Article publié le 23/10/2007 Dernière mise à jour le 23/10/2007 à 19:17 TU
Avec ses innombrables panneaux d’information, la décharge d’ordures de Mariannhill, à Durban, fait penser à… un centre touristique. Ici, une pancarte dirige vers le centre de tri et de récupération. Là, une autre indique le bassin de traitement du liquide provenant de la putréfaction des déchets. Plus haut se trouve un boma (grande case circulaire surmontée d’un toit de chaume), qui sert de salle de réunion, et des toilettes écologiques. Sur les collines boisées qui ceinturent la décharge, un chemin mène à une réserve écologique créée sur les 22 hectares de la zone tampon, qui sépare le site des maisons les plus proches. La décharge a sa propre pépinière de plantes indigènes et même un observatoire pour contempler les 109 espèces d’oiseaux.
C’est sur ce site modèle, devenue un centre d’attraction pour les écoliers, les promeneurs du dimanche et les ornithologues, que l’on trouve la première centrale en Afrique de production d’électricité, à partir du méthane produit par la fermentation des déchets. « Le principal but de cette centrale n’est pas de produire de l’électricité, mais de réduire les émissions de méthane, qui contribuent au réchauffement climatique », explique Vincent Rousset, représentant de l’Agence française de développement (AFD) en Afrique australe. Capté grâce à des puits forés dans la décharge, le gaz est brûlé pour actionner une turbine, qui produit de l’électricité. La centrale a été importée d’Europe. Elle est petite, simple et très peu bruyante.
Réduire les émissions de 4,5 millions de tonnes équivalent carbone en vingt ans
« La lutte contre le réchauffement climatique est l’une des priorités de l’AFD, poursuit Vincent Rousset. Nous avons décidé de financer ce projet en 2004 parce que l’Afrique du Sud connaît les mêmes problèmes que les pays industriels en termes d’émissions de gaz à effet de serre. » Alors que 90 % de son électricité est produite à partir du charbon, le pays de Mandela est le 3e plus gros pollueur au monde, si l’on compare le volume de ses émissions de gaz à effet de serre (306 millions de tonnes par an) à son produit intérieur brut ! Les décharges sont à elles seules responsables de 4 % des émissions : le méthane est 21 fois plus nocif que le dioxyde de carbone. Le projet devrait permettre de réduire les émissions de 4,5 millions de tonnes équivalent carbone en vingt ans.
Pour respecter leur engagement à diminuer les gaz à effet de serre dans le cadre du Protocole de Kyoto, les industries des pays industrialisés peuvent, en effet, acheter des « certificats de réduction d’émission ». Ces « crédits carbone » servent à financer des projets favorisant la réduction des émissions dans les pays du Sud. Aujourd’hui, les crédits carbone sont échangés librement sur le marché privé. Au moment du lancement du projet à Durban, ces certificats étaient gérés par la Banque mondiale, au travers du Fonds prototype de carbone, financé notamment par la France. « Nous voulions soutenir un projet en Afrique dans ce cadre, confie le représentant de l’AFD. La formule de financement est très innovante : nous avons accordé un prêt classique de 6 millions d’euros à la municipalité de Durban, associé à la vente de crédits carbone. »
Se battre avec passion pour faire aboutir le projet
La première centrale a été inaugurée en décembre 2006 à Mariannhill. Deux autres sont prévues dans les décharges de Durban, à Bisasar (février 2008) et La Mercy. Au total, 148 puits de forage seront creusés et les centrales produiront 6 MW/h d’électricité. Une paille quand on sait que Durban, la deuxième ville du pays, consomme 2000 MW/h ! « Sans les crédits carbone, le projet ne serait pas viable, explique John Parkin, directeur-adjoint à la municipalité de Durban, en charge de la gestion des déchets solides (Durban solid waste). Produire de l’électricité à partir de méthane coûte le double du charbon. » Mais grâce à la vente des crédits carbone, la Ville devrait engranger un profit net de 400 millions de rands (40 millions d’euros) en vingt ans, après déduction des investissements (140 millions de rands) et des frais de fonctionnement (60 millions).
