par Monique Mas
Article publié le 12/10/2007 Dernière mise à jour le 12/10/2007 à 17:34 TU
Vladimir Poutine avait invité dans sa datcha la secrétaire d'Etat américaine, Condoleezza Rice, et son pair de la Défense, Robert Gates, sitôt leur arrivée à Moscou, afin de leur signifier qu’il était inutile d’affûter leurs arguments pour défendre le projet américain de bouclier antimissile en Europe de l’Est face à leurs homologues russes respectifs, Sergeï Lavrov et Anatoly Serdyukov, chargés de les recevoir plus longuement. « Dans vos négociations difficiles [entre ministres], nous comptons que vous ne ferez pas passer en force vos accords conclus avec les pays d'Europe centrale », avait lancé le président russe à ses hôtes américains en menaçant de retirer la Russie du Traité sur l’élimination des missiles à portée intermédiaire et à courte portée (FNI). Le ton était donné. Les envoyés américains sont repartis les mains vides.
« Nous ne sommes pas parvenus à un accord » et si les Etats-Unis déploient leur bouclier antimissile en Europe, « comme l'a dit notre président, nous aurons à prendre des mesures pour neutraliser cette menace », a indiqué vendredi le chef de la diplomatie russe, Sergueï Lavrov, à l’issue de sa rencontre et de celle de son homologue de la Défense avec les envoyés de Washington. « Les Etats-Unis sont engagés dans des discussions et vont continuer à discuter avec leurs alliés » polonais et tchèque a répliqué Condoleezza Rice.
L’Iran, un faux prétexte selon Poutine
Vladimir Poutine met le FNI dans la balance, face au bouclier antimissile Une riposte à peu de frais pour marquer sa volonté de ne pas entendre parler du déploiement américain de dix missiles intercepteurs en Pologne et d’une station radar en République tchèque, le fameux bouclier antimissile dont les missi dominici de l’administration Bush étaient venus à Moscou assurer une nouvelle fois qu’ils ne vise pas la Russie mais une éventuelle menace en provenance de «pays voyous» comme l'Iran. Une perspective que Moscou dénie comme un faux prétexte utilisé par ceux qui «n’apprécie pas l’essor constant et progressif de notre pays».
Vladimir Poutine l’avait redit à son homologue français, Nicolas Sarkozy, il ne dispose pas « d'informations selon lesquelles l'Iran aspire à produire des armes nucléaires » et pose donc le « principe que l'Iran n'a pas de tels plans ». Bref, il s’agirait d’une hypothèse occidentale sans fondement. Pas seulement, réplique Condoleezza Rice, et c’est bien parce que les Russes ont des « soupçons sur les intentions de l’Iran », poursuit-elle, que la Russie a « manifesté son inquiétude lorsqu'elle a proposé à l'Iran d'enrichir et de retraiter au sein d'une société commune en territoire russe tout le combustible qui pourrait être fourni à l'Iran ».
Moscou voit le bouclier antimissile comme une menace
Bien que sa proposition de société russo-iranienne ait été rejetée par Téhéran, Moscou s’inscrit en faux – avec Pékin – contre la perspective de nouvelles sanctions internationales contre l’Iran qui a obtenu un nouveau délai jusqu’en novembre. Pour le reste, Poutine partage, dit-il, les préoccupations de ses « partenaires qui voudraient que les plans de l’Iran soient plus transparents ». Mais il voit comme un véritable casus belli un bouclier antimissile américain s’installer à sa porte, dans d’anciennes Républiques soviétiques. Ce n’est pas un dispositif défensif, dénonce-t-il, mais une « partie indispensable du système stratégique nucléaire américain », avec qui plus est des radars permettant d’espionner la Russie.
En gage respectif de bonne foi, Moscou avait proposé à Washington d’utiliser sa base radar de Gabala, en Azerbaïdjan, à la frontière de l'Iran. Les Etats-Unis « s'intéressent considérablement à l'Azerbaïdjan et à certaines possibilités en Russie même », avait suggéré la chef de la diplomatie américaine. Mais, poursuit aujourd’hui Condoleezza Rice, « nous avons vraiment besoin de mener à bien ce projet de défense antimissile et pour les menaces que nous voyons venir, cela implique les sites dont nous parlons en Pologne et en République tchèque ». Le Kremlin lui avait répondu par avance, par la bouche de Vladimir Poutine.
Moscou entend aussi comme une menace les déclarations du commandant de l'armée de Terre américaine en Europe, le général David McKiernan, qui estime nécessaire de ne pas réduire aussi vite que prévu les effectifs et de garder « quatre brigades de combat », soit 40 000 hommes environ, pour intervenir dans les zones extérieures de conflit, mais aussi à défaut de savoir « ce qui va se passer avec la renaissance de la Russie ». La réponse du berger à la bergère sans doute, au moment où les Etats-Unis songeaient à rapatrier nombre de leurs 95 000 soldats déployés en Europe.
Le ton de la Guerre froide
L’affaire du bouclier antimissile a remis au goût du jour le ton de la Guerre froide. En avril dernier, Moscou avait déjà consterné l’Union européenne en annonçant sa décision de ne plus participer au Traité sur les forces armées conventionnelles en Europe (FCE) signé en 1989 pour « éviter tout conflit armé en Europe » après la chute du Mur. Comme le souligne Washington, récemment, la Russie a annoncé la reprise, « sur une base permanente » des vols de ses bombardiers à long rayon d'action, capables de transporter des missiles nucléaires.
Cette fois, Moscou menace de s’abstraire d’un accord bilatéral signé en décembre 1987, à l’heure de la Perestroïka, par le président russe Mikhaïl Gorbatchev et son homologue américain Ronald Reagan : le Traité sur l’élimination des missiles à portée intermédiaire et à plus courte portée (FNI), des armes balistiques d’une portée de 500 à 5 500 kilomètres . « Quand d'autres pays disposent de ces armes et que parmi ces pays, certains sont situés aux environs immédiats de nos frontières, il faut donner à ce traité américano-russe un caractère universel », indique Vladimir Poutine.
Hier, le ministre américain de la Défense, Robert Gates s’était déclaré disposé à discuter avec les Russes de leur souci de voir proliférer les missiles de moyenne portée dans leur environnement immédiat. « Nous ne voyons pas tout du même oeil mais si on compare avec nos relations avec l'ex-Union soviétique, c'est une relation bien différente », assurait de son côté Condoleezza Rice. « Le plus important, c'est que les Etats-Unis ne menacent plus la Russie et que Russie ne menace plus les Etats-Unis », poursuivait-elle.
La chef de la diplomatie américaine juge « ridicule l’idée qu’une dizaine d’intercepteurs » américains positionnés en Europe de l’Est menaceraient une Russie forte de « milliers de têtes nucléaires ». L’argument n’a pas convaincu le Kremlin, une mission quasi-impossible il est vrai en ces temps où la compétition pour la sécurité énergétique a succédé au conflit Est-Ouest et où Vladimir Poutine tient à incarner une Russie de stature impériale.