par Piotr Moszynski
Article publié le 20/11/2007 Dernière mise à jour le 20/11/2007 à 18:02 TU
P, A et C. Trois lettres qui font rêver – mais parfois aussi trembler ou râler – les agriculteurs de l’Union européenne toute entière. P, A et C, pour Politique agricole commune. La Commission européenne vient de lancer une nouvelle étape de la réforme de cette politique. Réforme qui se déroule dans le contexte de la flambée des cours mondiaux du secteur et de l’arrivée, en 2004 et 2007, des 12 nouveaux membres de l’UE au fort potentiel agricole.
Le ton est donné : les problèmes ne manquent pas, mais nous sommes en forme et nous les surmonterons. Pour les agriculteurs, « un monde en évolution rapide » dont parle aussi la Commissaire, c’est aujourd’hui surtout un monde où l’évolution est à la hausse rapide des prix de leurs produits. La demande explose et excède souvent l'offre. C’est le cas des céréales. En plus, les stocks sont au plus bas. Conséquence : après des décennies de baisse, les prix des matières premières agricoles s'envolent, entraînant celui de produits alimentaires de base dans leur sillage. La valeur du blé a doublé en un an. Les prix du lait grimpent aussi, après des années d'excédents et de repli. La hausse des prix prévue en France sur un an au premier trimestre de l'année prochaine est de l’ordre de 35%. Les tarifs des produits laitiers, comme le yaourt, le fromage ou le beurre, suivent. En Allemagne, on constate une hausse allant jusqu'à 50%.
Poches et têtes
Pour comprendre cette évolution, il faut prendre en compte plusieurs facteurs. Au premier rang, l’extraordinaire croissance démographique et économique des pays émergents, qui transforme les habitudes alimentaires de leurs populations. Mais aussi les aléas climatiques ou encore la mode des biocarburants. Pour la PAC, cela signifie une véritable révolution. Après des décennies d’efforts visant à limiter sa production afin d'éviter les excédents, l'UE peut commencer à renverser la vapeur et stimuler joyeusement sa production agricole au lieu de la limiter au prix d’énormes dépenses budgétaires. Il devient possible que les agriculteurs européens vivent pleinement de leur travail et cessent de dépendre de subventions qui représentent en moyenne la moitié de leurs revenus. Il s’agit donc d’une révolution, non seulement dans les poches et les portefeuilles des bénéficiaires de la PAC, mais surtout dans leurs têtes, dans leurs habitudes et dans leurs mentalités.
Une réforme des mentalités dépasse largement les compétences de la Commission européenne, mais elle peut y aider. Principalement, en créant de bonnes conditions. C’est ce qu’elle s’efforce de faire en proposant son « bilan de santé » de la PAC. Les bases en ont été jetées en 2003. C’est alors qu’il a été décidé qu’une grande partie des aides directes versées aux agriculteurs n'allait plus être liée au niveau de la production. Ce « découplage » a pour objectif de mettre fin à la surproduction. Les exploitants reçoivent maintenant un « paiement unique » calculé en fonction de la surface et des volumes de production passés. Parmi les nombreuses dérogations autorisées en 2003, le découplage reste partiel (75%) pour les cultures céréalières et limité dans l'élevage. La Commission estime à présent que le maintien de « couplages partiels » entre aides et niveaux de production n’est plus vraiment « pertinent » et invite les Etats membres à appliquer plutôt le « découplage total ».
Les outils
Selon Bruxelles, il serait également « approprié » d'envisager un plafonnement des aides les plus élevées. Elles sont versées, surtout au Royaume-Uni, à des propriétaires terriens aristocratiques – comme, notamment, la famille royale – et en Allemagne à des exploitants disposant de très grandes surfaces héritées du démantèlement des anciennes coopératives agricoles communistes est-allemandes. La Commission propose de réduire les paiements individuels supérieurs à 100 000 € de 10%, ceux supérieurs à 200 000 € de 25%, et ceux supérieurs à 300 000 € de 45%. Parallèlement, elle aimerait introduire un niveau-plancher pour les subventions les plus basses.
Face à la forte demande sur les marchés mondiaux pour les céréales et les produits laitiers, l’UE voudrait en outre réexaminer tous les outils communautaires de soutien au marché agricole. Il s’agit en premier lieu des prix d'achat minimum, des quotas (en particulier laitiers, appelés à augmenter graduellement pour être supprimés en 2015), des aides à l'exportation ou au stockage, ainsi que des mises en jachère obligatoires de cultures, que la Commission suggère de faire progressivement disparaître avant leur expiration prévue en principe en 2014-15.
Cependant, le réexamen de la PAC ne s’annonce pas facile. Les intérêts des Etats membres divergent sur beaucoup de points. La réforme va en outre se heurter en 2008 à un débat tout aussi explosif sur la remise à plat du budget de l'UE après 2013. Il risque de mener à un bras de fer autour du poids financier de la PAC, qui représente actuellement quelque 40% du budget de l’UE, et autour d'autres points sensibles, comme par exemple le fameux rabais britannique.
L’ambition de la Commission consistera donc sans doute à faire avancer la réforme de la PAC tout en cherchant à trouver des solutions au problème plus global du financement des politiques européennes. Qui a dit que l’on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre ?