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Argentine

Prison à vie pour un prêtre collaborateur de la dictature

par Monique Mas

Article publié le 10/10/2007 Dernière mise à jour le 10/10/2007 à 15:20 TU

Le prêtre catholique Cristian Von Wernich pendant l'annonce du verdict de la Cour.(Photo : Reuters)

Le prêtre catholique Cristian Von Wernich pendant l'annonce du verdict de la Cour.
(Photo : Reuters)

C’est une première dans l’histoire judiciaire du pays : ce 9 octobre, au terme de trois mois de procès, un prêtre catholique, Cristian Von Wernich, a été condamné à une peine de prison à perpétuité par une cour de La Plata pour son implication dans sept meurtres, 31 cas de tortures et 42 enlèvements sous la dictature militaire (1976-1983) dans la province de Buenos Aires où il officiait comme aumônier de la police. Proche collaborateur de policiers tortionnaires patentés, Cristian Von Wernich avait libre accès aux centres de détention clandestins où, selon le procureur argentin, il procédait à des confessions en forme d’interrogatoires. 

«Il est clair que Von Wernich n'avait pas de fonction pastorale, mais qu'il jouait un rôle dynamique et qu'il était un meneur d’interrogatoires habituel dans ces centres de détention», a indiqué le procureur Carlos Dulau Dumm dans son réquisitoire. Sous le gilet pare-balles passé sur ses habits de prêtre et derrière la vitre blindé protégeant le banc de l’accusé, Von Wernich a joué les martyrs, avec l’appui d’un groupe catholique d’extrême droite venu manifester aux portes du tribunal.

Le confesseur menait les interrogatoires

Citant la Bible, réclamant une «réconciliation» de tous les Argentins, Cristian Von Wernich a tout nié, jurant ses grands dieux qu’il sillonnait les centres de torture pour apporter un soutien spirituel aux détenus, vouant aux gémonies les témoins venus assurer qu’il avait trahi aux bourreaux les aveux et les noms extorqués sous le sceau de la confession.

A l’issue de la « Guerre sale » lancée contre l’opposition de gauche par la junte militaire après l’arrivée au pouvoir en mars 1976 du général Jorge Videla, Cristian Von Wernich avait continué d’exercer son ministère dans une paroisse avant de partir officier au Chili en 1998 sous une fausse identité. Pour sa part, la junte avait pris les devants pour s’amnistier des crimes commis sous la dictature qui a cédé le pas au régime civil de Raul Alfonsin en octobre 1983.

Des lois dites du « point final » ou de « l’obéissance due » devaient garantir l’immunité des militaires et de leurs affidés. Elles ont finalement été déclarées inconstitutionnelles en 2003. La justice des hommes a rattrapé Cristian Von Wernich cette année là. Alors âgé de 65 ans, le prêtre a été retrouvé au Chili et extradé en Argentine pour être déféré devant le tribunal de La Plata, à une soixantaine de kilomètres au sud de Buenos Aires, la région où il a sévi.

La Conférence épiscopale dégage sa responsabilité

Très influente dans le pays, l’Eglise catholique a gardé le silence pendant le procès, le cardinal Jorge Bergoglio, archevêque de Buenos Aires et primat d'Argentine se chargeant de dédouaner l'épiscopat à l’énoncé du verdict en assurant que « si un membre quelconque de l'Eglise avait cautionné, par recommandation ou par complicité, la répression violente, il aurait agi sous sa responsabilité, pêchant ainsi gravement contre Dieu, l'humanité et sa conscience ».

L'épiscopat double son renvoi à la responsabilité individuelle d’un « appel à nous éloigner tant de l'impunité que de la haine et de la rancœur ». Le message ecclésial souligne en même temps qu’à son avis, « les avancées de la justice dans l'éclaircissement de ces faits doivent servir à redoubler les efforts de tous les citoyens dans la voie de la réconciliation ».

La frilosité du clergé argentin vis-à-vis de la culpabilité de son berger Von Wernich ne surprendra pas les défenseurs des droits de l'homme, parmi lesquels le prix Nobel de la paix Adolfo Perez Esquivel, qui ont appelé l'Eglise catholique à se prononcer sur le cas de Von Wernich et à clarifier son rôle controversé pendant la dictature. Celle-ci aurait fait quelque 30  000 disparus selon eux, un génocide politique selon les associations de victimes regroupées dans le mouvement Justicia Ya.

Silence des évêques et liste noire de religieux

De fait, comme le rappelle, exemples à l’appui, l'Agence de presse internationale catholique (Apic), la dictature militaire avait de nombreux appuis actifs ou passifs dans la hiérarchie de l’Eglise, « le silence de la majorité des évêques » répondant à la « liste noire des religieux » assassinés parce qu’ils refusaient de se taire quand d’autres, comme Von Wernich, faisaient un choix idéologique contraire et restent persuadés que « les militaires les sauvèrent du communisme ».

« Témoin d’opinion » appelé à la barre face à son ancien camarade de séminaire Cristian Von Wernich, le père Ruben Capitanio n’a aucun doute sur l’implication de son frère en religion, « responsable des vies qu’il n’a pas sauvées » ou tenté de sauver, dit-il. Et si, en tant qu’institution, « l’Eglise n’a pas tué », ajoute le père Capitanio, ses positions ont été « scandaleusement proches de la dictature, à un degré de complicité coupable ». Des prêtres et des évêques en sont morts.

Lui-même pourchassé sous la dictature, le père Capitanio a rompu le silence. Il est à l’initiative d’une autocritique rédigé par la Pastoriale sociale de Neuquen qui demande que la vérité soit dite. « Ce qui est triste, c’est que ce sont les moins coupables qui demandent pardon », commente Apic.

Cristian Von Wernich a collaboré sous la dictature aux basses-œuvres du commissaire Miguel Etchecolatz qui a été condamné à perpétuité l’année dernière pour crimes contre l’humanité. Toujours en quête de leurs enfants disparus, tués ou placés dans des familles dévouées à la junte militaire, les « Mères de la Place de Mai » saluent la condamnation de l’ancien aumônier comme une décision « historique », une lueur de vérité sur les années noires de la dictature.