Article publié le 23/10/2007 Dernière mise à jour le 23/10/2007 à 18:06 TU
De la Nouvelle-Galles-du-Sud, en Australie, jusqu’à la région du lac Huron, au Canada, en passant par les massifs marocains des Beni Saïd, la plupart des bassins versants sont menacés par l’érosion, la salinisation ou la pollution. Cette dégradation non seulement met en péril l’alimentation en eau douce de la terre, mais elle favorise aussi les glissements de terrains occasionnant une perte rapide de l’habitat et de la biodiversité. Elle résulte de la conjugaison de divers facteurs – physiques, climatiques, démographiques –, amplifiés néanmoins par… la main de l’homme.
Au Nord, plusieurs pratiques sont mises en accusation : l’agriculture et l’élevage intensifs, le défrichement systématique, l’utilisation massive d’engrais. Au Sud, sont visées certaines techniques agraires mal adaptées comme la culture sur brûlis, la déforestation et l’irrigation incontrôlée. A terme, ces procédés s’avèrent contre-productifs : ils condamnent à de faibles rendements et compromettent l’avenir des sols en favorisant la destruction des ressources existantes. L’appauvrissement des terres pousse alors à nouveau les hommes à la surexploitation, accentuant encore le processus menant à la désertification.
L’agro-écologie, un outil prometteur
Pour briser ce cercle vicieux et contrer l’érosion, il existe différentes solutions plus ou moins satisfaisantes comme la construction de barrages, de banquettes (culture en terrasse) ou encore la technique des zaï, consistant à creuser, à intervalles réguliers, de petites cuvettes dans la pente pour freiner le ruissellement et créer artificiellement des zones d’accumulation. « La difficulté majeure, précise Christian Leduc, directeur scientifique à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), réside dans la conciliation d’impératifs contradictoires entre le besoin de terres des populations et la nécessité d’agir contre l’érosion ».
Face à cette problématique, l’agro-écologie propose des solutions qui sont parmi les plus viables. Visant à garantir une utilisation durable des ressources, elle a pour principe de mettre l’écosystème au service des cultures, de réduire l’impact négatif de celles-ci sur les terres et l’eau tout en améliorant les rendements ; le plus souvent, il s’agit d’exploiter les sols sans labourer et sans utiliser d’intrants chimiques.
Dans les zones tropicales, la technique du semis direct sur couverture végétale est privilégiée. Le maintien d’un couvert végétal laisse le temps à l’eau de pluie de pénétrer la terre et, en limitant son ruissellement, d’atténuer l’érosion. Au final, le paysan améliore sa production puisqu’il augmente la fertilité de sa terre et économise le coût du labour et des engrais. C’est ce que les scientifiques appellent l’« intensification écologique », c’est-à-dire l’accroissement des rendements sans retomber dans les excès d’un productivisme destructeur de l’environnement. « En plus d’une révolution agricole, l’agro-écologie est devenue un ingrédient majeur dans les techniques d’aménagement des bassins versants : elle crédibilise nos actions auprès des populations », insiste François Jullien de l’Agence française pour le développement (AFD).
« Convertir » 25 000 ha au Cameroun dans les quatre prochaines années
Pourtant, si l’agro-écologie est un excellent remède contre l’érosion, elle ne peut pas être considérée en tout point comme la « solution miracle ». Elle se pratique encore difficilement sans herbicides, et certaines plantes de couverture se sont parfois révélées invasives. Enfin, certains avantages liés aux économies des coûts de labour et d’engrais sont surtout intéressants pour les grandes exploitations. Le modèle brésilien – c’est au Brésil que l’agro-écologie a été développée – n’est pas transposable tel quel dans les petites exploitations vivrières. « C’est là que l’apport de l’AFD se situe : nous essayons d’adapter les solutions agro-écologiques au paysannat tropical pauvre », précise François Jullien.
L’AFD a ainsi développé, avec le ministère français des Affaires étrangères et le Fonds français pour l’environnement mondial – chaque partenaire mettant 750 000 euros sur la table –, un Plan d’action global « Agro-écologie » (Paga). De 2002 à 2006, le Paga a essentiellement permis de tester différentes techniques agro-écologique sur les parcelles.
Son successeur, le Programme d’appui multi-pays pour l’agro-écologie (Pampa), actuellement en plein démarrage, devrait durer 5 à 6 ans et permettre une généralisation de ces techniques dans quatre zones principales : le Maghreb (en Tunisie, 6000 ha sont d’ores et déjà cultivés de manière agro-écologique), la zone cotonnière sub-saharienne (au Cameroun, l’objectif est par exemple de « convertir » 25 000 ha dans les quatre prochaines années), la péninsule indochinoise (Laos, Viêtnam, Cambodge), et enfin Madagascar et l’Afrique orientale.
« Les deux axes principaux du Pampa, explique Jean-François Richard de l’AFD, sont d’une part de privilégier une approche régionale pour mieux adapter les techniques aux spécificités locales, et d’autre part de diffuser ces techniques à une échelle plus significative ; en ayant des connaissances plus fines de leurs impacts économiques, on pourra les diffuser plus largement. » Financé par les trois mêmes partenaires (AFD 1,5 million d’euros, FFEM 1 million, MAE 750000), le Pampa pourrait aussi faire appel à des contributeurs privés.
L’expérience acquise au Sud pour réorienter les efforts au Nord
L’introduction de méthodes agro-écologiques a renouvelé l’approche de l’aménagement des bassins versants. Intégrant les préoccupations liées à la gestion des ressources en eaux, à la sécurité alimentaire et aux revenus des paysans, elle favorise en outre une approche participative, l’association des populations à une gestion rationnelle et durable des terres. Ce qui permet aux gouvernements d’honorer les engagements pris au titre du chapitre 13 de l’Agenda 21, l’un des instruments normatifs adopté lors de la Conférence de Rio de Janeiro (1992), qui les invite à promouvoir des « programmes intégrés de mise en valeur des bassins hydrographiques avec la participation effective des populations locales pour empêcher une aggravation du déséquilibre écologique ».
Dans les pays pauvres, pourtant confrontés à l’impérieuse nécessité de mettre en place des projets de protection des bassins versants, les moyens financiers sont insuffisants. A cet égard, Kofi Annan, le précédent secrétaire général de l’Onu, a maintes fois rappelé aux pays riches, notamment dans son rapport sur la mise en œuvre du développement durable (2006), leur responsabilité à l’égard du Sud.
C’est dans cette optique que le gouvernement français, par le biais de l’AFD, encourage et finance depuis dix ans la mise en oeuvre de nombreux programmes en Asie (Laos, Viêtnam, Cambodge) et en Afrique (dans les régions semi-arides ou tropicales). L’Agence a, par exemple, consacré une aide de 15 millions d’euros au « Programme national multi-bailleurs des bassins versants et des périmètres irrigués » adopté par le gouvernement malgache en 2006.
L’aménagement des bassins versants fournit ainsi un excellent exemple de coopération. D’abord calqué sur le modèle des pays développés, mais sans résultats, il a dû être adapté à la diversité et à la particularité des situations au Sud. Or l’expérience acquise dans les pays du Sud, notamment quant à l’utilisation de techniques agro-écologiques, pourrait servir à réorienter les efforts entrepris au Nord. Dans ce domaine, les agriculteurs français sont en effet en retard par rapport à leurs collègues européens, allemands ou espagnols. Il existe pourtant un énorme potentiel agro-écologique qui, en France, reste trop ignoré et en Europe encore largement sous-exploité.
par Olivier Rabaey