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Birmanie

Situation explosive à Rangoon

par Olivia Marsaud

Article publié le 25/09/2007 Dernière mise à jour le 25/09/2007 à 17:58 TU

<i>«&nbsp;Les moines ont demandé à la foule de ne pas scander de slogans politiques mais de réciter des prières pour la paix.&nbsp;»</i>(Photo : Reuters)

« Les moines ont demandé à la foule de ne pas scander de slogans politiques mais de réciter des prières pour la paix. »
(Photo : Reuters)

Après huit jours de manifestations de plus en plus populaires, la junte militaire birmane a imposé un couvre-feu entre 21 heures et 5 heures du matin (heure locale) à Rangoon. A part la Chine, les pays alliés des généraux restent dans l’attentisme. De son côté, George Bush a appelé mardi, de la tribune de l’Onu, à de nouvelles sanctions contre la Birmanie.

On l’appelle déjà la « révolution safran », de la couleur de leurs robes. Aujourd’hui encore, comme hier, des centaines de moines bouddhistes, accompagnés par la population, ont défilé à Rangoon et dans d’autres villes du pays. On parle de plus de 100 000 personnes dans les rues de la plus grande cité birmane. Depuis une semaine, c’est le plus important mouvement de défi contre la junte militaire depuis 1988. A l’époque, un mouvement pour la démocratie, qui avait aussi impliqué des moines, avait été réprimé dans le sang, faisant 3 000 morts. Pour le moment, les autorités birmanes se sont contentées de menacer les manifestants par le biais des organes de presse officiels. Mais la situation peut basculer à tout moment. Mardi, en fin d’après-midi, des forces de sécurité ont été déployées à Rangoon : onze camions militaires chargés de soldats et policiers anti-émeute qui sont restés à l’intérieur des véhicules. Dans la journée, écoles et bureaux avaient fermé leurs portes de peur d’une possible confrontation entre les forces gouvernementales et les manifestants.

« Ces dernières semaines, les moines ont envoyé un message clair aux Birmans et à la communauté internationale. Ils ont marché vers des pagodes et non des bâtiments publics, mettant ainsi l’accent sur le haut sens moral de leur action et rendant difficile une intervention militaire », explique le quotidien d’opposition basé en Thaïlande The Irrawaddy. « Les moines ont manifesté devant l’ambassade de Chine, chantant le « Metta Sutta », les paroles de Bouddha sur l’amour, envoyant un signal à ceux qui soutiennent la junte. Ils sont passé devant la maison de la leader de l’opposition Aung San Suu Kyi, qui a pu leur faire signe, unie à eux de cette façon symbolique. Ils ont ensuite appelé les étudiants et la population à joindre les mains et réciter des prières ». Lundi, les moines ont demandé à la foule de ne pas scander de slogans politiques mais de réciter des prières pour la paix, restant dans la sphère religieuse, très respectée en Birmanie.

Le dialogue ou la répression

Alors que des célébrités du monde du cinéma et de la littérature en Birmanie, ainsi que des leaders universitaires ont appuyé le mouvement cette semaine, les deux activistes Nilar Thein et Htay Kywe ont invité, lundi, les militaires à rejoindre les manifestants. Mais, pour le moment, l’armée semble irréductiblement à la solde du généralissime Than Shwe, au pouvoir depuis 1992. Pour autant, « la vague de protestation a ébranlé la confiance du régime », note The Irrawaddy. « La Birmanie est une bombe politique qui peut exploser à tout moment. (…) Les marches pacifiques et déterminées des moines ont volé la vedette au régime et injecté une nouvelle énergie dans le fragile mouvement d’opposition ». Deux solutions se profilent : une amorce de dialogue ou une répression violente comme en 1988.

Les analystes pensent en effet qu’un renversement des généraux n’est pas encore envisageable pour le moment. Selon certains d’entre eux, la seule solution durable, envisagée comme un scénario idéal serait que la junte engage des discussions avec Aung San Suu Kyi et son parti. La Ligue nationale pour la démocratie a remporté les législatives de 1990 mais n’a jamais été autorisée à gouverner. Reste une inconnue :  les divisions au sein de la junte, entre les « durs », partisans d’une répression immédiate, et les autres… Malgré l’omerta imposée à la presse nationale, la médiatisation des manifestations dans le monde entier « donne l'espoir qu'il y aura moins de répression » que lors de précédents mouvements d'opposition, a estimé mardi Louise Arbour, Haut commissaire de l'Onu aux droits de l'Homme.

Réactions internationales prudentes

Mardi 25 septembre, à la tribune de l'ONU, George Bush a annoncé le durcissement des sanctions financières contre la Birmanie.(Photo : Reuters)
Mardi 25 septembre, à la tribune de l'ONU, George Bush a annoncé le durcissement des sanctions financières contre la Birmanie.
(Photo : Reuters)

Du côté de la communauté internationale, l’Onu, l’Union européenne et la plupart des capitales européennes ont appelé les autorités birmanes à la retenue. Mardi, à l’Onu, le président américain George Bush a annoncé un durcissement des sanctions financières visant des dirigeants du régime et ceux qui les soutiennent financièrement, et une interdiction de visa élargie contre « les responsables des violations des droits de l'Homme les plus flagrantes ainsi que les membres de leurs familles ». C’est l'intervention la plus concrète venue de l'étranger. Tous les regards se tournent à présent vers les puissances soutenant ouvertement la Birmanie, comme la Chine, la Russie ou l’Inde. Les Etats-Unis ont aussi prévu de faire pression sur l’Inde, qui entretient des liens militaires et diplomatiques étroits avec les généraux birmans.

C’est la Chine qui est l’un des plus proches alliés du pays, à qui elle achète du gaz et vend des armes. Mardi, Pékin a appelé la junte à gérer « correctement » le mouvement de protestation. Traduction : trouver une issue pacifique à la crise. Mais la pression chinoise est limitée par sa volonté de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures birmanes et par ses intérêts commerciaux qu’elle souhaite protéger par-dessus tout. En janvier, la Chine avait utilisé son droit de veto au Conseil de sécurité, tout comme la Russie, pour bloquer un projet de résolution condamnant les violations des droits de l’homme en Birmanie. Pour le moment, l’Association des nations d’Asie du Sud-Est (Asean), qui regroupe dix pays dont la Birmanie (intégrée en 1997), est restée passive. Son secrétaire général a juste appelé « au calme », dimanche.

« Nos voisins égoïstes, opportunistes et mal-informés sont prompts à exploiter les ressources birmanes mais répugnent à soutenir les changements politiques et la démocratie », regrette The Irrawaddy. L’Asean a pour politique de ne pas intervenir dans les affaires intérieures de ses membres et n’a jamais réussi à s’accorder sur la ligne à adopter face à la Birmanie, déjà visée par une série de sanctions internationales. De plus, la Thaïlande, la Malaisie et Singapour convoitent les grandes ressources gazières et minières birmanes. Résultat, seules les Philippines ont appelé, lundi, Rangoon à se démocratiser.