Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Liban

Le Hezbollah sur la sellette humanitaire

par Monique Mas

Article publié le 30/08/2007 Dernière mise à jour le 30/08/2007 à 16:56 TU

Interdite de conférence de presse prévue jeudi au Liban, Human Rights Watch (HRW) est l’objet d’un communiqué rageur des services du Premier ministre Siniora qui estiment «inacceptable car sans fondement légal» sa demande d’enquête internationale sur les «éventuels crimes de guerre» du Hezbollah. L’organisation humanitaire accuse en effet le parti de la «Résistance» d’avoir «tiré des milliers de roquettes sans distinction et parfois de façon délibérée sur des zones civiles dans le nord d’Israël». HRW «aurait dû commencer par Israël afin de mettre en contexte l’immensité des crimes commis contre les civils», insiste le communiqué Siniora tandis que le porte-parole du Hezbollah, Hussein Rahal, plaide «le droit de se défendre» et renvoie l’accusation à Israël qui, dit-il, «a visé la population civile du Liban». Un crime n’en excuse pas un autre, répond en substance HRW qui annonce un nouveau rapport sur Israël pour le 6 septembre.

Les villes israéliennes frappées en août 2006 par les tirs de roquette du Hezbollah.(Carte : H.Maurel/RFI)
Les villes israéliennes frappées en août 2006 par les tirs de roquette du Hezbollah.
(Carte : H.Maurel/RFI)

«Civilians under assault : Hezbollah's rocket attacks on Israël in the 2006 war», ce que HRW traduit en français par «Les civils agressés : attaques de roquettes du Hezbollah contre Israël pendant la guerre de 2006». Le titre du rapport de 128 pages est affirmatif, un peu plus que celui que l’organisation humanitaire annonce pour le 6 septembre sous l’intitulé : «Pourquoi sont-ils morts ? Morts de civils au Liban au cours de la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah». Mais l’année dernière, un précédent rapport d’HRW, «Fatal strikes» (Coups fatals) incriminait déjà les frappes israéliennes contre des infrastructures et des quartiers civils au Liban.

Un crime n'en excuse pas un autre

Aux moins 39 civils israéliens ont été tués et une centaine blessés, plusieurs centaines de milliers d’autres étant déplacés par les tirs de roquettes et de bombes à sous-munitions du Hezbollah, indique le rapport d’HRW. Israël «a tué près de 1 200 Libanais et en a blessé des milliers, et 72 heures après l’adoption de la résolution 1701 du Conseil de sécurité de l’ONU, il a déversé 3,5 millions de sous-munitions sur le sud du pays», réplique Fouad Siniora. Ce n’est pas une question de chiffres mais de nature, répond HRW.

La polémique est partie avant même que quiconque s’intéresse au contenu du rapport, déplore Nadim Houry, représentant de HRW au Liban, expliquant que la conférence de presse interdite avait justement pour objet de lancer le débat dans le pays. En matière humanitaire chacun se devant de nettoyer dans sa cour, HRW avait choisi d’éviter la publication concomitante des deux rapports pour éviter qu’une bataille comparative vienne parasiter le débat déjà miné d’un droit de la guerre par lui-même sujet à polémique. HRW n’est pas «une organisation pacifiste qui ne reconnaîtrait pas le droit de faire la guerre, mais notre travail est de documenter» toutes les violations du droit de la guerre, rappelle Nadim Houry. Et pour étayer ses soupçons de crimes de guerre, HRW s’appuie d’abord sur la nature des armes employées par le Hezbollah.

Tirs à l'aveugle et cibles civiles

Le mouvement islamiste a en particulier utilisé des «Katiouchas», des roquettes non guidées mais de longue portée ce qui implique des tirs à l’aveugle. De quoi marquer au minimum le peu de souci du Hezbollah à distinguer entre cibles militaires et civils. De même, ses bombes à sous-munitions, prévues pour tuer dans un très large rayon, montre que sa priorité était de faire le plus de dégâts possibles et non point d’opérer des «frappes chirurgicales». Et cela en particulier dans des zones côtières à forte densité démographique, comme la ville de Haïfa et ses banlieues du Nord et de l’Est, Hakrayot, pilonnées par «des roquettes de 220 millimètres remplies de milliers de billes d’acier de 6 millimètres».

