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Entretien

V. Fédorovski : «Poutine, c’est Staline avec Internet»

Article publié le 23/08/2007 Dernière mise à jour le 23/08/2007 à 15:07 TU

Ancien porte-parole du mouvement des réformes sous Gorbatchev, diplomate devenu romancier, Vladimir Fédorovski vit désormais à Paris. Il publie Le fantôme de Staline aux Editions Du Rocher. Entretien réalisé par François Bernard.

DR Editions du Rocher
DR Editions du Rocher

RFI : Les autorités russes ont déployé hier le plus grand drapeau au monde (400 m2) en célébrant « l’autorité retrouvée de la Russie sur la scène mondiale ». C’est un peu anecdotique, mais cela vient amplifier le sentiment d’un regain de nationalisme en Russie. Est-ce un sentiment justifié selon vous ?

Vladimir Fédorovski : Complètement. On réhabilite le passé soviétique. L’hymne de la Russie par exemple est l’hymne de l’URSS. C’est le retour des Soviets, parce que la Russie cherche la grandeur, mais c’est aussi le retour de Staline. Avec ce seul bémol que Staline, grand assassin devant l’éternel, est un personnage shakespearien. Tandis que Poutine est un personnage qui ressemble plutôt à James Bond. Il dirige la Russie comme l’organisation du « Spectre », dans les films de James Bond. Et comme ça finalement, il dirige tout : les diamants, le pétrole, le gaz. C’est assez intéressant à observer, je ne suis pas certain que ce soit intéressant à vivre.

RFI : Est-ce l’économie renaissante du pays qui nourrit ce rêve russe de retrouver son rang de très grande puissance ?

VF : Incontestablement. Poutine dit : « Nous avons comme seuls alliés : le gaz et le pétrole ». Peut-être qu’il exagère, parce que dans les pays modernes, il faut avoir d’autres alliés. On disait « Staline est un Gengis Khan avec le télégraphe». Poutine ressemble un peu à Staline mais c’est un petit fils de Staline, avec l’Internet.

RFI : Se tient actuellement près de Moscou le salon aéronautique Maks qui est une espèce de vitrine de l’industrie du pays. Vladimir Poutine, à cette occasion, a rappelé son ambition de développer davantage l’aviation militaire. Est-ce que la Russie a la nostalgie de la grandeur militaire du passé ?

VF : Non, pas particulièrement. Les Russes sont nostalgiques, d’ailleurs avec raison, de la grande histoire du pays, de toutes ces choses-là. Mais ils veulent développer l’industrie militaire car c’est un des axes tout à fait majeurs de développement économique. La croissance est tout à fait significative, environ 7 %, et ils investissent beaucoup sur le plan militaire. J’aurais préféré qu’ils investissent plus sur le plan civil.

RFI : Pour vous on ne s’achemine pas vers une situation de tension Ouest-Est similaire à ce qu’on a connu durant la guerre froide ?

VF : Non certainement pas. Ce n’est pas le retour de la guerre froide, mais c’est une certaine tension, une configuration assez originale. Les personnages sont assez pittoresques. Hélas, sur leur route, il y a quelques cadavres comme cet ex-espion empoisonné où une journaliste indépendante assassinée. Dans ce contexte, on oublie hélas l’histoire tragique de la Russie. Je voudrais profiter de cette occasion pour rappeler que ces jours-ci, c’est l’anniversaire des 70 ans des grandes purges, de la grande terreur stalinienne et ce chiffre de 25 millions de morts. Il faut rappeler cela, ce que je fais avec mes livres modestement, quand je le peux.

« 80 % des Russes pensent que Poutine est bien »

RFI : Vous publiez d’ailleurs le 6 septembre Le fantôme de Staline aux Editions Du Rocher. Vous affirmez dans ce livre que Monsieur Poutine s’inscrit dans une parfaite filiation de Staline ; même si vous le disiez plutôt James Bond. C’est une caricature ou c’est un avertissement ?

VF : C’est une réalité. Ce livre n’est pas un livre à charge. Il est plutôt dans la filiation de mes livres précédents comme Le roman de Saint-Pétersbourg. Je raconte Poutine, que j’ai connu personnellement, et c’est un personnage assez original. Vous savez comment il agit ? Il vous copie, il utilise la même technique qu’un espion (il était espion et je raconte son passé d’espion). Pour vous plaire, il copie vos gestes, même avec les chefs d’Etat. Mais encore une fois, Poutine, c’est plutôt James Bond ; Staline c’était un personnage de Shakespeare et un grand assassin.

RFI : C’est un homme qui reste extrêmement populaire dans son pays ?

VF : Enormément. Mais 80% des Russes pensent que Poutine est bien. Je pense qu’il y a là une vraie filiation : Staline et Poutine sont des manipulateurs, ils s’adressent au subconscient du pays. Dans la réalité, ils utilisent les personnages historiques de la Russie pour s’imposer et plaire à la population. Personnage pittoresque et multi-facettes…

RFI : Revenons sur la Russie contemporaine, sur Moscou. Quand on se ballade dans la capitale, on a le sentiment que la société de consommation s’est imposée, que le modèle occidental est devenu une référence. Est-ce que l’occident est toujours néanmoins considéré comme rival, voire ennemi ?

VF : C’est une situation paradoxale et encore une fois très intéressante. D’une part, les Russes sont complètement occidentalisés. Il y a beaucoup plus de Rolls Royce à Moscou qu’à Paris. Mis en même temps, il y a ce sentiment fort de nationalisme, cette fierté paradoxale et le retour presque esthétique de la période stalinienne. Et ça c’est un paradoxe russe. Cela ne m’inquiète pas particulièrement tant que le pétrole est très haut. Mais si les ressources ne sont plus là, cela peut donner les ingrédients d’un nationalisme exacerbé et cela peut devenir dangereux.

« Un système clanique et oligarchique »

RFI : Si Poutine joue un rôle central dans ce nationalisme dont on parle, quel intérêt y voit-il pour le pays ou pour lui-même et son entourage ?

VF : Vous savez, c’est un clan qui a pris le pouvoir en Russie. C’est un système clanique et oligarchique. En réalité, ce sont les services secrets qui sont au pouvoir. Ils sont 20 à partager le gâteau, et je pense qu’ils confondent quelque peu les intérêts supérieurs de la Russie et leurs propres intérêts. Finalement, ils dirigent tout, du pétrole jusqu’aux armes nucléaires et c’est pour ça que je dis que le fantôme de Staline plane encore sur la Russie.

RFI : Est-ce qu’à l’intérieur du pays, la résurgence de groupuscules d’extrémistes est un sujet d’inquiétude ?

VF : Pas particulièrement, non. Les Russes ont connu une période très difficile, il ne faut pas l’oublier, la période post communiste, où il y avait une corruption omniprésente. Et aujourd’hui cette réaction nationaliste prime par rapport à toutes les autres. Mais si les éléments fascisants existent bel et bien, ils sont minoritaires.

RFI : Est-ce que le nationalisme russe est compatible avec l’ouverture sur le monde ? Est-ce que le repli sur soi de la Russie est imaginable dans le monde d’aujourd’hui ?

VF : Non, et je mise sur les classes moyennes pour faire évoluer cela. Mais on aurait pu éviter ce côté pittoresque de la période Poutine. Je le répète, c’est assez intéressant à décrire mais je ne suis pas certain que cela soit dans l’intérêt de la Russie.