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Agro-écologie

Doubler les rendements et lutter contre l'érosion

Article publié le 23/10/2007 Dernière mise à jour le 23/10/2007 à 18:22 TU

Les techniciens BRL visitent la parcelle de Mme Alphonsine.(Photo : Stéphanie Pailler)

Les techniciens BRL visitent la parcelle de Mme Alphonsine.
(Photo : Stéphanie Pailler)

Dans l’une des plus vastes régions agricoles de Madagascar, à cinq heures de route au nord-est de la capitale, le projet « Bassins versants-Périmètres irrigués », financé par l’Agence française de développement et le Fonds français pour l’environnement mondial (FFEM), vise à améliorer le niveau de vie des paysans grâce à de nouvelles techniques de culture, tout en préservant l’environnement. En deux ou trois ans, les producteurs voient leurs sols redevenir très fertiles et parviennent au minimum à doubler leurs rendements.

Roger n’a plus beaucoup de dents, mais son sourire est éclatant. A 52 ans, ce paysan d’Ambohimiarina possède 3,5 hectares et 15 zébus. Mais surtout, Roger a pu s’offrir cette année une télévision et un groupe électrogène. Car sa vie a changé depuis qu’il a décidé de cultiver ses terres en suivant les techniques agro-écologiques proposées par le projet « Bassins versants-Périmètres irrigués », adopté par le gouvernement malgache, financé par l’AFD et le FFEM, et mis en œuvre par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (Cirad).

Révolution agricole : plus de labour !

La principale méthode agro-écologique recommandée consiste à protéger les sols par une couverture végétale permanente. Cette couverture peut être morte, comme de la paille de riz, ou vive, comme des plantes légumineuses. Elle reste en permanence dans les champs et le paysan sème du riz, du maïs ou du manioc par-dessus dès la première pluie en décembre. On appelle communément cette technique le SCV : semis direct sur couverture végétale permanente. Le SCV permet de restaurer la fertilité de la terre, d’accroître les rendements des paysans et de réduire les travaux pénibles puisqu’il n’y a plus besoin de labourer.

La vesce, une légumineuse plantée en couverture végétale, sera bientôt récoltée.(Photo : Stéphanie Pailler)
La vesce, une légumineuse plantée en couverture végétale, sera bientôt récoltée.
(Photo : Stéphanie Pailler)

Samuel est lui aussi un paysan d’Ambohimiarina. Sur sa parcelle de 30 ares, il a semé de la vesce en avril. Aujourd’hui, cette légumineuse est presque montée jusqu’à 1 m et bientôt il va pouvoir l’écraser avec un gros rouleau pour en faire un tapis. Ensuite, début décembre, il plantera du riz par-dessus. « Dans ma parcelle, le sol est humide. Grâce à la vesce, il est devenu plus fertile. Regardez la parcelle en face, de l’autre côté de la route : la terre est très sèche. Moi, grâce à la couverture végétale, ma production est passée de 300 kg à l’ha à 4 tonnes à l’ha aujourd’hui. » Samuel peut désormais vendre ce qu’il produit, il a commencé à faire des économies pour réhabiliter sa maison, alors qu’auparavant ses terres ne servaient qu’à nourrir sa famille.

Samuel a fait deux couvertures différentes sur sa parcelle : moitié paille de riz et moitié vesce ; il montre ici la paille de riz, sous les plants de poivron qu’il fait en maraîchage de contre-saison.(Photo : Stéphanie Pailler)
Samuel a fait deux couvertures différentes sur sa parcelle : moitié paille de riz et moitié vesce ; il montre ici la paille de riz, sous les plants de poivron qu’il fait en maraîchage de contre-saison.
(Photo : Stéphanie Pailler)

Pour en arriver là, Samuel a suivi des formations et il est encadré mois après mois par des techniciens de Bas-Rhône Languedoc (BRL), un bureau d’études français installé dans la région du lac Alaotra. Avec deux ingénieurs, onze techniciens et dix agriculteurs vulgarisateurs, BRL diffuse les techniques de SCV dans le cadre du projet. « On va dans les villages pour rencontrer les paysans et leur expliquer les techniques de SCV, explique Mahery Nirina, l’un des techniciens de BRL. Mais c’est toujours difficile au début, ils ne nous croient pas. Puis on les emmène sur des sites de démonstration et là ils veulent tout de suite faire partie du projet ! »

Une diversification bienvenue des revenus

Aujourd’hui, un millier de paysans a adopté ces techniques et environ 1000 ha sont cultivés en semis direct sur couverture végétale. Objectif pour le projet : atteindre d’ici cinq ans 6 000 ha cultivés en SCV. « Moi, ce qui m’a attiré, c’est la disparition totale des trous sur le terrain d’Alphonsine ma voisine, explique Volalana Andrianfidy, une paysanne d’Ambavahadiromba, tout au nord du lac, qui vient juste d’adhérer au projet. Sur ma parcelle, il y a beaucoup de ravines à cause du labour et des pluies, la terre est très abîmée et peu fertile. » Volalana a donc suivi des formations avec les techniciens et, en décembre, elle sera prête pour commencer le SCV.

