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Documentaire

Thomas Sankara crève l'écran

par Antoinette Delafin (MFI)

Article publié le 15/10/2007 Dernière mise à jour le 15/10/2007 à 12:29 TU

A l’occasion du 20e anniversaire de la mort de l’ancien président burkinabé, un documentaire de Robin Shuffield intitulé Thomas Sankara, l’homme intègre fait actuellement le tour du monde. Témoins et acteurs y dessinent par touches successives un portrait en demi-teinte de l’ancien chef d’Etat.

<em>Thomas Sankara, l'homme intègre</em>, documentaire de Robin ShuffieldDR
Thomas Sankara, l'homme intègre, documentaire de Robin Shuffield
DR

Vingt ans après la disparition tragique du président burkinabé, assassiné le 15 octobre 1987 dans des circonstances encore non élucidées, le film du réalisateur franco-belge Robin Shuffield revient sur les moments forts du régime de Thomas Sankara. Projeté à Ouagadougou en marge du Fespaco 2007, Thomas Sankara, l’homme intègre remet au devant de la scène ce capitaine atypique qui, à trente-quatre ans, avait pris le pouvoir en 1983 à la faveur d’un coup d’Etat. Rebaptisant la Haute-Volta pays des hommes intègres (Burkina Faso), il rêvait de balayer son pays de la corruption, des abus des chefs traditionnels, féodaux et machos, et du néocolonialisme.

 « Comment évoquer la mémoire d’une figure disparue sans tomber dans le piège du mythe ? », s’interrogeait Balufu Bakupa-Kanyinda, réalisateur du premier court-métrage sur Thomas Sankara projeté au Fespaco 1993. Robin Shuffield n’a pas connu l’homme de son vivant. Il ne voulait pas faire un « film-hommage ». Dans un premier temps, il a l’idée de mesurer l’impact de Sankara sur la population burkinabé et de le raconter « par personnes interposées ». Il a remarqué qu’un peu partout sur le continent, les gens parlent de lui « comme d’un héros », un personnage mythique surtout parmi la jeunesse, un « Che africain » dont on parle « à voix basse ». Ce journaliste reporter d’images part en quête de documentation. La tâche s’avère plutôt difficile en Afrique de l’Ouest où il vit à l’époque. Mais les archives s‘empilent bientôt sur son bureau. Le film prend alors un tour nouveau car il s’agit désormais d’en « restituer la mémoire » aux Africains. Témoins et acteurs dessinent un portrait en demi-teinte de ce personnage charismatique – et bien sûr de sa politique. Au final, résume Shuffield prosaïquement, « sur 52 mn, il y a 30 mn de choses positives et un quart d’heure plus ou moins de choses négatives ».

Les phrases cultes sont au rendez-vous

L’acteur principal, Thomas Sankara, crève l’écran quand il tente de convaincre du bien-fondé de sa révolution… d’abord la population burkinabé mais aussi les chefs d’Etas d’Afrique et du monde, à l’OUA ou à l’ONU. Les phrases cultes sont au rendez-vous : « L’impérialisme, regardez dans votre assiette, ce sont les grains de riz ou de maïs importés » – une manière de lutter contre le réflexe de mendiant ou d’assisté et d’inciter à produire suffisamment pour se nourrir. On notera la justesse de ses propos quand il plaide en faveur de l’égalité entre les hommes et les femmes, notamment quand il parle des « filles en grossesse toujours exclues de l’école » et jamais leurs partenaires…

Grand témoin, l’ancien président du Ghana, Jerry John Rawlings. Son nom a été souvent associé à celui de Sankara dont il est l’aîné. Les deux capitaines partageaient les mêmes idéaux dans cette Afrique des années quatre-vingt en proie aux tirs croisés entre l’Est et l’Ouest : « A very complex situation ». Mais Shuffield montre aussi comment « son franc-parler teinté d’humour ravageur, sa fougue et son altruisme » valent à Thomas Sankara de plus en plus d’ennemis. On le mesure dans cet échange houleux, fin 1986, avec François Mitterrand, en visite officielle à Ouagadougou alors qu’il vient de recevoir Pieter Botha en France. Thomas Sankara qualifie le président d’Afrique du Sud sous apartheid de « tueur ». Mitterrand, piqué, rétorque : « Il a le tranchant d’une belle jeunesse. Mais il tranche trop. »

« Ridicules, tous ces bérets rouges ; trop de militaires, c’est pas bon »

Jean Ziegler, le sociologue suisse, apprécie qu’en quatre ans le pays soit devenu quasi autosuffisant. Mais il trouve « ridicules tous ces bérets rouges. Trop de militaires, c’est pas bon ». Il l’a dit à Sankara. Qui en écho, dans une archive, reconnaît qu’« un militaire sans formation politique et idéologique est un criminel en puissance ». Acteur direct, Pierre Ouedraogo, responsable des Comités de défense de la révolution (CDR), explique que ces derniers ont été créés pour « canaliser l’enthousiasme populaire ». Il minimise leurs excès de zèle qu’il qualifie d’« erreurs de jeunesse inévitables ». Avec une arme et une tenue, « ils se prenaient pour Rambo », raconte Gervais en contrepoint, un témoin.

