par Monique Mas
Article publié le 01/11/2007 Dernière mise à jour le 01/11/2007 à 17:01 TU
C’est flanqué de son homologue iranien, Manouchehr Mottaki, que le ministre irakien des Affaires étrangères Hoshyar Zebari a répété mercredi que «la conférence d'Istanbul doit se concentrer sur la sécurité et la stabilité en Irak et ne pas se laisser distraire par la tension à la frontière entre l'Irak et la Turquie et par les opérations terroristes du PKK», le Parti des travailleurs kurdes. Eux-mêmes directement confrontés à la question kurde, chacun à sa manière, l’Irak et l’Iran souhaitent voir les tensions frontalières retomber. C’est aussi dans cet objectif que la secrétaire d’Etat américaine, Condoleezza Rice, sera à Istanbul, où les voisins de l’Irak, le Conseil de sécurité et le G8 vont plancher d’ici samedi sur l’épineuse question de la sécurité irakienne, celle de ses frontières aussi où opère la rébellion kurde de Turquie.
Après Charm el-Cheikh en Egypte, en mai dernier, Istanbul devait être l’occasion pour l’Irak et ses voisins de prendre le pouls sécuritaire du pays et de mesurer ses aptitudes à la stabilité. Pour leur part, la coalition sous égide américaine et les forces de sécurité irakienne se sont targuées d’une embellie pour ce mois d’octobre. Mais leur bilan «globalement positif» est lourdement remis en question à la frontière nord de l’Irak où depuis l’attaque des autonomistes du PKK qui, le 21 octobre, a coûté la vie à 12 soldats turcs (huit autres ayant été faits prisonniers), la Turquie menace d’un «droit de suite» ses rebelles basés dans le Kurdistan irakien.
Washington s'affoleLe Premier ministre turc Recep Tayyip Erdogan a rendez-vous le 5 novembre avec le président Bush pour discuter de ce qui est en train de devenir un souci majeur à Washington : la perspective de voir la Turquie faire incursion dans la seule zone à peu près stable de l’Irak, les trois provinces de la région autonome du Kurdistan (Erbil, Dohouk et Suleimaniyeh). Ankara a en effet menacé d'intervenir militairement dans le nord de l'Irak si les forces irakiennes et américaines ne neutralisent pas le PKK. Côté irakien, le président kurde Jalal Talabani s’est déclaré largement impuissant face à une guérilla retranchée depuis des lustres dans une inexpugnable forteresse naturelle. Côté américain, le Pentagone s’est empressé de faire savoir que ses services «aident les Turcs dans leurs efforts pour combattre le PKK en leur fournissant des renseignements, beaucoup de renseignements», comme l’assure son attaché de presse, Geoff Morrell.
Le secrétaire américain à la Défense, Robert Gates, a opportunément fait observer la semaine dernière que Washington et Ankara avaient besoin de meilleurs renseignements sur les positions des 3 ou 4 000 rebelles du PKK au Kurdistan irakien avant de lancer une quelconque action militaire. Mais il n’est plus très sûr d’être entendu par son filleul turc, que Condoleezza Rice a mission de convaincre vendredi. En attendant, Ankara a décidé de mettre en œuvre des représailles économiques contre le Kurdistan irakien. Pour mettre fin aux raids des rebelles, «toutes les options sont sur la table», a lancé jeudi le chef de la diplomatie turque, Ali Babacan. «Nous n'avons plus de temps à perdre, nous voulons parler de mesures concrètes», gronde-t-il à l’intention de Condoleezza Rice visiblement attendue de pied ferme à Ankara avant son envol pour Istanbul et la conférence sur la sécurité de l’Irak.
Le PKK demande «un plan de paix»
Le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, va lui aussi faire le détour par la capitale politique, Ankara, pour entendre les doléances turques à l’endroit d’un PKK qui est considéré comme une organisation terroriste aussi bien par les Etats-Unis que par l’Union européenne où une solide diaspora, plus ou moins durement rackettée, assure ses arrières financiers, en Allemagne en particulier. Jeudi, un porte-parole du PKK rencontré par l’Agence France Presse dans les monts du Qandil, Abdurrahman Cadirci, appelait «la Turquie à avoir du courage et à présenter un plan de paix pour résoudre ce problème».
«Les Turcs ont déjà conduit 24 incursions, sans pouvoir atteindre leurs objectifs», dit Cadirci «et cette fois-ci personne ne sera au côté de la Turquie contre nous. Elle ne pourra pas nous éliminer». D’un point de vue militaire, les Turcs connaissent effectivement les contours du problème kurde. Mais du point de vue diplomatique, aujourd’hui, face aux enjeux stratégiques qui intéressent l’Occident et la sous-région, le PKK fait plutôt figure de gêneur.
Si le président du Kurdistan irakien Massoud Barzani peine parfois à conjuguer la double loyauté irakienne et kurde, suggérant que jamais il n’arrêtera un Kurde pour le remettre à la Turquie, il affirme aujourd’hui que si «le PKK refuse une solution négociée qui serait proposée par la Turquie, alors nous considérerons cette organisation comme terroriste». Pour sa part, le Premier ministre irakien, le chiite Nouri al-Maliki, est allé jusqu’à souhaiter «l’éradication» du PKK.
Pour sa part, en tant que président irakien, Jalal Talabani a des obligations qui dépassent son identité kurde. Il joue en tout cas sur un échiquier régional et international. Mercredi, le ministre irakien des Affaires étrangères Hochiar Zebari a indiqué la mise en place de davantage de «barrages pour empêcher l'approvisionnement du PKK en nourriture et en carburant». «Des mesures ont été prises pour les empêcher d'atteindre des villes peuplées», ajoute-t-il.
L'Iran et l'Irak prêchent la désescalade
Jeudi, Massoud Barzani dénonçait des restrictions sur les vols entre Erbil, sa capitale, et la Turquie. Il se plaignait des éventuelles «sanctions économiques» contre le Kurdistan, ce qui, dit-il, «aura des effets néfastes des deux côtés parce qu'il y a une forte activité commerciale entre les deux pays». L’entrave au commerce que constituent les bruits de bottes aux frontières est aussi un souci pour l’Iran qui connaît par ailleurs sur son territoire un irrédentisme kurde. «Nous avons parlé des relations bilatérales et nous avons constaté les progrès dans nos relations économiques par rapport à l'année dernière», a tenu à souligner le chef de la diplomatie iranienne, Manouchehr Mottaki, à l’issue d’un entretien avec son homologue irakien. Les échanges commerciaux entre l’Irak et l’Iran pèse 2,2 milliards de dollars.
A la veille de la rencontre d’Istanbul, les ministres irakien et iranien étaient parfaitement à l’unisson, Manouchehr Mottaki souhaitant que les discussions se concentrent sur «la sécurité en Irak». A l’instar de la Turquie, l’Iran souhaite voir disparaître les rébellions kurdes d’un paysage régional où le commerce ne fait pas bon ménage avec les velléités autonomistes qu’ont sans doute ravivé l’avènement du Kurdistan irakien. Pour sa part, le Premier ministre irakien Nouri al-Maliki compte sur Téhéran pour «désamorcer la crise entre la Turquie et le PKK à la frontière de l'Irak et pour apporter son plein soutien lors de la conférence d'Istanbul».