Article publié le 15/10/2007 Dernière mise à jour le 15/10/2007 à 15:38 TU
Des tirs de la police contre un rassemblement de l'opposition dans la province de Lahidj (sud-ouest) ont fait quatre morts et quinze blessés lors du 44è anniversaire du soulèvement contre l’occupation britannique.
De notre correspondant à Sanaa, François-Xavier Trégan
Le sud du Yémen devait célébrer, dimanche 14 octobre, le 44è anniversaire de son soulèvement contre l’occupation britannique. Le Ministère de l’intérieur avait interdit tout rassemblement. La ville de Radfan, au nord-ouest d’Aden, symbole de la lutte de 1963, est passée outre les consignes. Alors que les retraités de l’ancienne armée du Sud s’affairaient à organiser l’événement, samedi 13 octobre, la police a ouvert le feu : pour répondre à des provocations, selon les autorités ; intentionnellement, selon les premiers témoignages recueillis par l’agence d’information indépendante Mareb Press. Le bilan est de 4 morts et 15 blessés.
Le Président Saleh, en visite au même moment à Aden, a déploré les heurts et les victimes. Il a ordonné l’ouverture d’une enquête. Les événements tragiques de Radfan s’inscrivent dans un climat tendu. Les manifestations se multiplient dans l’ensemble des gouvernorats, sur fond de crise économique et de défiance vis-à-vis des élites au pouvoir. Les militaires de l’ancienne armée du Sud, tenus à l’écart de la réunification de 1990, sont devenus le porte-drapeau de la contestation. Certaines voix sécessionnistes en profitent pour se faire de nouveau entendre.
Sanaa crépitait sous les feux d'artifice
Pourtant, l’esprit devait être à la fête. Le Yémen, comme l'ensemble du monde musulman, célèbre depuis vendredi 12 octobre l'Aïd el-Fitr, la fin du Ramadan. Mais ce 14 octobre 2007 marquait également le 44ème anniversaire du soulèvement du Sud-Yémen contre l'occupation britannique : jour de fête nationale pour saluer, selon l'agence de presse officielle yéménite SABA, « la révolution glorieuse dont la première étincelle a jailli des monts de Radfan ».
Alors que la ville de Sanaa crépitait sous les feux d'artifice, 4 manifestants trouvaient la mort à Radfan, à 300 kilomètres au sud de la capitale et au nord ouest d’Aden. Radfan, symbole de la résistance en 1963. Radfan, victime de sa désobéissance en 2007. Le gouvernement avait interdit toute manifestation. Les anciens militaires de l'armée du sud ont bravé les autorités.
Les accès à la ville du sud avaient été coupés. Selon l'agence d'information indépendante Mareb Press, la police et les forces anti-émeute seraient d’abord intervenues pour rappeler le caractère illégal du regroupement. Avant de procéder à des tirs de sommation pour disperser la foule. La confusion aurait été nourrie par l'arrivée d'habitants du village venus s'opposer aux forces de l'ordre. « Les contrevenants devraient prendre leurs responsabilités », avait prévenu dès le 6 octobre le ministère de l'Intérieur. Le Président Saleh, dans un discours prononcé à Aden dimanche, a déploré les heurts et les victimes. Il a ordonné l'ouverture d'une enquête.
Les oubliés de la réunification de 1990
Les événements de Radfan s’inscrivent dans une série de manifestations violemment réprimées par les forces de sécurité au cours des derniers mois : 1 mort à Aden en août, 2 morts à Dahle en septembre. L'opposition politique, conduite par le parti socialiste (ancien parti unique du Sud) et l'Islah (les islamistes du Rassemblement yéménite pour la réforme), détient les arguments pour appeler à la mobilisation : inflation de plus de 15%, taux de chômage estimé à 35% par la Banque mondiale, projet d'amendements constitutionnels qui fait craindre le renforcement du pouvoir présidentiel, aggravation de la corruption selon le dernier rapport de Transparency International…
Mais au mécontentement économique et salarial s'est greffée une autre contestation : celle des soldats de l'ancienne armée du sud-Yémen. Ils seraient 60 000, ces oubliés de la réunification de 1990, redevenus rebelles le temps d’une guerre-éclair en 1994. Ces derniers temps, ils ont été plusieurs milliers à descendre dans la rue, pour revendiquer une revalorisation de leurs retraites et une réintégration dans les forces régulières du pays.
C'est bien l’autoritarisme du Nord sur le Sud qui est dénoncé par l’opposition au président Saleh. Et les « rebelles » d’hier demandent aujourd'hui des comptes : sur la place qu'ils occupent effectivement dans le pays, sur la répartition des emplois publics (majoritairement réservés à ceux du Nord)... Des voix sécessionnistes en profitent pour se faire de nouveau entendre.
La commémoration du 14 octobre 1963 devait être celle d'un Yémen en marche vers la « souveraineté et l'invulnérabilité » (SABA). Le Président Saleh célébrait, au même moment à Aden, l'osmose et l’unité du pays, tout en promettant de solder le passif de la guerre de 1994.
La répression de Radfan est-elle une victoire pour le régime, dans son bras de fer avec l'opposition ? Elle a surtout le goût d'une défaite, avec 4 morts. Ils étaient malgré tout 80 000, dimanche, à célébrer une date pleine de promesses. Et à braver une nouvelle fois l’interdiction des autorités. La chaîne du Qatar al-Jazeera, présente sur place, n’a pas été autorisée à couvrir l’évènement.