Culture
L’univers fantasmagorique d’Arcimboldo
(Photo : © Vienne, Kunsthistorisches Museum, Gemäldegalerie)
Le musée du Luxembourg, à Paris, consacre une première exposition monographique à Giuseppe Arcimboldo (1526-1593). Artiste italien de l’époque maniériste, il reste surtout connu pour ses portraits anthropomorphes, composés de fleurs, de fruits, de légumes, de poissons, de coquillages et autres éléments. L’exposition rassemble notamment une quarantaine de tableaux et une trentaine d’objets d’art en provenance de collections privées et publiques du monde entier.
(© Gênes, Musei di Strada Nuova, Palazzo Rosso, Gabinetto Disegni e Stampe)
A l’évocation du nom d’Arcimboldo, on pense systématiquement à ses portraits fantastiques. Des tableaux dans lesquels les sujets peints ont une courge à la place du nez, une pêche en guise de joue, une poire au menton, des yeux de cerises. Mais on ne sait pratiquement rien sur la vie privée de cet artiste italien né à Milan en 1526, comme le rappelle Patrizia Nitti, directrice des projets Renaissance au musée du Luxembourg : « La vie de Giuseppe Arcimboldo est encore pleine de zones d’ombre. On connaît très peu de son personnage. Fils d’un célèbre créateur de vitraux, il débute en collaborant avec son père à la décoration de la cathédrale de Milan, puis à celle de la cathédrale de Côme. Il fait de la peinture religieuse, des cartons pour des tapisseries, dessine des objets d’église. En 1562, l’empereur Ferdinand Ier l’appelle à la cour des Habsbourg sans que l’on sache pourquoi ni comment, car il n’était pas du tout un peintre important. Il commence alors son travail à Prague comme simple portraitiste copiste. Il copie d’anciennes toiles des Habsbourg, réalise quelques portraits classiques d’archiduchesses. En 1563, il peint la série des quatre saisons... Et c’est le coup de maître ! »
(Photo : © Vienne, Kunsthistorisches Museum, Gemäldegalerie)
Le Printemps, L’Eté, L’Automne, L’Hiver, des portraits allégoriques formés d’une juxtaposition de fruits, légumes et végétaux, symbolisent chaque étape de la vie. Le printemps correspond à l’enfance, l’été à la jeunesse, l’automne à la maturité, et l’hiver à la vieillesse. Cette œuvre suscite d’emblée un grand engouement à la cour impériale. « La série des quatre saisons exposée au musée du Louvre est une reproduction, par Arcimboldo lui-même. Il avait la particularité de recopier ses séries. Elles avaient un tel succès que l’empereur lui demandait de les reproduire pour ensuite les distribuer à d’autres monarques ou à des amis », explique Patrizia Nitti. « Nous présentons ici trois versions de L’Hiver : la plus ancienne, celle du Kunsthistorisches Museum de Vienne, celle du Louvre, et une autre provenant d’une collection privée ».
Autres tableaux qui vont assurer la gloire d’Arcimboldo, les quatre éléments qu’il peint en 1566 : Le Feu, L’Eau, L’Air, et La Terre. L’empereur les apprécie tant qu’il les accroche sur les murs de sa chambre.
(Photo : © Vienne, Kunsthistorisches Museum, Gemäldegalerie)
Artiste et homme de sciences
(Photo : © Vienne, Kunsthistorisches Museum, Gemäldegalerie)
Comme Léonard de Vinci, pour qui il éprouvait de la fascination, Giuseppe Arcimboldo n’était pas seulement artiste, mais également savant. Homme de sciences, il puise dans la faune et la flore les matériaux de ses figures. Il représente avec une étonnante précision fleurs, fruits, légumes et animaux. Seules les échelles sont disproportionnées, à l’instar de L’Eau. Dans ce portrait, composé de poissons et de mollusques agglutinés, 62 espèces d’animaux y sont répertoriés.
Novateur, Arcimboldo invente en outre les tableaux réversibles, comme L’Homme-potager. On y voit une corbeille de fruits et de légumes, qui révèle aussitôt un visage humain quand on retourne l’œuvre.
Expert dans l’art du trompe-l’œil et adulé de son vivant à la cour des Habsbourg à l’époque du maniérisme, il tombe bizarrement dans l’oubli après sa mort, trop extravagant pour avoir une descendance artistique, selon certains. Il disparaît complètement au XVIIIe siècle, avant de ressurgir au XXe avec les surréalistes qui redécouvrent ses œuvres et le considèrent comme l’un des précurseurs de l’art moderne. Picasso se serait d’ailleurs inspiré de son Bibliothécaire pour réaliser le fameux portrait de Daniel-Henry Kahnweiler.
(Photo : © Crémone, Museo Civico Ala Ponzone)
Si les œuvres ludiques d’Arcimboldo constituent un hymne à la vie, elles s’avèrent aussi étranges. L’artiste mêle le merveilleux au morbide, et certaines têtes anthropomorphes peuvent paraître monstrueuses, à l’image du Juriste, avec son nez en poulet plumé et sa bouche de poisson. Mais il convient de resituer le travail d’Arcimboldo dans le contexte de son époque, celle des cabinets de curiosités (« Wunderkammer ») des Habsbourg. On venait de découvrir le Nouveau Monde, et il y avait une fascination pour tout ce qui provenait de cette partie du globe : les minéraux, végétaux, comme les animaux. Une période pendant laquelle les monarques, raffinés et cultivés, s’entouraient d’artistes et de scientifiques.
Très éclectique, comme ses confrères de la Renaissance, Arcimboldo dessinait aussi des costumes et des décors pour les cérémonies à la cour. Il était également devenu le grand ordonnateur des réjouissances impériales. Après vingt-cinq années de services, à Prague et à Vienne, auprès de trois empereurs (Ferdinand Ier, Maximilien II, puis Rodolphe II), il obtient l’autorisation de rentrer à Milan en 1587, à condition de continuer à envoyer des toiles. En 1591, il fait parvenir à Prague le tableau intitulé Flora et le portrait allégorique de Rodolphe II en Vertumne (dieu romain des jardins et des récoltes de l'automne), des œuvres qui lui ont valu le titre de comte palatin, avant qu’il ne s’éteigne en 1593.
par Kèoprasith Souvannavong
Article publié le 16/09/2007 Dernière mise à jour le 16/09/2007 à 18:39 TU
ARCIMBOLDO (1526-1593)
Du 15 septembre 2007 au 13 janvier 2008
Musée du Luxembourg
19, rue de Vaugirard
75006 Paris