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Cambodge

«Frère n°2» inculpé de crimes contre l’humanité

Nuon Chea, ancien bras droit de Pol Pot, doit comparaître devant le tribunal du génocide cambodgien pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre. 

		(Photo : Reuters)
Nuon Chea, ancien bras droit de Pol Pot, doit comparaître devant le tribunal du génocide cambodgien pour crimes contre l'humanité et crimes de guerre.
(Photo : Reuters)

Nuon Chea, le plus haut responsable encore vivant de l’ancien régime ultra-maoïste a été arrêté et inculpé de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre par le tribunal du génocide cambodgien. Il a été aussitôt placé en détention provisoire. Les juges reprochent à Nuon Chea d’être l’un des principaux responsables des massacres dans lesquels a péri plus d’un quart de la population cambodgienne entre 1975 et 1979. Trois décennies après les faits, les familles des victimes attendent toujours que justice leur soit rendue.  


Cela faisait neuf ans que Nuon Chea vivait dans la jungle cambodgienne proche de la frontière thaïlandaise sans jamais être dérangé par qui que ce soit. Depuis un accord de paix entre les derniers Khmers rouges encore vivants et le gouvernement de Phnom Penh en 1998, Nuon Chea coulait des journées paisibles dans sa maison sur pilotis à Pailin, au nord-ouest du Cambodge. C’est là, dans ce fief des Khmers rouges, que l’ancien numéro 2 du régime s’était refugié après 20 ans d’exil passés en Thaïlande.

Ce mercredi matin, à l’aube, des unités spéciales de l’armée et de la police ont encerclé sa résidence et arrêté l’ancien Khmer rouge, aujourd’hui âgé de 82 ans.

« Mon père n'a pas l'air inquiet », a déclaré son fils, Nuon Say. « Ils ont confisqué les documents qu'il a écrits à propos des Khmers rouges et ils ont pris toutes les photos avant de l'emmener dans un véhicule, de l'embarquer à bord d'un hélicoptère et de le transférer vers Phnom Penh ». Arrivé dans la capitale, l’ex-bras droit de Pol Pot a été immédiatement transféré au tribunal spécial pour les Khmers rouges, installé il y un an par le gouvernement cambodgien et les Nation unies.

« Les juges d’instruction l'ont inculpé de crimes contre l’humanité et aussi de crimes de guerre », a déclaré le porte-parole du tribunal, Reach Sambath ajoutant que « les magistrats l’ont placé en détention provisoire ».

Les Khmers rouges

Les Khmers rouges étaient les membres d’une organisation communiste fondée et dirigée par Pol Pot. Sous les noms officiels de Parti communiste du Cambodge et Parti du Kampuchéa démocratique, ce régime règne d’une main de fer au Cambodge entre 1975 et 1979. Afin de créer une utopie agricole, les Khmers rouges abolissent la religion, l’école et toute propriété privée. En 1975, la population de Phnom Penh est envoyée dans les coopératives pour y travailler et être surveillée.

La brutalité extrême des Khmers rouges les amène à une forme d’« autogénocide » : plus de 1,7 million de Cambodgiens (ce qui représente plus d’un quart de la population) meurent de faim et d’épuisement dans les camps de travail forcé ou sont exécutés. Ce n’est qu’en 1979 que la « révolution » est renversée par des troupes vietnamiennes. Pol Pot meurt en 1998 sans avoir été jugé.

Architecte de la machine à tuer

« Frère numéro deux » et adjoint direct du « numéro un » Pol Pot, Nuon Chea est accusé d’avoir commandité la plupart des purges qui ont ensanglanté le Parti communiste du Cambodge. Des chercheurs internationaux ayant travaillé sur cette période noire affirment même que Nuon Chea a été l’un des principaux architectes de la machine à tuer des Khmers rouges.

Il est ainsi accusé d’avoir ordonné le 5 janvier 1979, deux jours avant la chute de Phnom Penh, à Kaing Guek Eav, alias « Douch » (l’ancien responsable du centre de torture de Tuol Sleng), de tuer tous les prisonniers encore en vie dans le centre. Seulement sept personnes ont survécu à ce massacre. Ils sont aujourd’hui les témoins clés dans l’instruction menée par les juges du tribunal spécial et dans le procès qui doit suivre.

Tribunal du génocide cambodgien

Le tribunal du génocide cambodgien a vu le jour en juillet 2006 après huit ans d’âpres négociations. Il s’agit d’un tribunal cambodgien sous l’égide de l’Onu. Composée de 29 magistrats cambodgiens et internationaux et disposant d’un budget de 56 millions de dollars, cette juridiction a pour mission de juger les crimes les plus graves commis sous le régime des Khmers rouges entre 1975 et 1979. A cette fin, le tribunal a pris pour base le droit interne du Cambodge, tout en respectant les standards internationaux. En 2006, le tribunal a publié la liste de cinq suspects devant comparaître devant les juges : après Kaing Guek Eav, alias « Douch » qui a été inculpé en juillet 2007 de crimes contre l’humanité pour avoir été l’ancien commandant du centre de torture de Tuol Sleng (ou S-21) et l’inculpation, ce mercredi, de Nuon Chea, trois autres hauts responsables du régime khmer rouge sont toujours recherchés : l’ancien chef de l’Etat, Khieu Samphan, l’ancien chef de la diplomatie, Ieng Sary et Meas Muth, gendre de l’ex-chef militaire Ta Mok

Aucun regret

Presque trente ans après la fin de règne sanglante du Kampuchéa démocratique, Nuon Chea n’a jamais exprimé le moindre remord concernant les atrocités commises au nom d’un régime dont il a été le cerveau idéologique. Bien au contraire : « Je n’ai aucun regret parce que j’ai agi pour le bien du peuple qui devait être protégé contre les envahisseurs américains », a-t-il déclaré à plusieurs reprises avant de clamer haut et fort son innocence, comme en juillet dernier : « Je n’ai été mêlé à aucun meurtre ».

L'un des rares survivants des massacres, Chhum Manh, a exigé des excuses et des explications. En 1998, Nuon Chea avait déjà prononcé des excuses au peuple cambodgien, mais qui n’avaient guerre convaincu les rescapés du régime : « Naturellement, nous sommes désolés, non seulement pour la vie des gens, mais aussi celle des animaux. Ils sont tous morts parce que nous voulions gagner la guerre ».



par Stefanie  Schüler

Article publié le 19/09/2007 Dernière mise à jour le 16/02/2009 à 16:20 TU