Article publié le 05/12/2007 Dernière mise à jour le 05/12/2007 à 10:47 TU
RFI : Abdelaziz Rahabi, la visite de Nicolas Sarkozy en Algérie va s’achever aujourd’hui. Est-ce que vous avez l’impression que le président français a su trouver les mots pour apaiser cette relation franco-algérienne ?
Abdelaziz Rahabi : Le sentiment général ici à Alger est que les déclarations de Monsieur Sarkozy sont insuffisantes. Il tient un discours qui nous semble un peu à « géométrie variable », pour reprendre un mot qui lui plait beaucoup. Il n’a pas été très, très tranchant concernant la question du devoir de mémoire, du devoir de réparation historique. Les Algériens demandent…
RFI : Quand il dit : « Oui, le système colonial a été profondément injuste » », il ne va pas assez loin, selon vous ?
Abdelaziz Rahabi : Il ne va pas assez loin, parce que c’est une évidence, parce que c’est un constat que tout le monde fait, peut faire sur tous les systèmes coloniaux : tous les systèmes de domination sont injustes.
RFI : Alors, il y a tout de même une évolution par rapport à des déclarations plus ou moins récentes de Nicolas Sarkozy. En décembre 2005, il disait par exemple : « Cette repentance permanente qui fait qu’il faudrait s’excuser de l’Histoire de France touche parfois aux confins du ridicule ». Plus récemment, en mars 2007, il disait : « Je veux qu’on arrête cette repentance systématique, le système colonial, disait-il, est injuste, mais dire que tous les Français qui ont été en Algérie, ont été des exploiteurs, c’est faux ». Il a tout de même évolué aujourd’hui ?
Abdelaziz Rahabi : Il a peut-être évolué par rapport à lui-même, mais il n’a pas évolué par rapport aux déclarations de l’ambassadeur de France en 2005, ici à Alger, ni par rapport au président Chirac, encore moins par rapport à Charles de Gaulle.
RFI : Donc, il n’y a pas eu à proprement parler d’excuses, en effet. Est-ce que cette attente d’excuses de la France est une attente des Algériens, au sens général, ou est-ce que c’est plus une demande de la classe politique, et peut-être au fond, en particulier, du président Bouteflika ?
Abdelaziz Rahabi : C’est une demande sociale. S’agissant de traumatismes sociaux qui ont touché toute la société, toutes les familles ont été touchées ici par la guerre de libération. Elles ont plus ou moins subi des traumatismes à tous les niveaux de la société. Donc ce n’est pas une demande politique. A la limite, vous savez, si je dois m’en tenir aux dernières déclarations du président Bouteflika, il n’en fait aucune demande. Il n’y a pas une demande directe au président Sarkozy sur le devoir de reconnaissance et le devoir de réparation historique.
RFI : C’est vrai que le président Bouteflika a souhaité, je le cite, que « les problèmes entre l’Algérie et la France soient abordés avec courage » ; il n’a donc pas évoqué cette question de la repentance. Est-ce que là, vous voyez aussi finalement une évolution dans le discours du président ?
Abdelaziz Rahabi : Le terme de « repentance » n’existe pas dans le discours politique algérien ou le discours social. Ce sont uniquement des gestes, en rapport avec la reconnaissance des gestes de tous les jours, des gestes que la France a déjà pu faire, concernant le Vel' d'Hiv', Dreyfus, les anciens combattants coloniaux, l’abolition de l’esclavage ou encore tout dernièrement, la loi interdisant de nier le génocide arménien. Je pense que c’est par de petits gestes, de petites touches progressives, symboliques que nous participons ensemble à l’apaisement de cette fracture et de cette blessure qu’il y a entre les deux peuples.
RFI : Abdelaziz Rahabi, est-ce que l’on peut essayer un instant de mettre à part le passé colonial de la France pour se demander quelles sont les principales autres difficultés à surmonter pour parvenir à une relation sereine entre l’Algérie et la France ?
Abdelaziz Rahabi : Nous pouvons avancer et faire en sorte que l’avenir ne soit pas l’otage d’une relation dans laquelle nous avons installé les deux peuples dans un passé permanent. Nous pouvons le faire, il y a des gestes à faire, de petits gestes, par petites touches qui ne blessent personne, mais qui font que nous avançons ? Il faut et surtout éviter des gestes qui blessent, comme ces gestes en direction des rapatriés du sud de la France, ou ces déclarations d’une partie de la classe politique française. Ce sont des gestes qui blessent, qui sont inutiles et qui nous empêchent un peu d’avancer avec beaucoup de visibilité.
