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Pakistan

Musharraf justifie l’état d’urgence

Article publié le 03/11/2007 Dernière mise à jour le 03/11/2007 à 19:33 TU

Des militaires pakistanais bloquent les accès au Parlement à Islamabad.(Photo : Reuters)

Des militaires pakistanais bloquent les accès au Parlement à Islamabad.
(Photo : Reuters)

Constitution suspendue, communications téléphoniques interrompues, Cour suprême encerclée, l'état d'urgence n'a pas tardé à se traduire dans les faits sur le terrain. A Washington, le porte-parole du département d’Etat a indiqué : « Les Etats-Unis sont profondément troublés ». Par ailleurs dans la soirée, le président Musharraf a prononcé un discours dans lequel il a justifié l'instauration de l'état d'urgence. Reportage.

RFI - Edition spéciale

L'état d'urgence instauré au Pakistan

«L’état d’urgence est un revers pour les Américains, mais ils ont peu de marge de manœuvre face à ce pays qui est devenu un partenaire incontournable dans la lutte contre le terrorisme… Musharraf est peut-être en train de neutraliser les seuls opposants (de la Cour suprême).»

De nos correspondants au Pakistan, Nadia Blétry et Eric de Lavarène

« C’est la pire des solutions pour Pervez Musharraf, mais c’était aussi la seule qui lui permette de conserver ses vêtements, son costume de président et son uniforme de chef des armée », admet un expert à Islamabad sous couvert d’anonymat, qui ajoute : « Seulement là, il est allé trop loin. Instaurer l’état d’urgence n’est pas un acte anticonstitutionnel, mais arrêter le président de la Cour suprême, couper les communications et interdire les médias privés, ça ressemble à un coup d’Etat ».

Les forces de l’ordre se sont rapidement déployées autour des bâtiments officiels, une centaine de soldats ont pris position dans la Cour suprême, symbole de la récente résistance au pouvoir, puis les militaires ont commencé à bloquer les artères principales de la capitale. En quelques heures, Islamabad est devenue une ville garnison. D’abord hébétés, les habitants sont progressivement sortis pour constater ce « vol de la démocratie », comme l’affirme l’un d’eux. Puis, face aux militaires, habitués aux coups de force, impuissants, ils sont rentrés chez eux. « On verra ça à la télévision », s’amuse Amir, jeune étudiant, avant de lancer, tout sourire : « Ah non, pas la télévision, ils ont coupé les programmes ».

Compte-rendu de la déclaration du président Musharraf

De notre correspondante à Islamabad, Nadia Bletry

«L’instauration de l’état d’urgence était nécessaire pour préserver l’unité de la nation.»

Les premières rumeurs d’état d’urgence ont été diffusées par les chaînes privées, rapidement mises au pas. Les médias audiovisuels privés sont désormais interdits. Jusqu’à nouvel ordre. Officiellement, les autorités ont mis en place l’état d’urgence pour lutter plus efficacement contre la violence extrémiste. Une violence qui a fait près de 700 tués, dont les 2/3 par des attentats suicides. Une vague sans précédent au Pakistan.

« Normalement, Pervez Musharraf est un bon tacticien. C’est même un politicien plutôt doué. Mais là, il fait une grosse bêtise. Il risque même de se mettre les Américains à dos. Rien ne l’obligeait à arrêter le président de la Cour suprême et à nommer immédiatement son remplaçant. Rien ne l’obligeait non plus à suspendre la Constitution », indique un diplomate français. Selon Aitzaz Hassan, avocat du président de la Cour suprême, au moment de son arrestation, samedi soir chez lui : « Pervez Musharraf a perdu. Ce sont ses derniers jours. Il vient de prendre le pays en otage. Ca ne durera pas ». Encadré par les forces de l’ordre, le célèbre avocat est désormais un prisonnier. Son tort : s’être opposé au président pakistanais.

