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Côte d'Ivoire

Laurent Gbagbo : «Je dors mieux depuis que Chirac n'est plus là»

par Alpha Barry

Article publié le 30/10/2007 Dernière mise à jour le 30/10/2007 à 11:41 TU

Dans un entretien accordé à RFI, le président ivoirien, Laurent Gbagbo, s'explique sur sa décision de supprimer la carte de séjour pour les étrangers. Il revient aussi sur les audiences foraines et la faible fréquention qu'elles suscitent. Laurent Gbagbo fait également le point sur ses relations avec la France, depuis l'arrivée à l'Elysée de Nicolas Sarkozy. Entretien réalisé par Alpha Barry.  

«<em>Je suis pressé d'aller aux élections</em>», affirme le président ivoirien.(Photo : AFP)
«Je suis pressé d'aller aux élections», affirme le président ivoirien.
(Photo : AFP)

RFI : Vous avez déclaré la suppression de la carte de séjour. Est-ce que ce n’est pas une annonce électoraliste ?

Laurent Gbagbo : Depuis 1990, je suis contre la carte de séjour. Maintenant que j’ai une occasion de pouvoir la supprimer, je la supprimerai. Maintenant, il reste techniquement à mettre cela en pratique, mais cela ira vite. En tout cas, d’ici deux semaines, ce sera fait.

RFI : Si la carte de séjour n’existe plus, qu’est-ce que vous allez faire pour que les étrangers ne soient pas inquiétés sur leurs carte d’identité ?

Laurent Gbagbo : Mais c’est la carte de séjour même qui est le tourment. C’est parce qu’on recherche la carte de séjour, qu’on les tracasse. Je voudrais vous dire ce qu’un compagnon d’Houphouët, Laurent Dona Fologo, m’a dit après mon meeting, puisque que c’est de lui qu’il s’agit, il m’a dit, vous savez, en août 1993, Houphouët Boigny a dit : « Je vais supprimer la carte de séjour, parce que l’on me dit que ça sert à torturer les étrangers, à les pourchasser partout, même dans les mosquées pour leur demander de l’argent, donc ce n’est pas une bonne chose ». Si c’est pour l’identification des étrangers, on peut les identifier autrement, à partir de leur propres papiers d'identité. 

RFI : Cette annonce intervient dans le contexte de paix et de réconciliation surtout entre la Côte d’Ivoire et le Burkina.  On a envie de savoir entre Blaise Compaoré ou vous, est-ce que c’est vraiment réel, ou bien est-ce que c’est quelque chose de passager comme d’habitude ?

Laurent Gbagbo : Mais pourquoi vous dites "comme d’habitude" ? Est-ce qu’il y a déjà eu un premier bruit que la réconciliation était mal faite ?

RFI : C’est une réconciliation définitive alors ?

Laurent Gbagbo : Ecoutez, Blaise Compaoré et moi, nous nous connaissons, nous sommes camarades, nous sommes amis depuis longtemps. Je ne veux même pas parler de l’aspect affectif qu’il y a entre nous, parce que ça, ça ne regarde que nous. Mais je veux dire, du point de vue des intérêts, nous sommes chefs d’Etat de deux Etats voisins. Et deux Etats voisins, leur intérêt, c’est de vivre en paix, pour que l’économie marche, pour que les gens circulent.

RFI : Les audiences foraines ont commencé mais comment expliquez-vous qu’il y a un faible taux de participation ?

Laurent Gbagbo : C’est parce que vous êtes à l’étranger, que vous croyiez que les gens allaient être très, très nombreux.

RFI : Mais certaines sources parlaient de trois millions de personnes concernées...

Laurent Gbagbo : Ces personnes ont tort, je ne sais pas où elles ont pris leurs chiffres. Je vous signale quand même que 70 % de la population ivoirienne a moins de 30 ans. Or, les jeunes de 30 ans et moins, ils ont tous été déclarés, pratiquement tous. Donc, ce n’est pas étonnant qu’il n’y ait pas une affluence. C’est pour ceux qui n’ont jamais été déclarés à l’état-civil.

RFI : Vous pensez qu’ils ne sont pas nombreux ?

