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Eau

Une question locale aux répercussions mondiales

Article publié le 23/10/2007 Dernière mise à jour le 23/10/2007 à 18:49 TU

Sans une mobilisation renforcée, les objectifs du Millénaire pour le développement relatifs à l’accès à l’eau et à l’assainissement ne seront pas atteints. Quand bien même ils le seraient, il restera après 2015 des centaines de millions de personnes à travers le monde dont le droit à l’eau ne sera pas respecté. Enjeu vital, source dès à présent de conflits, l’eau pose des questions techniques et économiques, mais aussi politiques.

L’eau n’a pas fini d’être à la Une de l’actualité. Aujourd’hui, selon le Pnud (Programme des Nations unies pour le développement), plus de 1,1 milliard de personnes n’ont pas accès à l’eau potable et 2,5 milliards à un assainissement de base ; près de 1,8 million d’enfants meurent chaque année – soit 4900 chaque jour – en raison de maladies dues à l’insalubrité de l’eau.

Des ouvriers ensevellissant les nouvelles canalisations.(Photos : Safiétou Kane)
Des ouvriers ensevellissant les nouvelles canalisations.
(Photos : Safiétou Kane)

Les objectifs du Millénaire en la matière sont de réduire de moitié, d’ici 2015, le pourcentage de la population mondiale qui n’a pas d’accès durable à un approvisionnement en eau, de même pour les services d’assainissement de base. Ils devraient pouvoir être atteints, à l’échelle globale, en 2016 pour l’accès à l’eau potable, mais pas avant 2022 pour l’assainissement. Cette moyenne cache de grandes diversités : au rythme actuel, ces objectifs ne seraient pas atteints en Afrique subsaharienne avant 2040 pour l’eau potable et 2076 pour l’assainissement. Ainsi, une chose est sûre : il restera après 2015 des centaines de millions de personnes à travers le monde dont le droit à l’eau ne sera pas respecté.

Un droit pourtant implicitement protégé par le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966), aujourd’hui ratifié par plus de 140 pays, et plus précisément ses articles 11 (le droit à un niveau de vie convenable) et 12 (le droit à la santé). En 2002, le Sommet mondial du développement durable (Johannesburg) rappelait que l’eau est un bien commun de l’humanité, à protéger et à partager équitablement… En attendant qu’un texte juridique contraignant sur le droit à l'eau soit un jour négocié et adopté, comme le demandent de plus en plus d’ONG (organisations non gouvernementales) et notamment Green Cross International et ses partenaires (www.watertreaty.org), les acteurs du secteur restent mobilisés. 

Le doublement annoncé de l’aide de la France

Depuis le premier Forum mondial de l’eau, organisé en 1997 à l’initiative du Conseil mondial de l'eau, plate-forme multilatérale créée l’année précédente, ces acteurs se retrouvent tous les trois ans pour définir les priorités et mobiliser les politiques en formulant des propositions concrètes sur les grandes questions du moment. Le prochain rendez-vous est fixé à Istanbul en mars 2009 – ce sera le 5e Forum mondial de l’eau.  D’ici là, chacun cherche à mettre en pratique les engagements pris précédemment, que ce soit à Mexico en 2006 (4e Forum) ou ailleurs.

La France, qui y consacre 268 millions d’euros par an d’aide bilatérale et 100 millions d’euros d’aide multilatérale (moyennes 2001-2003), a retenu le thème de l’eau parmi les sept secteurs prioritaires de sa coopération ; elle s’est engagée, en 2003, à doubler cette aide, particulièrement en Afrique, d’ici 2009. Elle en a fait également un axe privilégié de la coopération décentralisée en ouvrant aux collectivités françaises (loi du 9 février 2005) la possibilité d’une contribution volontaire dédiée au secteur de l’eau.

Opérateur principal de l’aide publique, l’Agence française de développement (AFD), dans son Cadre d’intervention sectoriel sur l’eau (mars 2007), précise que son engagement annuel moyen au cours des cinq dernières années dans le secteur a été de 145 millions d’euros, soit environ 20 % du total de ses engagements. Une période au cours de laquelle plus de 20 millions de personnes ont bénéficié de ses financements, dont 3,5 millions d’accès nouveaux à l’eau et 1 million à l’assainissement.

Les ONG se rassemblent au sein de la Coalition Eau

Dans la droite ligne de la réforme de la coopération intervenue en 2004, l’AFD doit étendre sa collaboration avec les organisations non gouvernementales. Celle-ci devait être facilitée par la naissance, en mars 2007, de la Coalition Eau, qui rassemble les ONG françaises intéressées (au nombre de 24 au 1er octobre 2007). A la suite de l’expérience vécue à Mexico, où « le manque de représentativité de la société civile » avait été « flagrant », est en effet apparu le besoin de mettre en place une « interface plus cohérente favorisant la coordination entre les ONG », soulignent les textes fondateurs de la Coalition. Et ce d’autant plus que Mexico a souligné « la nécessité de passer du global au local », précise Laurent Chabert, de l’ONG Eau vive.

La Coalition – qui se veut force de proposition et espère réunir l’accord de tous ses membres sur des priorités claires d’ici la fin du mois de novembre 2007 –, devrait se montrer particulièrement attentive à la prise en compte renforcée des acteurs locaux, au suivi des financements promis (par la France certes, mais aussi par le Banque mondiale, la Banque africaine de développement ou l’Union européenne, cette dernière s’étant déjà largement engagée), à la cohérence des actions et pas seulement des discours en matière de préservation de la ressource et, sur le terrain, à la transparence de la délégation du service de l’eau.

