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Birmanie

7e jour de manifestation des bonzes, dans la tension

Article publié le 23/09/2007 Dernière mise à jour le 23/09/2007 à 17:50 TU

Les bonzes continuent leur marche de protestation contre le gouvernement birman.(Photo : Reuters)

Les bonzes continuent leur marche de protestation contre le gouvernement birman.
(Photo : Reuters)

Trente mille manifestants, dont au moins la moitié de moines, sont en train de défiler à Rangoon. Le cortège s'est beaucoup renforcé en passant devant la Ligue nationale de la démocratie, de l'opposante Aung San Suu Kyi. C'est la plus forte contestation du régime depuis depuis 1988. Déclenchés en protestation contre la vie chère, les défilés se sont peu à peu transformés en mouvement d'opposition au régime. La situation en Birmanie est suivie de très près à New York, à la veille de l'Assemblée générale des Nations unies. Les Etats-Unis et les pays européens devraient mettre la pression cette semaine sur la junte birmane.

De notre correspondant dans la région, Arnaud Dubus

Le revenu mensuel des familles birmanes ne leur permet pas d'accéder aux soins à l'hôpital.(Photo : J. Robert/RFI)
Le revenu mensuel des familles birmanes ne leur permet pas d'accéder aux soins à l'hôpital.
(Photo : J. Robert/RFI)

U Sin Thin est un intellectuel. Auteur d’un recueil de nouvelles et journaliste au service d’un magazine économique, il a aussi ouvert un petit atelier d’encadrement dans sa très modeste maison de Shwe Pyi Tha, cité-satellite située à une quinzaine de kilomètres au nord de Rangoon. Du plafond percé de larges trous, l’eau dégouline pendant les pluies continues de la mousson humide. Des livres d’histoire et de philosophie s’empilent sur des étagères. Les murs fissurés en béton nu sont ornés d’un tableau d’un ami peintre et d’une illustration plastifiée du Bouddha en méditation.

Ses deux fils travaillent : l’un est journaliste et l’autre, titulaire d’une licence en sciences physiques, donne des cours privés. Le revenu mensuel de la maisonnée est d’environ 200 000 kyats (107 euros), bien au-dessus du revenu mensuel moyen par tête (11 euros en 2005, selon les Nations unies). La famille d’U SinThin, quinquagénaire affable aux dents rougies par le bétel, ne vit donc pas dans la misère, même si son environnement n’a rien du rêve de banlieusard : Shwe Pyi Tha – la « plaisante ville dorée » - est une collection de cahutes en lattes de bambous et en tôle ondulée de part et d’autre d’une route défoncée et boueuse. Seules quelques maisons en béton ou celles dont la façade est étrangement couverte de carreaux de carrelage rehaussent cette lugubre cité.

 Végétarien, faute de viande

De nombreux enfants birmans vivent dans des bidonvilles. Les moines bouddhistes prennent en charge leur éducation.(Photo : J. Robert/RFI)
De nombreux enfants birmans vivent dans des bidonvilles. Les moines bouddhistes prennent en charge leur éducation.
(Photo : J. Robert/RFI)

Les fortes et brutales augmentations du prix des carburants, décidées par le régime militaire à la mi-août, ont durement affecté le quotidien de la famille d’U Thin Sin. Depuis le doublement du prix du ticket de bus, près d’un quart du revenu familial doit être consacré aux transports. « On ne peut plus prendre qu’un seul repas par jour avec de la viande. Pour les autres, on mange du riz et quelques légumes. Ce quartier est devenu végétarien car les gens ne peuvent plus se permettre d’acheter de la viande », ironise U Sin Thin. La famille économise aussi sur l’achat de vêtements : « On évite d’acheter chemises et sarongs tant que ce n’est pas indispensable », dit-il. Mais son sort est loin d’être le pire à Shwe Pyi Tha. Ses voisins plus pauvres ne peuvent se permettre que de manger du riz avec un peu de pâte de poisson fermentée ou ngapi.

En août, le mouvement politique Génération 88, regroupant d’anciens leaders étudiants, puis la Ligue nationale pour la démocratie (LND), principale formation de l’opposition, ont organisé une série de petites manifestations pour protester contre ces hausses de prix. Après l’arrestation d’environ 150 participants, cette campagne a tourné court. Un incident intervenu le 5 septembre a, toutefois, relancé le mouvement de protestation. Lors d’une manifestation de moines dans la ville de Pakkoku, un centre important  d’enseignement du bouddhisme où résident 10 000 bonzes, des militaires ont tiré des coups de semonce pour disperser la foule, puis ont attaché trois bonzes à des poteaux pour les frapper avec une verge de bambou.

Les généraux inquiets

Ces violences ont provoqué la colère d’une partie de la communauté monastique, donnant une nouvelle dimension au mouvement de protestation. Les bonzes ont exigé des excuses de la part des plus hauts dirigeants du régime, faute de quoi, ils entameraient un boycottage des offrandes offertes par les militaires et leur famille. Ce rite ancien, appelé en pali patam nikkuijana kamma (littéralement « retourner le bol à aumônes »), équivaut à l’excommunication dans le christianisme. Ceux visés par le boycottage des bonzes ne peuvent acquérir les mérites nécessaires pour échapper au cycle des morts et des renaissances. Une telle campagne inquiète les généraux, lesquels ont toujours cherché à légitimer leur pouvoir par une caution religieuse. Mais ils n’ont pas voulu s’excuser pour l’incident de Pakkoku avant l’expiration de l’ultimatum fixé par les bonzes au 17 septembre.

Des bonzes prient à la pagode de Shwedagon avant de rejoindre le cortège de manifestants.(Photo : Reuters)
Des bonzes prient à la pagode de Shwedagon avant de rejoindre le cortège de manifestants.
(Photo : Reuters)

Le 18 septembre, dans un geste de défi audacieux, plusieurs centaines d’entre eux ont défilé silencieusement dans les rues de Rangoon, Bago, Sittwe et Pakkoku, marquant le début de la campagne de boycottage. A Rangoon, arrivés devant la pagode Botataung, ils se sont accroupis au milieu de la chaussée et, les mains jointes, ont entonné une prière en pali, entourés de milliers de personnes venues les encourager. Quand ils se sont dispersés, la foule les a applaudis avec ferveur dans un camouflet cinglant à la junte qui avait multiplié les dons aux pagodes les jours précédents afin d’apaiser le ressentiment des moines. La tenue presque quotidienne de manifestations de bonzes, après le 18 septembre, indique que le mouvement pourrait durer. « Les dirigeants du régime ont vraiment peur des bonzes, car ils savent bien que les gens les écoutent. La communauté monastique a, plus que les laïcs, les moyens d’entreprendre une action prolongée. Les moines peuvent organiser des manifestations tournantes dans différentes villes du pays pendant des semaines, voire des mois », estime un analyste européen à Rangoon.