par Jean-Pierre Boris
Article publié le 22/11/2007 Dernière mise à jour le 22/11/2007 à 13:48 TU
A Paris, après la décision du président colombien Alvaro Uribe de mettre un terme à la médiation d’Hugo Chavez dans le dossier des otages détenus par les Farc, l’Elysée a fait savoir que la France souhaitait la poursuite de l’intervention du chef de l’Etat vénézuélien. Nicolas Sarkozy va adresser un courrier en ce sens au président colombien. Il lui sera remis par l’ambassadeur de France à Bogota.
(de gauche à droite) Le président Uribe de Colombie, le président français Sarkozy et le président Chavez du Venezuela.
(Photos : AFP)
« Dramatique », s’est exclamé à Paris Fabrice Delloye, l’ex-époux de la franco-colombienne Ingrid Betancourt, en apprenant la décision du président Uribe. « Un crachat », déclare à Bogota la porte-parole des familles de policiers et de militaires détenus par la guérilla des Farc. « C’est un triste jour pour les familles de séquestrés », déplore Marleny Orjuela.
Il est vrai que depuis trois mois, les familles des otages détenus, parfois depuis dix ans, au plus profond des forêts et des montages colombiennes, s’étaient reprises à espérer. Après tant de vaines médiations, de la République française à l’Eglise catholique locale, l’intervention d’Hugo Chavez pouvait faire croire au miracle. Comment, en effet, ne pas penser que le président vénézuélien, sur le point de faire adopter une Constitution mettant son pays sur la voie du « socialisme bolivarien » avait quelques points communs avec les Farc, les Forces armées révolutionnaires de Colombie, une rébellion marxiste guerroyant contre le pouvoir central depuis plus de quarante ans ! Comment ne pas espérer que Manuel Marulanda, le chef historique d’une troupe aujourd’hui évaluée à 17 000 hommes et femmes en armes, accepterait de dialoguer avec Hugo Chavez, ennemi autoproclamé des Etats-Unis et de tout ce qui ressemble de près ou de loin à de l’ « impérialisme occidental » !
L’invention de la médiation Chavez
C’est une sénatrice colombienne, Piedad Cordoba, célèbre pour son combat féministe et ses propos au vitriol contre la politique du président Uribe qui a «inventé » la médiation d’Hugo Chavez. Chaude partisane du président vénézuélien, le 5 août 2007 elle lui lance publiquement un appel à s’engager dans le dossier des otages et à intervenir auprès du président Alvaro Uribe. Quelques heures plus tard, au cours d’une de ses interminables allocutions radiotélévisées, le président Chavez propose officiellement sa médiation. « Je promets de faire tout ce que je peux. Si nous pouvons parvenir à un accord humanitaire, tant mieux ! », déclare-t-il.
Le président Alvaro Uribe accepte l’intervention du chef de l’Etat vénézuélien. C’est une surprise. Tout sépare en effet les deux hommes. Le colombien est un conservateur austère, partisan de la loi et de l’ordre, proche de Washington. Le vénézuélien est un populiste exubérant, qui exècre le président Bush. Mais ce feu vert permet à Alvaro Uribe de démontrer sa bonne volonté dans ce dossier alors que la communauté internationale le soupçonne de donner la priorité à la victoire militaire sur les FARC.
Dès lors, Hugo Chavez met les bouchées doubles. Le 22 août, il reçoit à Caracas quatorze parents d’otages, dont Yolanda Pulecio, la mère d’Ingrid Betancourt. Celle-ci exprime un optimisme mesuré sur les chances de succès de la médiation vénézuélienne. « C’est une porte qui s’entrouvre », commente-t-elle.
