par Piotr Moszynski
Article publié le 08/11/2007 Dernière mise à jour le 08/11/2007 à 16:30 TU
Pour tenter de désamorcer la crise politique qui secoue le pays, le président pro-occidental de la Géorgie, Mikheïl Saakachvili, a annoncé jeudi une présidentielle anticipée le 5 janvier 2008. Cette élection était initialement prévue à l'automne 2008. L'opposition estime avoir remporté le bras de fer qui l'opposait au président. Confronté à la plus importante contestation populaire depuis son arrivée au pouvoir en novembre 2003 sur la vague de la révolution de la Rose, le président Saakachvili avait réagi mercredi soir en décretant l'état d'urgence dans tout le pays pour quinze jours. Il a justifié sa décision par « une tentative de coup d’Etat », fomentée avec l’aide de « hauts responsables des services spéciaux russes » qui auraient été « impliqués » dans les troubles des six jours dans les rues de la capitale, Tbilissi.
Le bilan officiel des heurts entre les manifestants et les forces anti-émeutes fait état de 486 personnes « ayant demandé une aide médicale ». Le premier jour, les manifestations ont rassemblé environ 50 000 personnes, mais ce chiffre a diminué régulièrement les jours suivants, pour atteindre finalement entre 7 000 et 15 000 manifestants. A l’échelle géorgienne, il s’agit tout de même de manifestations importantes, en tout cas des plus grandes depuis la révolution de la Rose. La déception de la population, ne voyant toujours pas venir de retombées économiques de la démocratisation, y est certainement pour quelque chose. La baisse de la popularité personnelle de Mikheïl Saakachvili aussi. C’est surtout son départ que demandait la foule.
Principes stratégiques
Dans ce contexte, la justification de l’état d’urgence par l’ingérence russe pourrait paraître un peu tirée par les cheveux. Pourtant, le président géorgien n’a peut-être pas totalement tort. En tout cas, la Russie aurait certainement intérêt à le faire partir. Elle l’a d’ailleurs déjà laissé entendre à plusieurs reprises. Le Kremlin part d’un principe stratégique crucial pour les Russes : ne plus laisser croître l’influence occidentale, et en particulier américaine, dans les territoires traditionnellement considérés par la Russie comme sa propre « zone d’influence ». Or Saakachvili incarne cette tendance.
Le départ des pays baltes du giron russe, la « révolution orange » en Ukraine, et ensuite le rapprochement de la Géorgie de l’Union européenne et de l’OTAN, ont profondément traumatisé les Russes. Leurs réactions manifestement disproportionnées lors de plusieurs crises dans ce qu’ils appellent leur « étranger proche » témoignent de la volonté du Kremlin de décourager non seulement la Géorgie mais aussi tous les autres candidats potentiels, de changer leurs alliances en faveur de l’Occident. Le message envoyé par Moscou est clair : cela va vous coûter cher ! Dans le cas de la Géorgie, la Russie a déjà eu recours à l’imposition du blocus du pays, assorti de raids de la police contre la communauté géorgienne en Russie et d’une offensive diplomatique, allant jusqu’au dépôt au Conseil de sécurité de l’ONU, d’un projet de résolution défendant les intérêts du gouvernement séparatiste pro-russe en Abkhazie. Bref, une grande opération de dissuasion. Le président géorgien a eu beau prôner « le dialogue » et marteler son propre message – « nous sommes une nation indépendante » – ce dialogue et cette indépendance sont perçus et interprétés très différemment à Tbilissi et à Moscou.
Mission impossible
La Géorgie de Saakachvili s’est fixée comme objectif une mission presque impossible : s’émanciper de l’emprise russe, tout en bénéficiant d’un soutien plutôt limité du côté des Occidentaux et en étant un petit pays sans beaucoup de ressources propres, obligé de supporter une armée étrangère sur une partie de son territoire. La présence militaire et économique russe dans deux régions séparatistes de la Géorgie qui réclament leur attachement à la Russie – l’Abkhazie et l’Ossétie du Sud – est depuis longtemps déjà une épine dans le pied des Géorgiens et source de divers incidents militaires. Les relations entre Tbilissi et Moscou se sont particulièrement dégradées en automne 2006, quand quatre officiers russes ont été arrêtés en Géorgie et accusés d’espionnage. La réaction de la Russie fût virulente. De son côté, la Géorgie a profité de la règle de l’unanimité à l’Organisation mondiale du commerce pour bloquer les négociations sur l’adhésion de la Russie. Elle a aussi menacé de boycotter les Jeux Olympiques d’hiver à Sotchi si la Russie s’approvisionnait en matériaux de construction pour les sites olympiques en Abkhazie. L'affaire d’un missile russe tombé sur le territoire géorgien est venue encore aggraver les tensions, mais de toute façon, rien ne va plus depuis longtemps entre la Russie et cette ancienne partie de son empire qu’est la Géorgie.
Il n'est pas étonnant de voir la Géorgie tenter de sécuriser ses arrières en s’approchant de l’Occident autant que possible. Elle s’est hissée au rang de quatrième puissance militaire en Irak, après les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Corée du Sud, en décidant de porter le nombre de soldats qui s’y trouvent à 2 000, ce qui a fait plus que doubler le contingent géorgien. Il s’agissait clairement d’envoyer un message à l’Otan, non seulement sur la ferme volonté de l’ex-République soviétique de rejoindre l’Alliance, mais aussi sur sa réelle capacité à participer au système occidental de la sécurité globale. Comme précédemment la Pologne, Tbilissi compte sans doute aussi sur les retombées économiques du côté américain. Mais, sur ce plan-là, la Pologne a vécu une sérieuse déception et politiquement, la situation de la Géorgie est encore plus compliquée. Moscou voit d’un très mauvais œil toute tentative américaine d’implantation sur le territoire de l’ancienne Union soviétique. Washington, tout en restant reconnaissant aux Géorgiens pour leur contribution militaire, ne pourra pas totalement oublier la géopolitique.
Les Etats-Unis ont réagi très prudemment à l’instauration de l’état d’urgence. La Maison Blanche s’est dite « préoccupée » par la situation en Géorgie et a appelé à un « dialogue constructif » entre le gouvernement et l’opposition. Un porte-parole de la présidence américaine, Gordon Johndroe, a simplement prévenu que Washington allait « continuer à surveiller la situation », un signal destiné certainement aussi bien aux autorités géorgiennes que russes.