Ailleurs, dans la capitale, les gens ne semblent pas trop perturbés par ce changement subit. Depuis quelques jours déjà, la presse évoquait cette possibilité. On parlait même de l’instauration de la loi martiale, régime encore plus dur que l’état d’urgence. « Avec les militaires, on ne sait jamais. Je ne suis pas tranquille. Maintenant, ils peuvent venir m’arrêter chez moi pour n’importe quoi. Ils en ont le droit », explique Syed Irfan Ashraf, journaliste pour Dawn news, jeune chaîne de télévision en anglais, dont les programmes sont censurés depuis quelques heures. « Plus aucune critique n’est désormais tolérée. En gros, c’est tous derrière Musharraf ou la prison », dit encore Irfan, sous forme de plaisanterie à peine masquée.

Consciente des dangers liés à l’état d’urgence, Benazir Bhutto s’est, elle, envolée en milieu de semaine pour Dubaï, puis elle a décidé de revenir. Samedi soir, elle atterrissait à Karachi. Pour beaucoup, elle porte les espoirs d’un vrai retour à la démocratie, mais depuis l’attentat manqué contre elle, le jour de son retour au pays après 8 ans d’exil, un attentat qui a fait près de 150 morts, Benazir Bhutto craint pour sa vie.

Retour de Benazir Bhutto après l'instauration de l'état d'urgence

De notre correspondante à Islamabad, Nadia Bletry

«Les élections législatives qui devaient se tenir en janvier prochain sont plus qu’incertaines, or il s’agit de l’échéance qui importe à Mme Bhutto : elle espérait une victoire de son parti à ce scrutin.»

« Quand on est chef des armées et président du Pakistan, il est difficile, voire impossible de quitter le pouvoir. Le dernier dictateur est parti à cause d’un… accident d’avion*. Sinon, il serait peut-être toujours là. Il ne faut donc pas être étonné par le comportement de Pervez Musharraf », confie Talad Massoud, ancien général à la retraite. Depuis la présidentielle du 6 octobre dernier, qui a vu la confortable victoire de Pervez Musharraf, la Cour suprême doit statuer sur la validité de sa candidature. Elle aurait dû rendre son verdict plus tôt, mais voilà, de discussions en discussions, la cour ne devait reprendre ses débats qu’après le 12 novembre. Or, le 15 novembre, Pervez Musharraf aurait dû rendre son uniforme de chef des armées et son costume de président. « Dans le doute, mais aussi parce qu’il a pensé que la Cour allait invalider sa candidature, le président a choisi de prendre les pleins pouvoirs », explique avec un air désolé, Arshid Hosseini, fonctionnaire à Mingora, chef-lieu de la vallée de Swat. Une région au bord de la guerre civile. Pour Arshid Hosseini : « Beaucoup affirment que seul le retour à la démocratie peut enrayer la montée des extrémismes. Ca n’est hélas pas l’option adoptée par le gouvernement ».


Chronologie
C’est en 1999, un an après sa nomination comme chef d’état majeur de l’armée, que Pervez Musharraf fait irruption sur la scène politique pakistanaise. Le 12 octobre de cette année-là, il renverse le Premier ministre Nawaz Sharif et décrète déjà, l’état d’urgence.

Deux ans plus tard, Musharraf se proclame président et dissout le Parlement. Le Premier ministre renversé, Nawaz Sharif est aujourd’hui encore en exil en Arabie Saoudite. Mais au Pakistan, les victimes de coups d’état n’ont pas toujours eu la chance de rester en vie. Ainsi en 1977, un militaire, le général Zia ul-Haq, renverse le chef du gouvernement de l’époque Ali Bhutto, qu’il fera pendre haut et court, deux ans plus tard.

La vie politique pakistanaise n’est pas un long fleuve tranquille… Benazir Bhuto, la fille du Premier ministre exécuté en 1979, en sait quelque chose. Condamnée à cinq ans de prison pour corruption, exilée à Dubaï, elle a échappé de très peu à la mort lors de son retour au pays, il y a deux semaines. Mais l’attentat qui la visait, aura quand même fait 139 morts parmi ses sympathisants.

* Le général Zia ul-Haq, mort dans un mystérieux accident d’avion en 1988, avec ses proches collaborateurs et l’ambassadeur des Etats-Unis.