par Valérie Lainé
Article publié le 30/10/2007 Dernière mise à jour le 30/10/2007 à 15:46 TU
RFI : Que pense-t-on à Bruxelles de l’affaire de l’Arche de Zoé, cette tentative de transport du Tchad vers la France de 103 enfants, qui a conduit hiersoir à l’inculpation, à Abéché, de 16 Européens ?
Louis Michel : La Commission s’est déjà prononcée largement sur cette question. Nous condamnons évidemment totalement cette action irresponsable d’essai de faire venir une centaine d’enfants du Tchad en France. Il est évident que la nature de cette situation est très sérieuse et donc, il y a indiscutablement des poursuites judiciaires qui semblent maintenant démarrer. Je peux simplement ajouter un élément, c’est qu’aucun lien n’existe entre les activités humanitaires de la Commission et ces deux associations. Il n’y a donc pas de partenariat, il n'y en jamais eu avec la Commission européenne. Et donc, c’est très bien ainsi.
RFI : Est-ce que vous pensez que l’action humanitaire de l’Europe à laquelle vous travaillez au quotidien va pâtir d’un tel scandale ?
Louis Michel : J’espère bien que non. Il faut bien se rendre compte que ceci est un cas isolé, et ce serait extrêmement injuste que les hommes et les femmes qui travaillent dans les ONG qui sont nos partenaires et les organisations internationales comme les agences de l’Onu par exemple, qui d’ailleurs souvent travaillent dans des conditions extrêmement difficiles, extrêmement pénibles, en pâtissent. Ils vont évidemment continuer à avoir notre soutien. Il ne faut pas tout mélanger. Ce n’est pas parce qu’une ou deux associations se comportent de manière irresponsable, qu’il faut condamner tout le travail remarquable qui est effectué par les ONG et par nos partenaires classiques. Ceux-ci ne sont pas nos partenaires du tout. Nous ne les connaissons absolument pas dans nos relations de partenariat.
RFI : Sur un autre plan plus politique, Louis Michel, est-ce que cette crise risque de compromettre l’envoi d’Eurofor, cette force européenne censée se déployer au Tchad et en Centrafrique, à partir de novembre, pour aider au règlement du conflit du Darfour ?
Louis Michel : Pour les informations que j’ai, non. Le gouvernement du Tchad a déjà indiqué que cette affaire n’aurait aucune influence sur le dispositif des forces européennes, que le Tchad soutient toujours. Donc, c’est un incident qu’il faut considérer comme un incident isolé. C’est grave évidemment, mais cela ne peut pas affecter nos relations avec le Tchad. Et j’aurai d’ailleurs un rendez-vous téléphonique avec le président Déby, plus que probablement ce matin. Il était fixé pour hier soir, mais malheureusement cela n’a pas pu avoir lieu. Donc j’en saurai sans doute un peu plus de ce point de vue-là.
RFI : Là, vous répondez du côté tchadien, mais du côté européen, on sait que nos partenaires européens ne sont pas très enthousiastes pour participer à cette opération, derrière les Français. Est-ce que cela ne va pas les rendre encore plus méfiants ?
Louis Michel : Je n’en n’ai pas le sentiment. Je pense que les pays qui se sont engagés à apporter un soutien, vont le maintenir. Il ne faut pas mettre cela en péril, à cause de cet incident malheureux et inacceptable, mais l’un n’est pas en lien avec l’autre, évidemment.
RFI : Donc pas trop de pessimisme. Alors, l’autre activité euro-africaine du jour, ce sont les invitations lancées aujourd’hui par l’Union européenne au sommet UE / Afrique des 8 et 9 décembre, à Lisbonne. Après plusieurs semaines de polémique, les 27 vont-ils, oui ou non, convier le président du Zimbabwe, Robert Mugabe, interdit de séjour sur le territoire de l’Union ?
Louis Michel : Je pense que tous les pays africains auront été sans doute invités pour une raison très simple, c’est que ce n’est pas un sommet entre le Zimbabwe et l’Union européene, c’est un sommet entre l’Afrique et l’Union européene et il est grand temps que ce sommet ait lieu. Je suis le premier attristé que ce sommet ait dû attendre autant d’années, alors qu’il devait avoir lieu déjà il y a plusieurs années. Alors que l’on sait qu’il y a eu un sommet entre la Chine et l’Afrique, qu’il va y avoir un sommet entre le Japon et l’Afrique, alors que nous sommes des continents voisins : l’Afrique et l’Europe.
Tout le monde sait parfaitement que les destins des Européns et les destins des Africains sont intimement liés, parce que nous sommes des continents voisins ; aussi parce qu’il y a eu des liens historiques parfois d’ailleurs extrêmement pénibles, mais aussi des liens historiques porteurs. Donc, je ne peux pas admettre que l’on puisse mettre en cause ou que l’on pourrait hypothéquer la tenue de ce sommet. Il est urgent que l’on ait ce sommet, parce qu'il a pour objectif d’abord de changer la nature de la relation entre les Africains et les Européens.
