Rechercher

/ languages

Choisir langue
 

Burkina Faso

Sankara, Compaoré, doubles célébrations

par Antoinette Delafin (MFI)

Article publié le 15/10/2007 Dernière mise à jour le 15/10/2007 à 12:46 TU

Le Burkina Faso célèbre lundi un double anniversaire marqué à la fois par des manifestations officielles en l'honneur de Blaise Compaoré, au pouvoir depuis 20 ans, et des célébrations parallèles commémorant l'assassinat de son prédécesseur, Thomas Sankara, tué lors du coup d'Etat du 15 octobre 1987 et considéré comme le « père de la révolution ». Portrait.  

 

Manifestation en hommage à Thomas Sankara à Ouagadougou, le 14 octobre 2007.(Photo : AFP)
Manifestation en hommage à Thomas Sankara à Ouagadougou, le 14 octobre 2007.
(Photo : AFP)

Personnage charismatique, disparu en 1987, Thomas Sankara a appartenu à la génération nouvelle, apparue en Afrique dans les années 1980, de jeunes militaires révolutionnaires épris d’intégrité et de liberté. « Sans formation politique, un militaire n’est qu’un criminel en puissance », disait-il, marquant ainsi sa différence avec tant de putschistes en kaki, dénués d’idéaux, dont l’Afrique avait connu la triste succession depuis les indépendances. Ses déclarations fracassantes ont fait trembler les pouvoirs et inquiété les chancelleries, au nord comme au sud. Et sa mort aux accents tragiques a contribué à faire de lui une des figures mythiques de l’histoire contemporaine africaine, adulée par les jeunes Africains.

Né en 1949 d’une famille modeste du nord-ouest de la Haute-Volta, Thomas Sankara entre en 1966 au prytanée de Kadiogo. Cette année-là, les syndicats voltaïques protestent contre leurs élites et le président Yaméogo est renversé. Le jeune Thomas intègre l’Académie militaire d’Antsirabe (Madagascar) en 1969, puis les centres de formation parachutistes de Pau (France) et de Rabat (Maroc). Pieux, studieux, rigoureux jusqu’à l’ascétisme, il lit tous les classiques et affectionne les débats politiques. Il y évoque les héros des indépendances africaines - Amilcar Cabral, Patrice Lumumba -, les rêves déçus (ceux des Kwame Nkrumah ou Julius Nyerere), ou encore les révolutions trahies (Madagascar, Guinée, Bénin, Congo-Brazzaville). Il analyse la situation en Afrique de l’Ouest, où la misère semble sans issue, minée par l’effondrement des cours des matières premières, les sécheresses successives et les dictatures corrompues, au service de puissances extérieures.

« La patrie ou la mort, nous vaincrons ! »

Thomas Sankara passe pour un héros lors la « guerre des pauvres », qui oppose en 1975 la Haute-Volta au Mali. Instructeur au centre de formation des para-commandos de Pô, le bouillant capitaine est un patriote épris de justice - à l’instar de son aîné, le Ghanéen Jerry Rawlings, qui, en 1979, fait exécuter plusieurs anciens dirigeants jugés corrompus. Un an après, en Haute-Volta, le président Lamizana est destitué, accusé d’avoir laissé des fortunes se bâtir grâce au détournement de l’aide alimentaire. Secrétaire d'Etat à l'Information sous le colonel Saye Zerbo, en 1981, Sankara se rend au ministère à bicyclette. Son charisme inquiète. Premier ministre en 1983, il prononce cinquante-neuf fois le mot « peuple » dans son discours d’investiture. Le président Ouédraogo l’assigne à résidence. Blaise Compaoré, son ami et frère d’armes, le libère et prend la direction d’un putsch. Le 4 août 1983, placé à la tête du Conseil national de la révolution (CNR), Sankara devient chef de l’Etat.

Frêle dans son treillis vert-olive ou léopard, flanqué de deux pistolets sur les hanches, Thomas Sankara transforme son pays en laboratoire. Inspirés par les révolutions cubaine ou libyenne, ses Comités de défense de la révolution (CDR) ont en charge le développement à la base et l’autosuffisance alimentaire. « Ainsi le peuple se met à la tâche, comptant sur ses propres forces », disait Franz Fanon, l’un de ses inspirateurs. Sankara lance une réforme foncière, des vaccinations-commando, une « bataille du rail » pour désenclaver le Sahel. Il construit des retenues d’eau, des écoles…

Coups de feu au palais du Conseil de l’entente

Les slogans fleurissent : « Les maris pourris, A bas ! », et l’'excision est interdite. Ouagadougou vit survoltée, les journalistes étrangers raffolent du nouveau régime qui multiplie les actes symboliques. Parfois Thomas s’empare de la guitare, Blaise du micro. Le sport de masse n’épargne pas les ministres qui circulent en Renault 5 et portent le Faso Dan Fani, cotonnade made in Burkina. Les artistes sont invités à se mettre au service du peuple.

 « Je parle au nom de ces millions d’êtres qui sont dans les ghettos parce qu’ils ont la peau noire », clame Thomas Sankara à la tribune des Nations unies en 1984. Il rebaptise la Haute-Volta « Burkina Faso », pays des hommes intègres, pour effacer la blessure coloniale et reconquérir la dignité. L’aide n’est que « calvaire et supplice pour les peuples », lance-t-il en 1986 au président Mitterrand. Le PF (président du Faso) invite les Africains à faire front commun contre la dette. Et ses mesures d’austérité sont plus amères que celles du Fonds monétaire international.

Mais « Tom Sank’ » se met à dos bourgeois, intellectuels, fonctionnaires, chefs traditionnels… La situation interne du pays est loin d’être rose : les jeunes des CDR multiplient les abus et les exactions, on murmure contre l’arbitraire des Tribunaux populaires (TPR), on s’émeut des licenciements pour fait syndical, mais aussi des querelles pour le leadership au sommet de l’Etat, tandis que s’attisent les inquiétudes des pays voisins et des Occidentaux. Le 15 octobre, Thomas Sankara meurt lors d’échanges de coups de feu au palais du Conseil de l’entente, à Ouagadougou, entre ses partisans et ceux de Blaise Compaoré, qui s’empare du pouvoir.

Publié dans Les 100 clés de l’Afrique (sous la direction de Philippe Leymarie et Thierry Perret). Paris, RFI/Hachette littératures, 2006.