Le projet pourrait même rapporter plus. « Quand nous avons négocié avec la Banque mondiale en 2003, nous avons obtenu 3,95 dollars/tonne pour un volume total de 3,8 millions de tonnes d’équivalent carbone non émis, précise John Parkin. En 2012, nous espérons renégocier ce prix à la hausse. Il existe aujourd’hui un marché privé où les crédits carbone se négocient à plus 10 euros ! » John Parkin se heurte néanmoins à un sérieux écueil : la pénurie d’ingénieurs. « Je n’ai qu’un ingénieur sur les quatre dont j’ai besoin. Les autres sont partis dans le secteur privé, qui offre des salaires beaucoup plus élevés. Si je ne parviens pas à en recruter de nouveaux, il faudra peut-être céder le projet à un opérateur privé. »
John Parkin se sent orphelin depuis le départ de son « champion », Lindsay Strachan : « Il s’est battu avec passion pendant cinq ans pour faire aboutir le projet. Il a d’abord fallu convaincre notre administration, qui ne comprenait pas pourquoi, avec les crédits carbone, on vous paie pour quelque chose que vous ne produisez pas ! On a aussi perdu deux ans à cause de l’opposition des riverains de Bisasar. »
« Grâce à ce projet, j’ai trouvé du travail »
La grande maison blanche de Rafique Khan a une vue imprenable sur les 44 hectares de la décharge de Bisasar, où un ballet de 900 camions déverse chaque jour 3 500 tonnes de déchets. « Depuis 1987, la Ville nous promet de fermer cette décharge. Maintenant, on va la prolonger à cause de ce projet, affirme-t-il. Nous souffrons du bruit, de la puanteur et de la pollution, qui a causé de nombreux cas de cancer dans le voisinage. » Sa sœur, Sajida, décédée d’un cancer en juillet 2007, était à la pointe du combat contre la décharge.
John Parkin reconnaît que la décharge de Bisasar, ouverte en 1976 par le régime d’apartheid au cœur d’un quartier résidentiel indien proche du centre-ville, a été très mal gérée. Il n’y a même pas de zone tampon. « Mais la récupération du méthane pour produire l’électricité va réduire la pollution et les mauvaises odeurs. Nous fermerons la décharge d’ici six ou huit ans. En attendant, nous sommes en train d’améliorer sa gestion. »
Les 1200 familles noires du bidonville, au pied de la décharge, ne partagent pas l’opposition des riverains indiens : « Grâce à ce projet, j’ai trouvé du travail, même si c’était temporaire, se réjouit Siboniso Somzana, un jeune de 25 ans, qui a creusé des tranchées pour installer les canalisations. Avant, mes parents allaient sur la décharge pour récupérer des déchets. Mais aujourd’hui, c’est très contrôlé et 80 % des gens sont au chômage. » Le projet a permis de créer 45 emplois temporaires à Bisasar.
D’autres décharges concernées
D’autres écueils ont été rencontrés, comme à La Mercy, en raison d’un mauvais drainage de la décharge. Le projet est néanmoins une grande réussite pour ses promoteurs. Il devrait faire des petits en Afrique du Sud et ailleurs sur le continent : la décharge d’Erkhuleni, près de Johannesburg, a déjà conclu un contrat avec une société espagnole. L’AFD étudie, de son côté, de nombreuses autres idées pour promouvoir les énergies renouvelables et améliorer l’efficacité énergique en Afrique du Sud : « Maintenant, tout le monde veut faire de l’énergie verte et du certificat carbone, constate Rousset. Le gouvernement sud-africain a adopté un plan d’ensemble mais il manque encore les mesures incitatives. »
Les crédits carbone sont-ils la panacée ? Certaines ONG y voient une nouvelle forme de colonialisme, où les industries du Nord achètent le droit de polluer, en payant les pays pauvres. « Il faut le voir comme un effort global, répond Vincent Rousset. Les entreprises des pays riches devront aussi faire des efforts, car le prix des certificats ne cesse d’augmenter. »
par Valérie Hirsch