RFI : Alors justement, Louis Michel, est-ce que la Grande-Bretagne, qui est l’ancien colonisateur du Zimbabwe, reste dans le passé. Est-ce qu’elle fait passer la résolution de sa relation bilatérale avant une politique européenne ?
Louis Michel : Moi, je ne juge pas la Grande-Bretagne et je ne juge pas le Premier ministre britannique. C’est son droit non seulement d’avoir cette appréciation sur Mugabe, que je partage d’ailleurs, mais c’est son droit de décider de ne pas y aller. Moi, je le regrette parce que la Grande- Bretagne est un partenaire important en Afrique. C’est un partenaire important en Europe et donc je regrette évidemment que la Grande- Bretagne pourrait ne pas être représentée au plus haut niveau, mais c’est le droit de la Grande-Bretagne. C’est sa responsabilité. Moi, je n’ai pas à juger la Grande-Bretagne dans cette affaire.
RFI : Louis Michel, vous évoquiez tout à l’heure, le fait qu’un sommet avait eu lieu entre la Chine et l’Afrique et qu’il serait tout de même dommageable que l’Europe ne fasse pas aussi bien. Est-ce que vous êtes inquiet de la pénétration de l’Asie en Afrique ? La Chine, le Japon qui feraient mieux que l’Europe ?
Louis Michel : Absolument pas. Je suis parmi ceux qui ne sont pas du tout inquiets de cela. Il est de la liberté la plus normale des Africains d’ouvrir des relations partenariales avec tous les grands acteurs du monde. Je pense que c’est une évolution naturelle, normale, qui montre d’ailleurs que politiquement, l’Afrique prend conscience de son poids géostratégique, et c’est très bien pour elle. Je crois que l’Afrique a raison de faire cela. Elle a raison de forcer à la multiplication des offres partenariales. Cela indiquera aussi à certains partenaires européens que rien n’est acquis, et que l’on doit dans une certaine mesure, quand on veut peser géostratégiquement, il faut être extrêmement actif, il faut être propositionnel, il faut être comme on dit « sur la balle ».
Je pense que l’Europe et l’Afrique évidemment, ont un futur qui est commun, ont des relations privilégiées, mais cela n’enlève rien au fait que les Africains ont tout à fait le droit - c’est légitime- de chercher des partenariats en dehors de l’Union européenne. Je pense que pour ce qui concerne la Chine, il faut arrêter de faire peur avec cela. Je pense que les limites du partenariat africo-chinois disons, ces limites sont quand même connues. A un moment donné, les Africains vont devoir se rendre compte qu’il y a un risque de retour à l’endettement, puisque vous savez, la grande différence entre la Chine et nous, c’est que nous faisons des dons, la Chine fait des prêts. Donc, il y a nécessairement un risque d’endettement. A un moment donné d’ailleurs, il n’est pas exclu que les Chinois eux-mêmes, s’ils veulent continuer à se déployer en tant que partenaires en Afrique, soient obligés de chercher une caution extérieure à eux-mêmes. Et le modèle européen, de ce point de vue-là, je crois qu’il ne doit rien à personne, ni sur les droits de l’homme, ni sur la manière dont le partenariat est engagé.
RFI : Qu’est-ce que l’Europe peut offrir de plus que l’Asie à l’Afrique, en dehors d’offrir des dons plus que des prêts ? Est-ce qu’on a pas un discours différent sur l’énergie, l’immigration, le changement climatique ?
Louis Michel : Non, je pense que justement ce que l’Europe peut offrir, ce sont ces transferts de technologies dans le domaine de l’énergie ou de la recherche scientifique, aussi de la qualité alimentaire, la mise à niveau des produits qui leur permettront d’arriver sur nos marchés. Je rappelle quand même que nous sommes le premier partenaire commercial de l’Afrique. Donc, l’Europe peut offrir aussi son modèle, son expérience et son passé.
Dans le fond, ce que l’Europe a réalisé en 50 ans - c’est Desmond Tutu qui disait cela l’an dernier pendant les journées du développement de la Commission – : « Ce que l’Europe a fait en 50 ans, il n’y a pas de raison que l’Afrique ne puisse pas le faire » ; intégrer ses marchés régionalement, se développer sur le plan technologique, sur le plan de l’énergie, en fait, aborder avec nous et partager avec nous la maîtrise des grands défis globaux : l’énergie, le changement climatique, la sécurité. Il est évident que tout ce qui concerne la paix et la sécurité en Afrique, ce sont les Africains qui doivent le faire, mais nous sommes là pour les aider, pour financer comme nous le faisons très largement au Darfour.