Les FARC se font prier
De fait, la première réaction des FARC n’est pas des plus constructives. Le porte-parole de l’organisation déclare au journal argentin Clarin que son organisation ne détient aucun otage. « Les soldats en notre pouvoir sont des prisonniers de guerre et les autres sont des prisonniers politiques. Ingrid Betancourt, ancienne candidate à la présidence et sénatrice d’un système que nous combattons, se trouve dans le groupe que nous appelons ‘ échangeable’. Voilà pourquoi elle n’est pas séquestrée », explique Raul Reyes. Et il refuse toute libération en Colombie, exige une négociation en bonne et due forme entre la guérilla et le pouvoir colombien dans une zone préalablement démilitarisée. Ce qu’Alvaro Uribe a toujours catégoriquement refusé.
Pourtant, Hugo Chavez cherche à établir le contact avec les FARC. Mais le groupe dirigé par Manuel Marulanda, aujourd’hui âgé de 76 ans, n’est plus une organisation de guérilla traditionnelle, dans la veine castriste. Au fil des années, c’est surtout devenu une structure vouée au trafic de cocaïne et à la protection des narco-trafiquants. La détention d’otages comme Ingrid Betancourt ou les trois ressortissants américains qui sont entre ses mains n’est qu’une activité annexe qui permet cependant aux FARC de se donner une image de formation politique et d’avoir accès aux médias internationaux. Les contacts sont donc très difficiles. Il faut attendre le début octobre pour avoir une première date de rencontre entre l’émissaire des FARC et Hugo Chavez. Mais la rencontre est remise plusieurs fois. Elle se produira finalement début novembre mais ne donnera aucun résultat tangible. Au cœur des tractations, la libération d’un premier groupe de 45 otages aux mains des FARC en échange de l’élargissement de 500 guérilleros incarcérés en Colombie ou aux Etats-Unis.
Washington soutient Chavez
Curieusement, Washington a en effet donné son imprimatur à la médiation du président Chavez. Les autorités américaines font savoir qu’elles sont prêtes à collaborer de manière très concrète au processus qui doit mener à la libération des otages. Cela peut passer par le retour en Colombie de quelques chefs de la guérilla emprisonnés aux Etats-Unis. Mais il en faut toujours plus à Manuel Marulanda et à son état-major. Ils réclament encore la démilitarisation de deux zones au cœur de la Colombie. En réalité, autant ou plus qu’un échange humanitaire, ce qu’ils recherchent c’est une victoire politique sur leur grand adversaire, le président colombien Alvaro Uribe.
Enorme maladresse de Chavez
A la mi-novembre, alors que le président français Nicolas Sarkozy, tout feu-tout flamme après son élection, s’est engagé à obtenir la liberté d’Ingrid Betancourt, Hugo Chavez prépare une nouvelle tournée internationale qui doit le mener à Paris. A défaut de ramener l’otage, il promet des preuves de vie. Il n’en n’aura pas. Tout ce qu’il a, c’est la promesse d’en obtenir. Un vieux « truc » des FARC, qui ont l’habitude de balader leurs interlocuteurs. Après trois mois de médiation, Hugo Chavez n’a pas avancé d’un pouce. Mais il utilise son intervention dans le dossier des otages colombiens pour vendre son image de leader continental.
Peut-être est-ce ce qui lui fait franchir la ligne jaune qu’Alvaro Uribe lui avait explicitement interdit de passer. Alors qu’il est en compagnie de la sénatrice Piedad Cordoba, qui l’avait accompagnée à Paris, celle-ci téléphone au chef d’état major colombien pour préparer un rendez-vous avec lui. Hugo Chavez s’empare de l’appareil et interroge l’officier colombien sur la situation des otages. Or, Alvaro Uribe avait expressément interdit à Chavez de s’entretenir avec son état-major militaire. Une décision compréhensible. Comment accepter qu’un chef d’Etat étranger s’entretienne avec le plus haut gradé du pays malgré les consignes reçues ? Une formidable maladresse d’Hugo Chavez qui permet à Alvaro Uribe de l’éliminer du paysage politique colombien, prive les FARC d’une tribune médiatique et les otages, comme leurs familles, d’un nouvel espoir.