par Frédérique Misslin
Article publié le 04/12/2007 Dernière mise à jour le 04/12/2007 à 18:11 TU
George W. Bush, lors de la conférence de presse de ce mardi 4 décembre à la Maison Blanche.
(Photo : Reuters)
Le renseignement américain est formel, l’Iran a arrêté son programme d’armement nucléaire fin 2003 et à leur connaissance ce programme n’a pas été relancé depuis lors. Le rapport de la « National Intelligence Estimate » (NIE) relève toutefois que Téhéran a réalisé des progrès importants cette année dans l’installation de centrifugeuses d’uranium sur son site de Natanz, mais il y aurait encore quelques difficultés techniques. « Nous jugeons avec un degré de confiance modéré que l’Iran pourrait être techniquement capable de produire suffisamment d’uranium enrichi pour une bombe pendant la période 2010-2015 », estime la note révélée lundi. A terme pourtant, selon la NIE, l’Iran a la capacité technique et industrielle de fabriquer une bombe « s’il décide de le faire ». Cette appréciation rejoint, en termes de calendrier, celle de l’Agence internationale de l’énergie atomique. Le directeur de l’AIEA, Mohammed El Baradei espère d’ailleurs que l’évaluation des services américains va permettre de désamorcer une crise internationale.
Téhéran se félicite de ces révélations et demande que le Conseil de sécurité soit dessaisi du dossier. Israël affiche son scepticisme sur les conclusions du rapport. La France et la Grande-Bretagne jugent nécessaire de maintenir la pression. Il faut dire que cette note est révélée au moment où les six grandes puissances participant aux négociations sur le nucléaire iranien (France, Royaume-Uni, Allemagne, Etats-Unis, Russie et Chine) discutent d’une troisième résolution à l’ONU renforçant les sanctions contre Téhéran pour l’amener à suspendre ses activités d’enrichissement d’uranium.
Emancipation des services américains du pouvoir politique ?
On aurait donc pu croire que la Maison Blanche serait embarrassée par ces révélations mais finalement elle reprend les arguments à son compte. Téhéran aurait ainsi stoppé son programme nucléaire militaire sous la pression internationale initiée par George Bush. Le président américain maintient d’ailleurs l’existence d’un danger nucléaire iranien et n’exclut toujours pas le recours à la force. Il l’a fait savoir lors d’une conférence de presse mardi, à Washington. Il y a visiblement un décalage entre les politiques et la communauté du renseignement.
En tout cas, dès le mois de septembre, l’agence de presse internationale IPS (Inter Press Service) avait révélé l’existence d’une note de synthèse sur l’Iran aux conclusions embarrassantes pour la Maison Blanche. Cette note, rassemblant les points de vue des différentes agences de renseignement américaines, serait restée dans un tiroir pendant un an pour des raisons politiques puis finalement rendue publique. La synthèse initiale faisait état d’appréciations divergentes de celles défendues par l’équipe de George Bush à propos du danger que représente le programme nucléaire iranien. Des anciens officiers de la CIA en retraite affirmaient à l’époque que la note a été révisée et réécrite à trois reprises au cours de l’année écoulée. Le président américain souhaitait visiblement un document utilisable comme preuve pour justifier sa stratégie à l’égard de Téhéran.
George Bush avait donc connaissance de la nouvelle analyse de ses services il y a quelques semaines lorsqu’il brandissait le spectre d’une Troisième Guerre mondiale, d’un « holocauste nucléaire ». En émettant publiquement des doutes sur les capacités nucléaires militaires iraniennes, les services américains ont donc fait preuve d’une indépendance notable, ils ont surtout cherché à éviter les erreurs faites en Irak en 2002 lorsque leur travail a servi de justification à une intervention armée.
Changement de méthode
Montré du doigt après le scandale des armes de destruction massive irakiennes, l’échec du 11-septembre et la traque infructueuse de d’Oussama Ben Laden, les services de renseignement américain se sont réorganisés ces dernières années, ils ont tenté de combler le déficit en renseignement humain (le nombre d’agents en poste à l’étranger à augmenté de moitié), ils ont aussi adopté de nouvelles méthodes de travail, notamment après la dernière évaluation du programme nucléaire iranien en 2005. Les services se sont notamment appuyés sur des sources, publiques, par exemple, expliquent les experts, les photographies prises par des journalistes à Natanz au cours d’une visite organisée par les autorités iraniennes. Si le fruit de ce travail de récolte et d’analyse a pris du temps, répètent les responsables, c’est parce que l’Iran est une « cible difficile » pour les actions de terrain.
Par ailleurs, la communauté du renseignement américain est officiellement composée de 16 organisations liées au département d’Etat ou, le plus souvent, au Pentagone. Il s’agit d’une toile d’araignée complexe née de l’acte sur la réforme du renseignement et la prévention du terrorisme voté en 2004. La CIA a toujours sa place évidemment dans le nouvel organigramme, aux côtés de la toute puissante National Security Agency, responsable des écoutes téléphoniques, du National Reconnaissance Office chargé des satellites, de renseignement militaire…Toutes les agences ont été placées sous l’autorité du Directeur national du renseignement (DNI). Michael McConnell est l’actuel titulaire du poste. Le patron de cette superstructure doit chapeauter un essaim d’agences en bisbille permanente. Certaines agences ont d’ailleurs des analyses divergentes sur le dossier iranien. Le département de l’Energie et le Conseil national du renseignement par exemple émettent des doutes sur l’arrêt complet du programme nucléaire militaire iranien.
A écouter
« Le rapport n'a pas contribué à adoucir le ton à Washington ».
04/12/2007 par Donaig Le Du
« Pour la diplomatie européenne, ce rapport ne change rien ».
04/12/2007 par Monique Mas
« Ce rapport conforte indéniablement la position de Téhéran qui ne cesse d'affirmer que son programme est purement pacifique ».
04/12/2007 par Siavosh Ghazi
« De source sécuritaire israélienne, on indique que la position d'Israël est toujours la même ».
04/12/2007 par Michel Paul
Porte-parole du ministère français des Affaires étrangères
« Nous constatons que l'Iran n'a toujours pas répondu à toutes les questions posées sur ses activités passées et présentes. »
05/12/2007 par Frank Weil-Rabaud