par Piotr Moszynski
Article publié le 15/11/2007 Dernière mise à jour le 15/11/2007 à 18:28 TU
Le Parlement géorgien a voté la levée de l'état d'urgence à partir du 16 novembre à 07h00.
(Photo : Reuters)
Le Parlement géorgien a approuvé jeudi la levée de l'état d'urgence dès ce vendredi. Les Etats-Unis ont salué cette décision. L’état d’urgence avait été décrété le 7 novembre par le président Mikheïl Saakachvili, après la répression de manifestations de l'opposition qui duraient depuis six jours. Pour expliquer ce durcissement, le président géorgien avait notamment dénoncé la main mise des services spéciaux russes, ce qui lui vaut ce jeudi des commentaires ironiques du Kremlin. Un communiqué publié par le ministère russe des Affaires étrangères parle de « fantasmes » tirés d'un livre de l’écrivain britannique Ian Fleming, le créateur du célèbre héros de fiction James Bond. C'est dans ce contexte que le commandant en chef de l'armée de terre russe, le général Alexeï Maslov, a déclaré que le retrait des forces russes et de leur matériel stationnés en Géorgie est entièrement achevé. Il reste tout de même quelques exceptions notables qui ne sont pas de nature à améliorer les relations vraiment exécrables qu’entretiennent Tbilissi et Moscou ces dernières années.
C’est la Géorgie qui a donné Staline – de son vrai nom, Joseph Vissarionovitch Djougachvili – à l’empire soviétique, mais c’est aussi la Géorgie qui, à présent, contribue beaucoup à dissiper les dernières illusions des Russes nostalgiques de cet empire. Elle est au premier rang de celles parmi les ex-républiques de l’URSS qui veulent rompre très résolument les relations de dépendance et de soumission qui les liaient jadis à l’ancienne métropole.
Il n’était donc pas question qu’après être redevenue indépendante, la Géorgie laisse les troupes russes continuer à stationner sur son territoire. Les négociations n’étaient pas faciles et le retrait russe a commencé seulement en 2005. Il devait être achevé, en principe, en 2008. Pour ne pas perdre une excellente occasion de paraître comme ceux qui montrent le plus de bonne volonté, les Russes se vantent actuellement d’être en avance sur le calendrier prévu. Selon le général Maslov, le dernier train chargé d'armes et d'équipements a quitté la Géorgie pour l'Arménie dans la nuit de mercredi à jeudi. « Ainsi – explique-t-il – le retrait du matériel et des forces russes de Géorgie, qui devait être effectué durant 2008, conformément à un accord russo-géorgien, est achevé avant terme".
Un petit « sauf »
Formellement, il ne reste aux Russes qu’à transmettre aux Géorgiens la dernière base militaire de l’époque soviétique – celle à Batoumi sur la Mer Noire. Mais en réalité, leur présence militaire sur le sol géorgien est loin d’être terminée. « Il n'y a plus de forces russes en Géorgie – précise le général Maslov – sauf nos soldats qui sont déployés en Abkhazie sous le mandat de la Communauté des états indépendants et ceux qui font partie des forces d'interposition en Ossétie du Sud ». Ce petit « sauf », apparemment innocent, a une énorme importance pour les Géorgiens. Certes, les statuts des troupes russes ont été dûment négociés à l’issue des conflits armés avec les deux régions séparatistes pro-russes au début des années 1990. Certes, les soldats géorgiens font également partie des forces d’interposition en Ossétie du Sud à côté de leurs collègues russes et ossètes. Il n’en reste pas moins que – du point de vue de Tbilissi – les troupes russes dans ces deux régions servent essentiellement à protéger des clans et des caciques locaux dont les intérêts seraient menacés par l’apparition d’un Etat géorgien indépendant et fort. Et que les Russes ont sauté sur l’occasion pour trouver un prétexte à la poursuite de leur présence militaire durable en Géorgie – justement pour bien laisser entendre que l’indépendance et la force du nouvel Etat risquent d’être mises à l’épreuve à tout moment.
Toutes ces manœuvres diplomatico-militaires se déroulent dans un contexte plus large d’une stratégie du Kremlin qui ne s’applique pas uniquement à la Géorgie. Son principe de base est de ne pas laisser augmenter l’influence occidentale, en particulier américaine, dans les territoires que la Russie continue à considérer comme sa propre « zone d’influence ». Or la Géorgie joue pleinement et ouvertement la carte du rapprochement de l’Union européenne et de l’OTAN. Après la perte de tous les anciens pays satellites en Europe centrale, après le départ des pays Baltes du giron russe dans la même direction et après la « révolution orange » en Ukraine, les velléités géorgiennes à se ranger aussi du côté occidental constituent pour la Russie un nouveau traumatisme profond et difficilement supportable.
Trahi et blessé
C’est pour cela que Moscou s’affiche trahi et blessé, avec des réactions manifestement disproportionnées lors de plusieurs crises avec ce que les Russes appellent leur « étranger proche ». Les Géorgiens ont déjà eu droit au blocus russe de leur pays, aux raids de la police contre la communauté géorgienne en Russie et à une offensive diplomatique allant jusqu’au dépôt au Conseil de sécurité de l’ONU d’un projet de résolution défendant les intérêts du gouvernement séparatiste pro-russe en Abkhazie.
Dans cette histoire entre la Russie et la Géorgie, beaucoup se joue dans la sphère des symboles, de la fierté nationale et de l’honneur. Au stade actuel de la construction de son existence en tant qu’Etat-nation, la Géorgie ne peut pas se permettre d’apparaître comme « molle », faible ou indécise. Elle répond donc avec vigueur à chaque coup russe, et parfois n’hésite pas à frapper fort elle-même. On a donc pu assister à plusieurs expulsions des officiers russes accusés d’espionnage, voire même de fomenter des troubles en Géorgie. Tbilissi a également profité de la règle de l’unanimité à l’Organisation mondiale du commerce pour bloquer les négociations sur l’adhésion de la Russie. Une affaire d’un missile russe tombé sur le territoire géorgien est venue aggraver les tensions encore plus.
Pour l’instant, la Géorgie du président pro-occidental Mikheïl Saakachvili s’en sort plutôt bien et semble progresser lentement mais sûrement sur la voie de la démocratie et du développement économique malgré tous les écueils. Néanmoins, rien ne lui permet d’oublier qu’elle reste un petit pays sans beaucoup de ressources propres, obligé de supporter une armée étrangère sur une partie de son territoire, et ceci dans une région parmi les plus explosives au monde.