par Piotr Moszynski
Article publié le 21/11/2007 Dernière mise à jour le 21/11/2007 à 18:51 TU
A une dizaine de jours des élections législatives, un nouveau pas a été franchi à Moscou pour préparer l’opinion publique au prolongement du règne de Vladimir Poutine au-delà des deux mandats consécutifs prévus par la Constitution. En présence du principal intéressé lui-même, des milliers de partisans du président russe se sont réunis au Palais des Sports de Loujniki pour l’appeler à rester le «leader national».
C’est un mouvement au nom simple et dépourvu de toute ambiguïté, Za Poutina (Pour Poutine) qui a organisé le meeting géant. Créé opportunément à la mi-novembre avec le soutien déclaré du parti Russie unie dont Vladimir Poutine est la tête de liste aux législatives du 2 décembre prochain, Za Poutina se veut un mouvement «spontané». Cela dit, le degré d’organisation de cette spontanéité force l’admiration de tout observateur extérieur. Un représentant moscovite de Russie unie, cité par l’AFP sous le couvert de l’anonymat, raconte comment les gens du nouveau mouvement sont venus demander au parti d’organiser la grand-messe pro-Poutine ensemble. «Quand j'en ai parlé au Kremlin, souligne ce mystérieux militant, ils nous ont répondu : nous soutenons tous ceux qui soutiennent le président».
Dans ce contexte, il est quand même un peu surprenant d’entendre l’interlocuteur de l’AFP dire qu’il ne s’agit point d’un «évènement organisé» et que «les gens viennent de bon cœur». Ainsi, poussés juste par un amour pur et innocent, des milliers de Russes de toutes les régions – et parmi eux, de nombreux militants des mouvements de jeunes pro-Poutine Jeune Garde, Russie jeune et Nachi (Les Nôtres) – auraient convergé joyeusement vers Loujniki pour appeler spontanément le chef de l'Etat à rester au pouvoir.
Contourner la Constitution
Officiellement, Vladimir Poutine ne peut pas et ne veut pas se présenter à la présidentielle de mars 2008. Cependant, le Kremlin semble tout faire pour que l’opinion publique reste profondément convaincue que personne d’autre n’est capable de diriger le pays. Les rares médias indépendants ne sont pas en mesure de faire connaître et apprécier de vraies alternatives. Et les résultats sont là. Dans un récent sondage, 53% des personnes interrogées se sont prononcées en faveur d'un mandat présidentiel de plus pour Poutine, même si cela contrevient à la Constitution russe. Désormais, pour satisfaire les attentes qu’elle a elle-même créées, l’administration du Kremlin a juste besoin de trouver un bon moyen de contourner habilement les règles constitutionnelles pour que son chef puisse continuer à gouverner le pays.
Plusieurs hypothèses sont évoquées dans les médias et parmi les spécialistes. Dans un premier temps, un retour possible de Vladimir Poutine au trône présidentiel en 2012 était envisagé. La Constitution le permet. Entretemps, Poutine pourrait décider des affaires du pays en coulisses, en faisant élire à la tête de l’Etat un de ses fidèles vassaux. Il est même question de le voir nommé Premier ministre, ce qui serait accompagné d’un basculement temporaire du centre réel de pouvoir du bureau du président au gouvernement. Toutefois, sa confirmation à la tête de la liste de Russie unie aux législatives pourrait changer la donne. La disparition du Kremlin pour quatre ans semble peut-être trop risquée aux yeux de l’état-major poutinien, dans un pays dont l’histoire est jonchée d’intrigues de palais aux conséquences souvent tragiques pour ceux qui s’étaient permis la moindre imprudence ou inattention.
Ainsi, les collaborateurs du président pourraient lui conseiller une autre solution. Il n’est pas possible de cumuler les mandats de président de la Russie et de député à la Douma. Si Vladimir Poutine se présente aux législatives (ce qu’il a confirmé) et s’il est élu (ce qui est plus que probable), il devra choisir, vers la mi-décembre 2007, entre ces deux postes. S’il démissionne alors de la présidence, il n’aura pas exercé cette fonction pendant deux pleins mandats consécutifs. Il pourrait lui suffire d’attendre quelques semaines pour se présenter aux élections présidentielles en mars 2008 et retrouver le droit aux deux nouveaux mandats comme chef d’Etat.
Anarchie ou caserne
Si l’on en croit les sondages, les Russes seraient en majorité ravis d’un tel tour de passe-passe. Apparemment, ils le souhaitent vivement, ce qui surprend tout observateur extérieur, habitué aux principes de l’Etat de droit démocratique. Les autorités russes expliquent souvent que leur démocratie est «spécifique», particulière, adaptée aux conditions et aux besoins du pays. Il est vrai que la démocratie est presque absente de l’histoire de la Russie. Ce chemin «spécifique» s’est dessiné probablement au tout début de cet Etat. A l’époque de la Russie kiévienne, une assemblée populaire validant la politique du Prince existait. A Novgorod, une telle assemblée avait même le droit de le désigner.
Pourtant, ce sont finalement les princes de Moscovie qui ont pris en main le destin du futur empire, en imposant leurs traditions fortement autoritaires. Leurs successeurs n’avaient qu’à perfectionner les mécanismes de répression et de manipulation des masses. Les tsars décidaient toujours seuls de tout et il était communément admis que tous leur devaient obéissance car les tsars n’étaient responsables que devant Dieu. Même l’abolition du système tsariste par les bolcheviks n’a rien changé à la mentalité citoyenne. L’infaillibilité du tsar a juste été remplacée par celle des secrétaires du Parti communiste.
Ce n’est donc pas un ancien officier du KGB qui risque de sortir son pays du cercle vicieux créé par une conception du pouvoir qui s’appuie sur l’affirmation que seule une forte autorité au sommet de l’Etat peut constituer un rempart contre le désordre et contre les ennemis qui guettent. Ce n’est certainement pas lui qui va sortir la Russie de la fausse alternative «anarchie ou caserne». Est-ce que, pour autant, les Russes n’ont vraiment pas besoin de la démocratie ? Rien n’est moins sûr. Même les matières premières chères ne sont pas éternelles et il faudra un jour libérer réellement les forces vives du pays pour qu’il puisse se débrouiller tout seul, comme un grand.