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Justice internationale

Les fantômes de Srebrenica

par Piotr Moszynski

Article publié le 27/11/2007 Dernière mise à jour le 27/11/2007 à 19:22 TU

La Cour internationale de justice de La Haye aux Pays-Bas.(Photo : Wikimédia)

La Cour internationale de justice de La Haye aux Pays-Bas.
(Photo : Wikimédia)

Une plainte contre l’Etat néerlandais, déposée par dix femmes musulmanes bosniaques qui représentent plusieurs milliers de victimes des massacres de Srebrenica, vient d’être jugée recevable par le tribunal de La Haye. Les soldats néerlandais mandatés par l’ONU étaient censés protéger la population musulmane réfugiée à Srebrenica entre 1993 et 1995 contre les troupes bosniaques serbes qui l’assiégeaient. Hélas, ils n’ont rien fait pour empêcher la tragédie.

« Vous êtes maintenant sous la protection de l'ONU (…). Je ne vous abandonnerai jamais ». Ces propos rassurants ont été prononcés par le général Morillon, commandant de la Force de protection des Nations Unies (Forpronu) lors de sa visite à Srebrenica au printemps 1993. Ils sonnent encore aujourd’hui dans les oreilles de tous ceux qui, deux ans après, ont été chassés de leur dernier refuge et ont perdu leurs proches dans les massacres perpétrés par les troupes commandées par Ratko Mladic et Radovan Karadzic – criminels toujours introuvables et toujours impunis.

Entre avril 1993 et juillet 1995, l'enclave de Srebrenica, déclarée « zone de sécurité » par l’Onu, subit un siège impitoyable de la part des forces bosno-serbes. Environ 20 000 personnes périssent de malnutrition, maladies ou blessures en l’absence de ravitaillement et de médicaments. Le chapitre le plus tragique de ce drame s’ouvre le 6 juillet 1995. A l’époque, Christina Schmidt était responsable de l'équipe de Médecins sans frontières basée à Srebrenica: « La chute tragique de l'enclave musulmane de Srebrenica – se souvient-elle – a commencé soudainement le 6 juillet. Le 11 juillet toute la population a été contrainte de fuir sous une pluie d'obus, abandonnant ses biens, les maisons et les réserves de nourriture, poussée vers un futur incertain. Les familles ont ensuite été séparées avant d'être déportées. ».

Stupéfiante impuissance

Selon le même récit, à la veille de l’exode définitif, l’équipe de MSF, n’arrivant pas à soigner tous les blessés, avait demandé l’assistance des médecins du bataillon hollandais de la Forpronu basé au nord de l’enclave, à Potocari. Ils ont refusé toute aide. L’équipe du MSF n’était pas la seule déçue. Quand, le lendemain, la population de Srebrenica fuit vers la base de la force onusienne dans l’espoir d’obtenir une protection internationale, les soldats néerlandais non seulement ne protègent pas les colonnes de civils exposés aux tirs des Serbes, mais ils se laissent désarmer par les troupes de Ratko Mladic sans opposer la moindre résistance. Le 21 juillet, ils évacuent leur base en laissant les réfugiés musulmans – on le saura plus tard – entre les mains des assassins, des criminels de guerre, des auteurs du seul génocide reconnu par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie. Bilan de cette stupéfiante impuissance de la communauté internationale: au moins 30 000 déportés et environ 8 000 hommes – y compris des garçons de treize ans et des vieillards – massacrés froidement dans des conditions atroces. Parmi les corps qui ont été retrouvés jusqu’à présent, juste un peu plus de 3 000 ont pu être identifiés.

La majorité des familles restées en vie n’arrivent donc toujours pas à faire leur deuil, mais c’est avec d’autant plus de détermination qu’elles demandent que la justice soit faite. Or on n’obtient pas facilement la justice quand on entre dans le domaine très délicat et soigneusement gardé des intérêts des Etats et des relations internationales. Pour être tout à fait juste, il faut dire que les dix femmes de Srebrenica se sont retournées contre l’Etat néerlandais non seulement parce qu’elles ont de graves reproches à faire aux soldats de ce pays, mais également parce que ce sont bien les Pays Bas qui ont osé aller le plus loin parmi les protagonistes de l’affaire dans la recherche de la vérité. Cette recherche était, certes, tardive et ambigüe, mais elle avait au moins le mérite d’exister et d’apporter quelques réponses et d’entraîner quelques conséquences politiques. Suite au rapport d’une commission d’historiens, remis en avril 2002, le gouvernement du Premier ministre Wim Kok et le commandant en chef de l'armée de terre, le général Ad van Baal, ont donné leur démission. Il est vrai qu’ils ont couvert ainsi les militaires présents sur le terrain, mais ils ont reconnu du même coup la responsabilité des politiques, ce que les gouvernements britanniques et français de l'époque – dont les militaires faisaient partie de la chaîne de commandement onusienne qui décidait du sort de Srebrenica – se sont bien gardés de faire.

Enjeux politiques, enjeux humains

La France a tout de même créé une mission d’information de l’Assemblée nationale qui a accompli un travail tout à fait honnête sur la question, bien qu’apparemment elle n’ait pas pu bénéficier d’une coopération vraiment approfondie du ministère de la Défense. Dans ses conclusions, elle constate: « La raison de fond de la chute de Srebrenica est à rechercher dans l'absence complète de volonté politique d'intervenir à Srebrenica: de la France, du Royaume-Uni, des Etats-Unis, des autorités bosniaques de Sarajevo elles-mêmes ».

Mais, au-delà de tous les enjeux politiques, il reste un enjeu purement humain de l’histoire de Srebrenica. Le président de la Chambre de première instance du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie le résumait ainsi le 2 août 2001, lors de la condamnation du général Krstic à 46 ans de prison pour génocide: « Srebrenica est (…) un nom de syndrome post-traumatique, celui que subissent les femmes, les enfants et les vieillards qui ne sont pas morts et qui sont, depuis juillet 1995, (…) sans nouvelles de leur mari, de leurs fils, de leur père, de leur frère, de leur oncle, de leur grand-père. Des milliers de vies amputées, depuis six ans, de l'amour et de l'affection de leurs proches, ces fantômes qui viennent les hanter, jour après jour, nuit après nuit ».