par Myriam Berber
Article publié le 15/10/2007 Dernière mise à jour le 15/10/2007 à 17:15 TU
Les passionnés d’aviation attendent depuis des mois cet évènement. La présentation au sol de l’A380 le 18 janvier 2005 avait réuni 5000 personnes. Deux ans après, devant plus de 500 invités venus du monde entier, Airbus livre, lundi 15 octobre 2007 à Toulouse, son premier avion géant à la Singapore Airlines, compagnie aérienne phare d’Asie. L’A380, dont le programme a démarré en décembre 2000, affiche, à l’heure actuelle, 189 commandes et engagements d’achat émanant d’une quinzaine de clients d’Airbus, principalement de la région du Golfe, d’Asie et d’Europe. Pour rentabiliser ce programme, l’avionneur doit dépasser la barre des 300 commandes fermes. Le prix de cet avion géant ? Quelques 285 millions de dollars l’unité.
D’une envergure de 80 mètres, d’une longueur de 73 mètres et d’un poids maximum au décollage de 560 tonnes, ce super jumbo qui pourra transporter jusqu’à 800 passagers, sur des distances allant jusqu’à 15 000 kilomètres, effectuera, le 25 octobre 2007, son premier vol commercial reliant Singapour à Sydney. Singapore Airlines s’est même offert un joli coup de publicité. Mis aux enchères sur eBay, ce vol a rapporté 1,3 milliard de dollars de recettes, entièrement reversées à des œuvres caritatives.
Le manque de coopération entre les usines
Cet évènement marque la fin de deux années de déboires industriels. Depuis son démarrage en décembre 2000, le programme de livraisons de l’ A380 a, en effet, accumulé les retards. Des problèmes dans la fabrication et la réalisation des systèmes électriques entre les usines allemandes et françaises sont à l’origine de ces reports. Début 2006, Airbus a dû faire venir un millier de techniciens allemands à Toulouse pour refaire les câblages des tronçons arrivant de l’usine de Hambourg. Ce fiasco s’est soldé par trois reports de livraison, 18 mois de retard pour la première livraison, et un report à 2010 au lieu de 2008 du rythme prévu de quatre avions par mois.
Outre les cinq avions d’essai et l’appareil livré à la Singapore Airlines, quatre appareils sortis de la chaîne toulousaine sont actuellement à Hambourg pour y recevoir leurs aménagements commerciaux. Douze autres sont en phase d’assemblage final. Ce n’est qu’à partir du 26ème appareil qui entrera sur la chaîne en 2008 pour livraison à la mi-2009, que les difficultés devraient être surmontées par la mise en place d’une maquette numérique permettant à toutes les usines de vérifier en temps réel la compatibilité de leurs fabrications.
Un plan de réorganisation industrielle
La situation a été d’une telle gravité qu’elle a provoqué une tempête chez Airbus et au sein de la maison mère de l’avionneur, EADS. La crise, révélée le 13 juin 2006, a provoqué la chute de 27% en une journée du titre EADS en Bourse. Les têtes sont tombées à la direction d’Airbus et ces retards ont entraîné un surcoût financier au-delà de toutes les prévisions. Pour compenser ces pertes, le conseil d’administration d’Airbus a validé un plan de réduction des coûts baptisé «Power8», visant à économiser 5 milliards d’euros d’ici à 2010, puis 2 milliards par an à partir de cette date. «Power8» est également un plan de réorganisation industrielle, destiné à rendre Airbus plus efficace.
L’avionneur a ainsi réduit le nombre de ses sous-traitants. De près de 3000, ils ont chuté à environ 500, tandis que le recours aux sous-traitants des pays à bas coûts a augmenté parallèlement de 50%. L’avionneur a également réduit le nombre de ses plateformes logistiques au nombre de 80 à moins de 8. A la recherche d’économies, Airbus a aussi réduit ses frais de fonctionnement de 30% sur quatre ans. Ce qui s’est traduit par près de 10 000 suppressions d’emplois via des départs en retraite mais aussi une réduction du nombre d’intérimaires et des contrats à durée déterminée dans le secteur de la production.
Le scandale EADS
Mais la fête autour de la livraison du premier exemplaire de l’A380 risque d’être un peu gâchée. Cet évènement intervient en pleine affaire EADS. Le 3 octobre dernier, le quotidien Le Figaro révélait le contenu d’une note préliminaire de l’Autorité des marchés financiers (AMF) transmise au Parquet de Paris, soupçonnant les principaux actionnaires et responsables d’EADS, la maison mère d’Airbus, de «délits d’initiés massifs ».
Le rapport du gendarme de la Bourse révèle qu’à l'exception de Louis Gallois, président exécutif d'EADS, et de Rùdiger Grube, président du conseil de surveillance, les dirigeants d'EADS et les actionnaires, Lagardère et DaimlerChrysler, étaient bien informés des retards du programme de l’A380 avant de vendre un grand nombre de leurs actions, avant la chute des cours de Bourse. Au total, quelque 1 200 initiés ayant vendu pour plus de 10 millions de titres entre mai 2005 et mai 2006, ce qui représente 90 millions de plus-values, sont impliquées. Le scandale EADS a suscité de nombreuses réactions dans le monde syndical, industriel et politique. L’opposition de gauche évoque une « affaire d’Etat ». L’Etat français possède, en effet, 15% du capital EADS. Les commissions des Finances du Sénat et de l’Assemblée nationale multiplient les auditions.
«(La livraison du premier A380) sera, dans la tête des salariés, un joyeux évènement qui mérite d’être fêté car cela permet de valoriser le travail des salariés. Ce sera un coin de ciel bleu dans une période difficile pour l’entreprise.»