RFI : Le président Bouteflika a souligné dans un discours la nécessité de faire de la communauté algérienne, ce qu’il a appelé : « un trait d’union solide entre les deux pays » et il a dit : « Cette communauté vit parfois l’exclusion, souffre peut-être davantage de l’incompréhension, des préjugés culturels et de la ghettoïsation religieuse ». Est-ce que c’est un sujet, la condition des Algériens qui vivent en France, est-ce que c’est un sujet qui préoccupe beaucoup l’Algérie ?
Abdelaziz Rahabi : Je n’ai pas le sentiment que cela préoccupe beaucoup les Algériens. Ce qui préoccupe les Algériens, c’est leur quotidien, c’est la qualité de vie, c’est le chômage. Tout cela, ce sont des problèmes fondamentaux chez nous, c’est le développement. Ce qui est préoccupant par exemple, c’est que cette communauté n’ait pas pu s’organiser, n’ait pas pu constituer un lobby pro-algérien. Je le dis dans un sens très, très positif, parce que c’est une communauté où il y a de l’élite, mais il y a également des ouvriers, il y a des chômeurs. Mais c’est une communauté qui vit en France, ce sont des citoyens français, et à ce titre, ils peuvent représenter, comme dit le président : « un pont entre les deux peuples ». C’est un facteur d’apaisement, de compréhension. Mais peut-être que le président pose globalement le problème du dialogue des civilisations et des cultures aussi...
RFI : Est-ce que l’idée que les Algériens qui vivent en France auraient un sort peu enviable, est généralisée, est partagée par les Algériens. ?
Abdelaziz Rahabi : Je ne pense pas que les Algériens se préoccupent des conditions de vie de la communauté, spécialement ; je ne le pense pas.
RFI : Qu’attendez-vous du projet d’union méditerranéenne qui a été défendu par Nicolas Sarkozy, en particulier pendant sa campagne présidentielle ?
Abdelaziz Rahabi : A mon sens, il faut s’en féliciter pour deux ou trois raisons. Premièrement, parce que la France affiche pour la première fois une certaine ferveur en direction des problèmes de la Méditerranée, ce qui est tout à fait nouveau. Deuxièmement, parce que l’on se rend compte de plus en plus, au Nord, le président Sarkozy l’avait dit hier à Alger sur la question du terrorisme... Mais je voudrais relever que le président Sarkozy a eu une attitude très courageuse, des mots très forts, dénonçant le terrorisme et rendant hommage au peuple algérien et à sa résistance au terrorisme. Je pense que l’on va se rendre de plus en plus compte que c’est un problème régional, que ce n’est pas un problème du sud. Il y a cette question du terrorisme, il y a la question de l’énergie qui devient un facteur d’interdépendance, mais également un facteur d’intégration régionale. Il y a cette question de l’émigration clandestine, sur laquelle nous devrions travailler ensemble ; parce que nous aussi, en Algérie, on a souvent de l’émigration clandestine de l’Afrique sub-saharienne, et il y a probablement dans cette affaire d’Union méditerranéenne une arrière pensée, qui consiste à chercher une voie de sortie un peu pour la Turquie… On a le sentiment que les Européens ne sont pas prêts (à accueillir la Turquie, NDLR), et que cet espace que propose le président Sarkozy d’Union méditerranéenne pourrait bien convenir à la Turquie.
RFI : En un mot, l’accord sur le nucléaire civil. La France souligne que c’est le premier dans ce domaine avec un pays arabo-musulman. Est-ce qu’il faut y voir quelque chose comme un symbole ?
Abdelaziz Rahabi : Je pense que dans l’énoncé, il y a un symbole. Si le président français a choisi de dire « musulman », c’est pour faire un peu la comparaison avec l’Iran, et dire que nous pouvons utiliser à des fins civiles et pacifiques le nucléaire ; c'est-à-dire ce nucléaire n’a pas une couleur, une connotation religieuse. Il faut s’en féliciter, parce que nous avons ici besoin d’une énergie de substitution. La durée de vie de nos hydrocarbures n’est pas très élevée, peut-être, 30 ans, pas plus...
Entretien réalisé par Frédéric Rivière, de RFI