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Mauritanie

A qui profitent les manifestations ?

Article publié le 13/11/2007 Dernière mise à jour le 13/11/2007 à 01:47 TU

Ces dix derniers jours, la Mauritanie a été le théâtre d’émeutes parfois violentes. Motivation avancée par les manifestants : la hausse des prix. Aujourd’hui une question est sur toutes les lèvres : qui a intérêt à déstabiliser la nouvelle démocratie ?

De notre correspondante à Nouakchott, Manon Rivière

Durant les douze derniers mois le prix du poison a flambé de 20%.(Photo : Manon Rivière / RFI)
Durant les douze derniers mois le prix du poison a flambé de 20%.
(Photo : Manon Rivière / RFI)

« Ces manifestations partaient des établissements scolaires, mais elles ont été vite récupérées par des individus étrangers à la famille scolaire, qui pour des raisons obscures, manipulent les manifestants en les incitant à s’attaquer aux biens publics et aux symboles de l’Etat ». Dans sa déclaration de vendredi dernier, le ministre de l’Intérieur Yall Zacharia a joué la carte de la fermeté. Les autorités emploieront tous les moyens pour restaurer la tranquillité du pays, y compris la manière forte si besoin est. La semaine dernière, un jeune de 18 ans qui manifestait a été tué par balle à Kankossa. « Il s’agissait apparemment d’une balle perdue tirée par un garde, mais c’est tout de même très grave, estime un journaliste local. Ce gamin est décédé parce qu’il n’y a pas de structure sanitaire digne de ce nom à Kankossa et parce que la route pour rejoindre Kiffa est atroce. »

Manifestations en cascade

Néma, Kiffa, Timbédra, Djiguenny, Kobeiny, Kankossa, Rosso, Ayoun et même Nouakchott. Parties de l’Est, les manifestations contre la hausse des prix se sont peu à peu rapprochées de la capitale. Créant du même coup une légère psychose en fin de semaine dernière, alimentée par des rumeurs de nouveaux morts et de voitures brûlées. Le lycée français a même été fermé vendredi après-midi « par précaution ». « Ce qui est très étrange, c’est que ce sont des jeunes collégiens et lycéens qui manifestent contre la hausse des prix, estime-t-on à la présidence. sont les pères de famille et les chefs de ménages qui peinent à joindre les deux bouts ? Il faut cesser d’être trop naïf. »

Selon les chiffres fournis par l’Office national de la statistique, l’inflation cumulée sur ces douze derniers mois est de 7,8% pour les produits alimentaires. Les denrées dont les prix ont le plus flambé sont les fruits et légumes (+28%) et le poisson (+20%). « La vie est de plus en plus dure, confirme Fatimetou, femme de ménage. Le problème c’est que les prix augmentent mais que les salaires restent les mêmes ! »

Réactions

De leur côté, les leaders des partis de l’opposition oscillent entre critique du pouvoir et apaisement. « Il existe de sérieux problèmes dans ce pays, le coût de la vie augmente et les gens sont fatigués, résume Saleh ould Hanana, le chef de file du Parti du changement mauritanien (HATEM). Si les autorités ne prennent pas rapidement des mesures efficaces pour soulager la misère, cela peut dégénérer. Nous sommes très inquiets. »

A plusieurs reprises depuis le mois de mars, les partis de l’opposition ont cherché à attirer l’attention du président mauritanien sur ces questions. Samedi, le porte-parole du gouvernement a annoncé un certain nombre de mesures d’urgence : distributions gratuites de vivres dans l’Est et le Sud, politique de stabilisation du prix du pain, ouverture de boutiques témoins pour tenter de juguler la spéculation. Les dépenses de fonctionnement de l’Etat vont aussi être réduites de 10% dans le cadre de la prochaine loi de finances 2008, et ce pour créer un fonds spécial destiné à amortir les effets de l’inflation. « C’est dommage qu’il ait fallu un mort et des blessés graves pour que le gouvernement prenne conscience de la situation », déplore Ibrahima Sarr, le leader de l’AJD/MR, l’Alliance pour la justice et la démocratie/Mouvement pour la rénovation.

« Les autorités ont fait preuve d’attentisme, elles ont adopté une approche trop néo-libérale du marché, renchérit Mohamed ould Maouloud, le leader de l’Union des forces du progrès (UFP). Malgré tout, le gouvernement cherche enfin à trouver des solutions concrètes et volontaristes et ça, c’est un pas positif. »

Soupçonnée un temps d’être derrière ces mouvements de foule, l’opposition cherche en fait à tendre la main au pouvoir. « Sur certaines questions essentielles, il doit y avoir un consensus national », affirme encore Ibrahima Sarr.

Manipulation

Qui alors aurait intérêt à déstabiliser le pays ? « Ce sont les anciens amis du président Sidi qui se rebellent, suggère un observateur de la vie politique mauritanienne. Ils l’ont soutenu pendant la campagne électorale et maintenant ils attendent un renvoi d’ascenseur ! » Vieilles méthodes, ancien système, corruption, des mots qui résonnent ces jours-ci dans les salons. « Les prix n’expliquent pas ces saccages, assure un journaliste. Les gens ont connu des époques bien plus dures sous Maaouya ould Taya et personne n’avait bronché. » En 1995, les émeutes du pain avaient pourtant conduit dans les rues des centaines de Mauritaniens excédés.

Restent d’autres hypothèses. « Le but est de détourner l’attention des affaires de drogue », suggère un responsable politique. D’autres évoquent l’action d’une frange de militaires mécontents, qui pourraient avoir intérêt à ce que le désordre s’installe. « La question de retour des réfugiés mauritaniens au Sénégal n’est certainement pas étrangère non plus à ces événements, suppose un analyste étranger. Certaines catégories de la population ont le sentiment que les Négro-Mauritaniens ont les faveurs des autorités. Ce qui attise les tensions. »