Sa voisine Alphonsine, elle, a commencé en 2005. « Au début, quand les techniciens sont venus, je me méfiais, c’était inquiétant, c’était tout nouveau. Mais j’ai essayé et ça a marché : j’ai eu une très bonne récolte de maïs. Le problème c’est que des rats ont envahi la parcelle, ils se cachaient sous la couverture. J’étais découragée et j’ai dit aux techniciens que je voulais arrêter, mais ils m’ont proposé des solutions pour éliminer les rats. Et aujourd’hui je fais plus de deux tonnes et demi de maïs à l’ha. »

Mme Alphonsine (chapeau) et deux voisines.(Photo : Stéphanie Pailler)
Mme Alphonsine (chapeau) et deux voisines.
(Photo : Stéphanie Pailler)

Alphonsine a produit sur son terrain une couverture végétale à base de dolique, une légumineuse dont elle récolte les graines pour les vendre au marché. Ainsi, non seulement la dolique lui procure de nouveaux revenus, mais en plus elle a augmenté ses rendements. Et grâce à ce surplus de maïs, Alphonsine a engraissé ses cochons et les a vendus. Le SCV permet donc aux paysans de diversifier leurs revenus et d’accroître leur niveau de vie de façon significative en deux ou trois ans. D’ailleurs, les pionniers du SCV dans la région se passent maintenant des opérateurs du projet.

Un certificat foncier pour sécuriser la situation du paysan

« On aide les paysans, on les forme, mais l’objectif c’est qu’ils soient autonomes », souligne Philippe Grandjean, chef du projet « Mise en valeur et protection des bassins versants » au lac Alaotra. « On vise des actions durables, c’est pour cela qu’on a pris en compte dès le début toutes les problématiques de la situation des paysans du lac Alaotra, pas seulement les questions de fertilité et de rendements. » Ainsi, la réussite de la mise en place des techniques de semis direct dépend de la sécurité foncière : la première année, beaucoup de paysans ont abandonné car ils n’étaient pas propriétaires de leur terrain et sont partis. Aujourd’hui, le projet « Bassins versants-Périmètres irrigués » travaille uniquement avec des paysans propriétaires et les aide à obtenir un certificat foncier qui sécurise totalement leur situation.

La région du Lac Alaotra compte 100 000 ha de rizières et 80 % de paysans.(Photo : Stéphanie Pailler)
La région du Lac Alaotra compte 100 000 ha de rizières et 80 % de paysans.
(Photo : Stéphanie Pailler)

Autre clé du succès : l’autonomie financière des paysans. Le projet ne finance pas l’achat des intrants, mais aide les producteurs à s’organiser en groupements pour obtenir des crédits à la banque. Roger, le paysan aux 15 zébus, a ainsi décidé de créer un groupement dans son village avec les autres producteurs en SCV. Son association, qui va s’appeler « Vonona » (« On est prêt »), aura pour but de faciliter les achats d’engrais et de pesticides, et d’améliorer la commercialisation des récoltes.

« Grâce au projet, les paysans sont gagnants sur tous les plans et c’est comme cela qu’on arrive à protéger les bassins versants : il faut avant tout que les producteurs s’y retrouvent », explique Philippe Grandjean. En effet le SCV permet non seulement de reconstituer la biodiversité des sols (les plantes en couverture végétale jouent le rôle de véritables « pompes biologiques » grâce à leurs racines qui produisent des matières organiques, fixent l'azote, etc. ; les sols sont plus fertiles, plus humides, et on voit réapparaître des vers de terre et autres bestioles…), mais en plus il a un impact sur l’érosion qui mine cette région depuis des siècles. « Ces dernières décennies, l’érosion s’est accentuée », raconte Lanto Ravalitera, responsable du volet « Mise en valeur agricole et protection des ressources » du projet. « Ça commence par un tout petit trou puis toute la colline est avalée, et ça nuit aux rizières en bas. »

Lanto Ravalitera, responsable du volet « mise en valeur agricole » du projet, inspecte une couverture de dolique.(Photos : Stéphanie Pailler)
Lanto Ravalitera, responsable du volet « mise en valeur agricole » du projet, inspecte une couverture de dolique.
(Photos : Stéphanie Pailler)

Sur les terres de Roger, qui sont situées sur la pente des collines, le labour et les pluies faisaient dégringoler de grandes mottes de terre chaque année. Les techniciens lui ont proposé de planter de la brachiaria, qui sert de fourrage pour ses 15 zébus, re-fertilise le sol et, de plus, protège les pentes de collines de l’érosion.

Le projet « Bassins versants-Périmètres irrigués » est encore jeune, mais les premiers résultats sont très positifs. Les paysans qui pratiquent le SCV sont passés d’une agriculture de survie à une agriculture de surplus, tout en améliorant l’environnement, la biodiversité et les paysages de la région du lac Alaotra. « Moi je suis devenu riche, assure Léonce Randriamasimbola, 31 ans, en montrant son tout nouveau tee-shirt griffé. Mais il y en a beaucoup qui ne veulent pas se casser la tête et qui gardent les techniques traditionnelles. »  La tâche est lourde pour convaincre les paysans de changer durablement leurs habitudes de travail, mais le lac Alaotra semble en passe de relever le défi.

par Stéphanie Pailler