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Etats-Unis / Turquie

Génocide arménien : les démocrates flanchent

par Stefanie Schüler

Article publié le 18/10/2007 Dernière mise à jour le 18/10/2007 à 18:02 TU

La présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi.(Photo : AFP)

La présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi.
(Photo : AFP)

L’affaire avait provoqué ces derniers jours des graves frictions entre Washington et Ankara. Cependant la résolution sur le génocide arménien semble perdre le soutien du Congrès américain, notamment dans le camp démocrate, majoritaire à la Chambre des représentants, qui avait lancé l’initiative. Les analystes émettent désormais des doutes quant au passage du texte au vote du Congrès en novembre.

« J’ai beaucoup de compassion pour le peuple arménien qui se bat pour ses ancêtres. Mais nous sommes confrontés aujourd’hui à la vraie vie. Parfois le cœur doit laisser la place à la raison pour entreprendre ce qui fait sens pour notre pays ». A entendre le parlementaire Steve Cohen, il n’y a plus aucun doute : un certain pragmatisme s’est emparé des démocrates américains.

Un pragmatisme dont s’est immédiatement félicité la Maison Blanche. En effet, le gouvernement Bush n’avait cessé ces derniers jours d’approcher l’opposition pour la faire changer d’avis concernant la résolution sur la reconnaissance du génocide arménien. George W. Bush qualifie ce texte de « contre-productif » et craint qu’il ne mette en danger les intérêts stratégiques des Américains dans la région, notamment en Irak, ainsi que ses relations avec Ankara.

L’argumentaire du gouvernement semble en tout cas porter ses fruits : depuis le début de la semaine, les démocrates sont de plus en plus nombreux à reculer devant la possibilité de soumettre cette résolution épineuse au vote de la Chambre des représentants à Washington.

Une résolution qui divise

La résolution reconnaît comme génocide les massacres d’Arméniens qui ont fait, selon les familles de victimes, plus de 1,5 million de morts après 1915 sous l’Empire ottoman. Ce texte a été voté par la commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants à Washington. Il devrait être ensuite soumis au vote en session parlementaire au Congrès. Même si la résolution était votée, elle n’entraînerait aucune obligation pour le gouvernement.

Tandis que l’Arménie se bat depuis des années pour que la communauté internationale reconnaisse les massacres de ses compatriotes entre 1915-1917 comme un génocide, la Turquie a toujours refusé ce terme. Ankara reconnaît la mort de 250 000 à 500 000 personnes mais, les attribue au chaos sévissant dans les dernières années de l’Empire ottoman.    

« Si la résolution était soumise au vote aujourd’hui, elle ne passerait pas » a commenté laconiquement le très influent démocrate John Murtha, mercredi. Et même la présidente démocrate de la Chambre des représentants, Nancy Pelosi, jusque-là déterminée à faire voter la résolution, a affirmé vouloir au moins reconsidérer son point de vue sur la question. 

« Les limites de notre tolérance ont été dépassées »

Pendant ce temps, Ankara maintient la pression. Après avoir immédiatement rappelé son ambassadeur à Washington, le Premier ministre turc a menacé les Etats-Unis de mesures de rétorsion si le Congrès reconnaissait officiellement le génocide arménien. « Quels que soient les dommages dont pâtira la Turquie, ses opposants auront à en subir dix fois plus. Nous sommes arrivés au point de considérer de nouvelles voies et méthodes. Les limites de notre tolérance ont été dépassées », a déclaré Recep Tayyip Erdogan lors d’une réunion du groupe parlementaire de son parti.

La réaction de la Maison Blanche ne s’est pas fait attendre : « Le Congrès a mieux à faire que de se mettre à dos une démocratie alliée dans le monde musulman, en particulier une qui fournit un soutien vital à notre armée tous les jours », a martelé George W. Bush. Les Etats-Unis ont en effet un besoin vital de l’aide logistique de la Turquie. 70% du ravitaillement aérien des troupes américaines en Irak passe par la base d’Incirlik, dans le sud de la Turquie.

« Ce n’est pas toujours la vérité qui gagne »

« Toute cette polémique ne tourne ni autour de la Turquie, ni autour de la question de savoir si la résolution est pro-turque ou pro-arménienne », a estimé John Tanner, un député démocrate du Tennessee. « De mon point de vue, il s’agit désormais uniquement de savoir si les Etats-Unis peuvent trouver une solution au conflit en Irak et ce, espérons-le, le plus rapidement possible ».

Les représentants démocrates à la commission des Affaires étrangères qui ont été à l’initiative de la résolution sur la reconnaissance du génocide arménien ne veulent toutefois pas se laisser abattre. Aux pressions exercées depuis Ankara, par le lobby pro-turc et la Maison Blanche, ils répondent dans un communiqué : « Si notre nation veut être un leader moral à travers le monde, nous devons avoir le courage de reconnaître un génocide n’importe où et quel que soit le moment où il se présente ».    

Adam Schiff, un membre de la commission qui avait voté pour la résolution, est tout de même sceptique. Il ne croit plus à l’adoption du texte par le Congrès : « Nous avons la vérité de notre côté. Mais ce n’est pas toujours la vérité qui gagne ».