche qui coopérera avec l'Irak dans tous les domaines».

C’est aussi ce qu’avait suggéré au Premier ministre irakien le Guide suprême iranien, Ali Khamenei, selon qui le règlement des problèmes serait facilité par «le départ des occupants» d’Irak. Cette perspective échappe bien sûr complètement à la volonté de Nouri al-Maliki.

En cas de reconfiguration du jeu international en Irak, ses adversaires ne donnent en tout cas pas cher de la survie politique du Premier ministre chiite porté à bout de bras par les Américains. Dans l’immédiat, face aux turbulences sunnites et même chiites qui le menacent, Nouri al-Maliki ne serait pas mécontent de pouvoir compter sur les régimes voisins chiite et alaouite (une branche du chiisme) d’Iran et de Syrie.

De son côté, Paris souhaite visiblement revenir dans le jeu irakien. Kouchner tâte le terrain. Les Irakiens aussi, à leur manière. Dans la période d’incertitude américaine actuelle, certains Irakiens parmi les plus radicaux, l’imam al-Sadr par exemple, appellent aussi de leurs vœux une présence onusienne renforcée, pour peu, dit-il, qu’elle ne soit pas seulement le faux-nez de Washington.