Les cibles manifestes du Hezbollah sont également sujette à caution humanitaire. Il a visé des villes sans «cible militaire légitime apparente à proximité», comme Karmiel, Nahariya ou Kiryat Shmona. HRW note que «dans certains cas, Israël avait placé ses propres installations militaires fixes et mobiles dans ou à proximité de zones civiles du nord d’Israël, soulevant des questions quant à savoir s’il respectait complètement la règle exigeant d’éviter, dans la mesure du possible, de situer des objectifs militaires au sein ou à proximité de zones fortement peuplées». Mais du point de vue de rapporteurs, cela ne déchargeait pas le Hezbollah de la responsabilité «de faire à tout moment la distinction entre non-combattants et cibles militaires légitimes».

Intentionnalité

Les tirs du Hezbollah «ont touché trois hôpitaux, une école primaire à Kiryat Yam et un bureau de poste à Haïfa et paralysé l’activité économique dans la plus grande partie du nord d’Israël ». De bonne ou mauvaise guerre ? Nul doute que les avis soient partagés dans le Liban dévasté d’aujourd’hui où le Hezbollah s’avère la principale figure d’une résistance nationale finalement victorieuse pour n’avoir pas perdu la guerre. Pour autant, HRW ne manque pas de relever dans un long chapitre une centaine de communiqués et de déclarations du Hezbollah illustrant son intention de démoraliser l’adversaire en effrayant, sinon en frappant ses civils. Pour être courante en temps de guerre, ce genre de stratégie n’en constitue pas moins une violation des droits humanitaires.

«Les déclarations de chefs de la chaîne de commandement militaire indiquant leur intention de tirer sans distinction en direction de zones civiles constituent des preuves de crimes de guerre», rappelle HRW en citant des communiqués emblématiques du genre, tel celui du 2 août 2006 revendiquant des représailles : «En réponse aux attaques sionistes contre des zones civiles libanaises, la résistance islamique a bombardé à 11h30 les deux implantation ennemies de Tzuriel et Safed avec des dizaines de roquettes». Une intentionnalité, mais aussi un raisonnement fondé sur la loi du Talion «qui au regard du droit humanitaire international ne justifie pas des attaques délibérées ou sans discernement contre des civils», note HRW qui apprécie de la même manière les avertissements d’Hassan Nasrallah aux Arabes de Haïfa.

«Nous éprouvons de la peine pour vos martyrs et vos blessés, déclarait ainsi le chef du Hezbollah aux habitants de Haïfa. Mais je vous prie de quitter cette ville parce que ces derniers temps votre présence et votre infortune nous a fait hésiter à la viser bien que la banlieue sud [de Beyrouth] et le reste du cœur du Liban soit pilonnés, que Haïfa le soit ou pas. S’il vous plait, délivrez nous de cette hésitation, épargnez votre sang qui est aussi le nôtre et quittez cette ville». En même temps, indique HRW, le Hezbollah «affirmait son soutien au principe d’épargner les civils», la mission première du droit humanitaire. HRW suggère au parti de Dieu de former ses combattants, de vérifier lui-même qu’il n’y a pas de violations et le cas échéant de sanctionner les commandants incriminés.

Sanctionner les crimes de guerre

Le devoir d’empêcher et de réprimer les éventuels crimes de guerre incombe aussi et surtout à l’Etat libanais. Mais HRW note qu’un an après la guerre et plusieurs rapports inquiétants plus tard, ni le Liban, ni Israël n’ont jugé utile d’enquêter sur leur conduite humanitaire de belligérants. Pour que justice soit rendue aux victimes, HRW en appelle donc aux Nations unies et à la création d’une commission d’enquête internationale. HRW demande aussi aux Etats comme la Syrie et l’Iran, solidaires du Hezbollah, mais aussi aux Etats-Unis, alliés d’Israël, de ne plus fournir d’armes à ceux qui ne respectent pas le droit humanitaire. Une interpellation que les bruits de bottes et les inimitiés proclamées menacent d’étouffer. De même que l’heure politique libanaise ne paraît guère propice à l’autocritique.