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Canada / Afghanistan

Ottawa emploie des mercenaires à Kaboul

par Stefanie Schüler

Article publié le 25/10/2007 Dernière mise à jour le 25/10/2007 à 16:14 TU

Le gros des troupes canadiennes est déployé dans le sud de l’Afghanistan, dans la région de Kandahar.(Photo : AFP)

Le gros des troupes canadiennes est déployé dans le sud de l’Afghanistan, dans la région de Kandahar.
(Photo : AFP)

L’affaire pourrait se transformer en scandale « Blackwater à la canadienne » : Ottawa a dépensé plusieurs millions de dollars dans des services d’entreprises de sécurité privées à travers le monde, dont une particulièrement controversée, en Afghanistan. La firme britannique Saladin Security protège l’ambassade canadienne et ses hauts fonctionnaires à Kaboul. Un appui que les soldats canadiens ne peuvent pas fournir : seuls 30 des 2500 soldats canadiens déployés en Afghanistan sont stationnés à Kaboul. 

L’heure était aux explications musclées ce mercredi  à la Chambre des communes d’Ottawa : après les révélations du quotidien canadien Le Devoir sur le recours du gouvernement à des mercenaires pour assurer la sécurité de ses fonctionnaires en Afghanistan, l’équipe du Premier ministre Stephen Harper a dû se justifier.

En première ligne le ministre des Affaires étrangères Maxime Bernier. Devant les députés, celui-ci s’est contenté de confirmer l’emploi de la société Saladin en Afghanistan. Mais les conditions de cet engagement sont restées dans l’ombre. Un peu plus tard dans la journée, le porte-parole du ministère des Affaires étrangères Rodney Moore a expliqué que les contrats pour recourir aux services de sociétés privées étaient du ressort et de la responsabilité des missions diplomatiques à l’étranger : « Je peux seulement vous dire que les entreprises sont certifiées et enregistrées auprès du gouvernement local et sont assujetties aux lois du pays, peu importe l’endroit dans le monde ».

15 millions de dollars versés en un an à des firmes privées

Selon les révélations du quotidien Le Devoir, le ministère des Affaires étrangères a dépensé en 2006-2007 près de 15 millions de dollars auprès de différentes entreprises privées pour protéger ses ambassades et son personnel sur un budget global de sécurité de 29,9 millions. Près de 1,5 millions de dollars ont été versés à deux sociétés privées particulièrement controversées : Blackwater et Saladin.

Saladin Security Ltd.  

Saladin Security est une entreprise privée britannique basée à Londres. La société est issue de la firme KMS (Keeenie Meenie Services), fondée en 1975, qui a été impliquée dans de nombreuses opérations clandestines. Elle a notamment joué un rôle important en Afghanistan dans les années 80 : lors de la guerre entre les moudjahidines afghans et l’Union soviétique, KMS a entraîné la résistance afghane pour combattre les Russes, à la demande de la Grande-Bretagne. Au cours des années suivantes, la société a travaillé en Afrique et en Amérique latine en collaboration avec la CIA et les services secrets britanniques. 

Selon les informations fournies par la firme, la force de Saladin en Afghanistan s’élève à plus de 2000 employés, soit presqu’autant d’hommes que l’armée canadienne. Mais le gros des troupes d’Ottawa est désormais déployé dans le sud du pays, dans la région de Kandahar. Seulement une trentaine de soldats sur les 2500 du contingent sont stationnés dans la capitale afghane. Cette équipe logistique n’est pas en mesure de protéger l’ambassade canadienne ni d’escorter son personnel.

Saladin Security gagne beaucoup d’argent dans ce contexte favorable aux entreprises de sécurité privées. Pour ses services fournis aux Canadiens, la société s’est fait payer 493 000 dollars depuis l’année dernière. Dans les rue de Kaboul, ses salariés sont facilement reconnaissables. Ils patrouillent aux alentours de l’ambassade du Canada en « uniforme » de paramilitaires - casquette de baseball sur la tête et fusil au poing. « Cela me trouble », a avoué le député libéral Denis Coderre au quotidien Le Devoir. « On a 2500 militaires là-bas, c’est à nous de faire ce travail (de protéger l’ambassade ndlr)! Il faut être prudent. Si on a vraiment besoin de ce type de mercenaires, il faut être transparent et dire pourquoi ».  

Cependant, Ottawa ne fait pas seulement appel à Saladin, mais engage également la concurrence américaine : Blackwater.

Blackwater

Blackwater est l’un des plus grands bénéficiaires de ce qu’on appelle « la privatisation de la guerre ». La société, basée à Moyock en Caroline du Nord, emploie actuellement 2 300 personnes dans neuf pays. Quelques 20 000 autres contractuels sont à sa disposition. Blackwater fait aujourd’hui face à de possibles accusations pour avoir tiré, en septembre dernier, sur des civils irakiens, sans provocation apparente, tuant 17 d’entre eux.

Le Canada n’utilise pas les services de Blackwater et de Saladin de la même manière : alors que Saladin assure la protection de ses citoyens et des installations sur le terrain en Afghanistan, Blackwater partage son savoir-faire avec des soldats canadiens, triés sur le volet. 18 militaires ont été entraînés en juin dernier au QG de Blackwater aux Etats-Unis. Un service que la société facture cher : pour la somme de 29 000 dollars ces Canadiens ont été préparés à ce qu’ils allaient vivre dans la capitale afghane et à savoir comment réagir en cas de problème.  

« A la recherche de l’expertise »

« Les Forces canadiennes cherchent de l’expertise et n’en trouvent pas, sauf dans ces entreprises », analyse le lieutenant-colonel à la retraite Rémi Landry dans les colonnes du Devoir. « La majorité des employés de ces firmes sont d’anciens militaires qui ont de l’expérience dans des zones de conflit comme l’Irak ou l’Afghanistan. Pour faire un raccourci dans la courbe d’apprentissage des soldats, le gouvernement fait appel à ces firmes ».

A Ottawa les partis d’opposition ont demandé au ministre des Affaires étrangères de déposer en Chambre une copie des contrats signés avec ces sociétés privées. Mais le gouvernement refuse pour l’instant d’accéder à cette requête.