C’est un point fort du film d’avoir donné la parole aux opposants. « Par souci de déontologie ». Et par conviction : « La révolution n’a pas eu que de bons côtés ». Critique des tribunaux populaires où les prévenus n’ont pas droit à la défense, critique de l’interdiction du droit de grève, par exemple aux instituteurs, remplacés par des bénévoles à peine formés…

Le régime est affaibli, la population fatiguée de voir s’affronter les clans… Fruit de son enquête, Shuffield rapporte : « Thomas Sankara est tué le 15 octobre 1987 lors de l’attaque du palais présidentiel, surpris en pleine réunion avec une dizaine de collaborateurs par des éléments de la garde rapprochée de Blaise Compaoré. De son corps, il ne reste que des débris. Il est enterré dans la nuit à la va-vite, comme un chien ». « Two very good friends, Thomas and Blaise », commente Jerry Rawlings.

A l’annonce de sa mort, ce sont « des dizaines de personnes dans la rue qui pleurent, en Afrique et ailleurs », témoigne le journaliste Abdoulaye Diallo. A l’écran, son certificat de décès annonce une « mort naturelle ». « Vous avez des regrets ? », demande-t-on à Blaise Compaoré, son compagnon de route qui vient de s’autoproclamer président du Faso : « … d’avoir perdu un ami, bien sûr… Et qu’à un moment donné de sa vie, il ait pensé à nous liquider. C’est dommage », dit-il les yeux roulant dans leurs orbites avant de fixer le ciel.

L’ère de la Rectification commence, celle que Sankara avait énoncée comme nécessaire quelques semaines avant sa mort. « Thomas savait qu’il devait mourir », dit encore l’ancien capitaine Boukari Kaboré. Quant à la famille Sankara, harcelée, elle est soupçonnée d’enrichissement illicite. Elle a déposé plainte auprès de la Commission des droits de l’homme de l’Onu. Plainte déclarée recevable en 2006. Shuffield, en guise de conclusion, estime que « Les grands hommes irradient leur époque bien après leur mort ».

Un film de 52 minutes, coproduit par Arte France et Zorn production international (zorn@zornproduction.com) en association avec TV5 Monde.

Un film qui fait le tour du monde

Le réalisateur, Robin Shuffield, est ce 15 octobre 2007 à 20H30 au Cinéma Utopia, à Toulouse, pour une projection-débat à l’initiative de l'association Survie. Autres projections prévues ce 15 octobre à Montréal (Québec) et à Berlin (Afrikamera, Allemagne).

Par ailleurs il sera rediffusé sur La Chaîne parlementaire (France) le 20 octobre à 17H30.
Le film est projeté à La Casa de Africa, à Madrid (Espagne, octobre et novembre 2007) ; le 17 novembre 2007 à la médiathèque de Champigny-sur-Marne (France) ; le 18 novembre 2007 à  Köln (FilmInitiativ, Allemagne).
Il circule dans le réseau associatif et les festivals. Notamment, au Festival international de films sur les droits de l'homme de Lomé ( Togo, du 25 au 29 octobre) ; au Festival des Libertés à Bruxelles (Belgique, du 31 octobre au 10 novembre); au Festival International du film d’Amiens (France, du 9 au 18 novembre) ; au Festival du cinéma africain de Vérone (Italie, du 19 au 26 novembre) ; au Festival de cinéma d’Attac (Centre culturel Le botannique, Bruxelles, Belgique, du 22 novembre au 2 décembre 2007) ; au Festival Film de Quartier à Dakar (Sénégal, du 15 au 20 décembre 2007) ; et à Regards sur le cinéma du Sud à Rouen (France, du 15 au 26 janvier 2008).

Enfin le film a accompagné la Caravane Thomas Sankara, du 8 septembre au 15 octobre 2007, dans différentes villes du monde (Genève, 24 septembre, Dakar, 5 octobre, Toronto, 13 octobre et Montréal, 15 octobre).

Autres films sur Thomas Sankara :

Capitaine Thomas Sankara, requiem pour un Président assassiné, par Didier Mauro et Marie Roger Biloa. 1988, film 45 mn couleur. Produit par Orchidées et Association Internationale Thomas Sankara.

Thomas Sankara, par Balufu Bakupa Kaniyinda. 1993, film 16 mn couleur ; 26 mn noir et blanc. Produit par Stéphan Oriach, Myriapodus Films.