Laurent Gbagbo : Je pense qu’ils sont beaucoup, beaucoup, beaucoup moins nombreux qu’on ne le dit et je pense que l’affluence telle qu’elle se manifeste aujourd’hui, correspond à l’idée que je me faisais de ceux qui n’ont pas été déclarés. 

RFI : Alors sur le processus, l’avancée du processus notamment, les Nations unies se sont inquiétées de la lente évolution de ce processus. Comment réagissez-vous ? Jusque-là, il n’y a eu que des actions symboliques ?

Laurent Gbagbo : Mais les Nations unies ont tort de dire cela. Il n’y a pas eu que des actions symboliques. Le fait que le président de la République aille à Bouaké, qui est une ville de Côte d’Ivoire, ce n’est pas un acte symbolique.

RFI : Les forces nouvelles retiennent toujours leur territoire...

Laurent Gbagbo : Attendez, attendez, attendez ; le fait qu’on prenne des fusils, entre 2 000 et 3 000 fusils et qu’on les brûle, ce n’est pas un acte symbolique. Le fait qu’aujourd’hui, les gens circulent de la frontière du Burkina à Abidjan et vice versa, de l’est à l’ouest et vice versa, ce n’est pas symbolique. Le fait que les gens qui sont de Solofo, de Kolongo, de Ferké, de Ouangolo, aillent dans leurs village aujourd’hui et reviennent à Abidjan, ce n’est pas symbolique. Donc, moi, je crois que l’on ne s’entend pas sur les mots ; c’est dommage, mais c’est nous qui sommes dans le vrai. Moi aussi, je pense que c’est assez lent, parce que je suis pressé d’aller aux élections, mais on ne peut pas baptiser ces actes-là d’ « actes symboliques ». Je regrette de leur dire cela, mais ce n’est pas vrai.

RFI : Vous dites à tout moment que vous êtes pressé d’aller aux élections ; vos adversaires disent qu’ils ne croient pas à votre sincérité, que quelque part, c’est vous qui bloquez un peu le processus ?

Laurent Gbagbo : Oui, mais ceux-là, ceux qui ont amené la guerre, que voulez-vous qu’ils disent d’autre ? Je les attends aux élections, puisque de toute façon, on ira aux élections, mais je ne veux pas en dire plus pour le moment.

RFI : Il y a quelques mois déjà, Chirac est parti et Sarkozy est arrivé à la présidence française. Qu’est-ce que cela a changé pour vous, pour la Côte d’Ivoire et la France ?

Laurent Gbagbo : Cela a changé beaucoup de choses. Chaque matin, la France ne répète plus que le problème de la Côte d’Ivoire, c’est Gbagbo Laurent. Et cela déjà, ce n’est pas symbolique, là non plus, c’est un acte très palpable. Je respire mieux et je dors mieux, depuis que Chirac n’est plus là et qu’il est remplacé par un autre.

RFI : Il vous empêchait tant de dormir ?

Laurent Gbagbo : Oh oui ! Parce qu’il avait une curieuse façon de voir : il pensait que c’était le président élu par les Ivoiriens qui avait un problème pour la Côte d’Ivoire, parce qu’il ne voulait pas voir que ses amis eux-mêmes sont des problèmes pour la Côte d’Ivoire. Alors quelqu’un qui raisonne comme cela, ma foi, qu’est-ce qu’il veut ? Il ne veut pas la démocratie ? Moi, s’il y a la démocratie aujourd’hui en Côte d’Ivoire, on ne peut pas dire que je ne suis pour rien dans l’avènement de la démocratie en Côte d’Ivoire. Je me suis battu, j’ai connu la prison, j’ai connu l’exil. Alors, quand un chef d’Etat français, malgré cela, répète qu’il faut éjecter celui qui a été élu, je pense qu’il y a un problème quelque part.

RFI : Mais comment expliquez-vous que vos amis de l’Internationale socialiste vous éjectent aussi ou éjecte votre parti ?

Laurent Gbagbo : Notre parti n’est pas éjecté. Affi N’Guessan qui est le président du FPI (Front populaire ivoirien) est vice-président de l’International socialiste. Ce sont des Français, des socialistes français qui, en tant que Français et non pas en tant que socialistes, ont crié. Mais ça… je ne leur réponds même pas pour le moment. J’attends le moment où nous parlerons.