Si l’on s’accorde en effet à dire que l’eau, bien commun qui appartient à tous, est gratuite, son captage, son traitement, son transport jusqu’au consommateur, ce qu’on désigne globalement par « le service de l’eau », a un coût. Pour la durabilité du service, il faut recouvrer ce coût : cela se fait généralement soit par la facture d’eau, soit par subvention – mais la question de la pérennité de la subvention se pose alors très vite.  « Il faut inventer de nouvelles formules, explique Christophe Le Jallé, du réseau programme Solidarité Eau (pS-Eau), notamment pour ceux qui ne peuvent pas payer une facture mensuelle, mais peuvent payer au détail ; il ne faut pas oublier que l’eau payée par les plus pauvres à une borne-fontaine sera toujours moins chère que l’eau qu’ils achètent de toute façon. On peut aussi réfléchir à des modes de péréquation, de solidarité nationale ou locale ; en Afrique du Sud par exemple, les 6 premiers mètres cubes par mois sont gratuits pour tous. La facture des gros consommateurs paie celle des petits… » Des pistes de réflexion que l’on suit aujourd’hui en France, où, rappelle Henri Smets, de l’association Adede, « environ 2 à 3 millions de personnes ont beaucoup de mal à payer leurs factures d’eau »…

Demain, un volume d’eau disponible par habitant réduit

« Le problème de l’accès à l’eau et à l’assainissement ne se limite pas à des questions techniques ou économiques. C’est un enjeu de société, une question de solidarité et surtout un problème politique, qui doit être abordé et réglé comme tel », déclare la Coalition Eau. Une affirmation que Maurice Bernard, de l’AFD, pourrait presque reprendre à son compte, lui qui identifie, parmi les thèmes qui feront débat à Istanbul, « la mise en concurrence de deux usages de l’eau, source de sécurité alimentaire par l’agriculture à vocation nourricière d’une part, source de sécurité énergétique par les barrages et les biocarburants d’autre part ». Très politique également, « le principal sujet d’Istanbul, [qui] portera sur comment se préparer, s’adapter aux effets du changement climatique : l’eau va être de plus en plus au premier plan, car il va falloir gérer l’intensification des intempéries et en particulier des inondations, ainsi que l’augmentation du stress hydrique et l’arbitrage des conflits qui peuvent en découler, y compris liés aux déplacements des populations. »

De fait, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat prévoit que le réchauffement de la planète augmentera l’évaporation et réduira les précipitations dans les régions qui en manquent le plus – jusqu’à 20 % au Moyen-Orient et en Afrique du Nord. Le volume d’eau disponible par habitant pourrait y être réduit de moitié d’ici 2050.

« La raréfaction d’un élément dont l’importance symbolique et spirituelle est à la hauteur du rôle central qu’il joue dans nos sociétés provoquera des tensions nouvelles, et exacerbera les conflits de par le monde. L’Afrique, le Moyen-Orient et l’Asie centrale seront les premiers touchés. Les répercussions, elles, seront mondiales », avertissent en conséquence, dans un texte commun, Mikhaïl Gorbatchev, président du conseil d’administration de Green Cross International, et Jean-Michel Severino, directeur général de l’AFD, avant de préciser : « Si les conflits sont inévitables, la guerre ne l’est pas. Notre capacité à prévenir les “guerres de l’eau” dépendra de notre faculté collective à anticiper les tensions, et à trouver les solutions techniques et institutionnelles pour gérer les conflits émergents. La bonne nouvelle est que de telles solutions existent, et prouvent chaque jour leur efficacité. » Reste, pour les développer, à les faire connaître plus largement.

par Ariane Poissonnier

 

Pour la santé comme pour l’environnement : 2008, année de l’assainissement

« Faisons de 2008 une année remarquable pour l’assainissement dans le monde, une année qui mette en route des changements concrets positifs pour les millions, voire les milliards de personnes qui ne profitent toujours pas de cet élément de base du bien-être humain », a dit M. Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies lors de la première réunion préparatoire des activités de cette Année internationale de l’assainissement, qui sera lancée en novembre 2007 à New York.

« Il y a urgence à se mobiliser sur l’assainissement, renchérit Christophe Le Jallé, du réseau pS-Eau, qui pour diverses raisons a souvent été oublié par rapport à l’eau potable. Ce qui concerne l’évacuation des eaux usées et les excreta est, consciemment ou non, perçu comme appartenant à la sphère privée, comme une question ménagère, alors que les bénéfices d’un système d’assainissement peuvent être considérables, aussi bien en termes de santé que de scolarisation, de capacité au travail, et bien sûr d’environnement… Sans parler des progrès relatifs à la dignité humaine. C’est aux décideurs nationaux et locaux de se mobiliser, avec l’appui des bailleurs de fonds internationaux, en répondant aux attentes des usagers et en s’appuyant sur tous les intervenants locaux. »

La première priorité de la France, dans son doublement de l’APD dans le secteur de l’eau, est d’ailleurs l’assainissement, sans réduire pour autant l’effort sur l’eau potable. L’un des objectifs complémentaires que l’AFD se donne dans le secteur de l’eau est en conséquence un « rééquilibrage en faveur de l’assainissement », précise son cadre d’intervention sectorielle (mars 2007) ; son objectif est ainsi de permettre l’accès de 600 000 personnes nouvelles par an à l’assainissement et d’améliorer les systèmes existant de 2 millions de personnes par an.

L’accès à des infrastructures d’assainissement à domicile (ce qui ne veut pas dire obligatoirement raccordement à un réseau d’égouts, d’autres solutions peuvent être mieux adaptées) est à la fois un enjeu majeur de santé publique, et un enjeu environnemental de premier plan : traiter les eaux usées permet d’assurer une protection et une préservation de la ressource pour les générations présentes et futures.

par Ariane Poissonnier