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Birmanie

«Le sang va couler aussi en prison»

Article publié le 26/09/2007 Dernière mise à jour le 26/09/2007 à 13:06 TU

Des moines assis face aux policiers et militaires qui leur barrent l'entrée de la pagode Schwedagon à Rangoon.(Photo : Reuters)

Des moines assis face aux policiers et militaires qui leur barrent l'entrée de la pagode Schwedagon à Rangoon.
(Photo : Reuters)

Mireille Boisson est coordinatrice pour la Birmanie à Amnesty International. Pour RFI elle évoque la répression des manifestations par la junte birmane et les difficultés de la communauté internationale pour faire pression sur le régime.

RFI : Depuis ce mercredi matin, la junte militaire au pouvoir en Birmanie a commencé à réprimer les manifestations ? Est-ce le scénario de 1988 qui se répète ?

M. Boisson : Qui saurait le dire ? La junte au pouvoir est tellement imprévisible qu’on ne saurait quoi dire. En tout cas les bonzes avaient bien « timé » leur manifestation, pendant l’Assemblée générale de l’ONU. On peut espérer que sous le regard de l’ONU et des institutions internationales, ils n’oseront pas tirer. Ce qui m’inquiète davantage, c’est les arrestations : le sang ne va peut-être pas couler dans la rue, mais le sang va couler dans les prisons. Les tortures sont systématiques. On dit déjà que parmi les jeunes leaders arrêtés le 22 août, certains ont été tellement torturés qu’ils seraient à l’hôpital de Rangoon. Tout cela est à mettre au conditionnel, parce qu’il est quasiment impossible de vérifier les informations en ce moment.

RFI : L’ONU, lors de son Assemblée générale hier, a appelé à la retenue. Le président Bush annonce de nouvelles sanctions militaires et financières, contre les dirigeants du régime. L’Union européenne réfléchit à un renforcement des sanctions, qui sont déjà importantes. Mais je vous vois hausser les épaules…

M. Boisson : Oui, parce que je ne vois pas ce que les Etats-Unis peuvent faire de plus, à part le boycott complet. L’Union Européenne a gelé les fonds birmans, mais il y en avait peu. On ne donne pas de visa aux gens proches de la junte et aux militaires pour venir en Europe. Par exemple, aux Jeux Olympiques, le ministre des Sports birman voulait fièrement se « pointer » à Athènes, on lui a dit « mais non, monsieur, vous oubliez qu’il y a un embargo de l’Union Européenne ». Qu’est-ce que l’Union peut faire de plus ? Beaucoup de gens posent des questions sur l’efficacité de ses sanctions, depuis le temps qu’elles sont en application.

RFI : Quelle est la position d’Amnesty sur ces sanctions ? Faut-il boycotter davantage la Birmanie, au risque que les sanctions touchent la population encore davantage ?

M. Boisson : Nous n’avons pas vraiment de position sur les boycotts, tant qu’ils n’affectent pas les moyens de subsistance de base de la population. Mais maintenant les moyens de subsistance de base sont atteints. D’ailleurs tout a démarré sur la misère. Au départ, le mot d’ordre n’était pas politique - il l’est devenu au fil des jours - mais au départ c’était économique. Les gens n’en peuvent plus d’une telle misère dans un pays qui a été riche, qui consacre plus de 50% de son budget à l’armée, et moins de 2% à la santé, moins de 1,2% à l’éducation.

RFI : La Birmanie a des amis, qui ont des intérêts économiques dans le pays. Amnesty International regarde-t-elle du côté des pays d’Asie, notamment la Chine, pour tenter d’intervenir, de faire pression ?

M. Boisson : Sur la Chine, effectivement, et sur la Russie. Parce qu’il y avait eu une résolution présentée au Conseil de sécurité de l’ONU en début d’année, et cette résolution n’est pas passée, à cause de deux membres permanents qui, exceptionnellement, ont voté ensemble, contre la résolution : la Chine et la Russie. Maintenant, ce qu’il faut, c’est une résolution ferme et appliquée au Conseil de sécurité de l’ONU. Et celle qui est en mesure de la faire appliquer, c’est effectivement la Chine. Si elle arrêtait d’approvisionner la junte en armes, ce serait déjà une bonne chose. Les pays de l’Asean ont une certaine force morale, qu’ils ont déjà montrée d’ailleurs : l’Asean a une présidence tournante, comme l’Union Européenne, et il y a trois ans, c’était le tour de la Birmanie. Les Philippines, la Thaïlande, la Malaisie, Singapour, même Brunei ont dit « il faut que la Birmanie passe son tour, parce qu’elle nous fait honte ». Aujourd’hui, on entend les Philippines et la Malaisie, tout de même.

RFI : Aujourd’hui en France, le président Sarkozy reçoit le Premier ministre du gouvernement birman en exil. Sur quoi cela peut-il déboucher, alors que l’armée charge dans Rangoon ?

M. Boisson : A mon avis, ça ne peut pas déboucher sur grand-chose, mais ça a une forte valeur symbolique. Il s’agit tout de même le cousin germain d’Aung San Suu Kyi, c’est un appui aux démocrates birmans. Concrètement, je ne vois pas bien ce que ça peut apporter d’autre. Mais la force morale du geste est importante !

RFI : Amnesty International est l’une des rares ONG à avoir été « invitée » officiellement par la Birmanie, lors de missions officielles en 2003. Vous-même étiez en Birmanie en 1988, à l’époque des grandes manifestations contre la hausse des prix, qui s’étaient achevées dans un bain de sang : 3.000 morts à l’époque. Aujourd’hui, qu’est-ce qui a changé en Birmanie ? Qu’est-ce qui fait que le scénario ne sera peut-être pas identique ?

M. Boisson : Peut-être que l’opinion internationale a davantage les yeux braqués sur la Birmanie. En tout cas depuis quelques jours, parce qu’en général il faut « ramer » pour en faire parler. Le problème est que la Birmanie est capable de fermer ses frontières, comme le Cambodge nous l’avait fait. Ils ont cependant des diplomates en poste, des diplomates occidentaux, qui peuvent donner des informations, qui peuvent faire pression. L’exaspération est probablement encore plus grande, et depuis quelques mois on voit que la chape de la peur s’est soulevée, avec la nouvelle génération des anciens étudiants. Ce sont des gens qui, en 88, étaient étudiants, qui ont été en prison, ont purgé de longues peines, 15 ou 16 ans. Ils sont sortis il y a deux ans et demi, et depuis se sont organisés, pas pour reprendre le combat, mais pour réclamer un dialogue pour la réconciliation avec toutes les parties. Ils en marge des partis d’opposition. Ils partagent des idées propres. Ils demandent la démocratie, avec tous les partis. Mais vont-ils être étouffés ? Je crois que les leaders sont en prison, et ceux qui étaient en fuite vont probablement être arrêtés dans les jours qui viennent. Certains ont déjà été terriblement torturés.

Entretien réalisé par Emmanuelle Bastide