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Etats-Unis

Torture: soupçons sur la CIA

par Stefanie Schüler

Article publié le 07/12/2007 Dernière mise à jour le 07/12/2007 à 21:07 TU

Logo de la CIA© CIA/FBI

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© CIA/FBI

L’agence américaine de renseignement a confirmé avoir détruit au moins deux vidéos. Celles-ci montraient l’interrogatoire musclé de deux membres actifs d’al-Qaïda. Des défenseurs des droits de l’homme reprochent à la CIA d’avoir effacé des traces de torture sur des prisonniers.

La nouvelle polémique sur le programme secret de détention et d’interrogatoire de la CIA est arrivée par un article publié dans le New York Times. Dans ses colonnes, le quotidien affirme que des vidéos, enregistrées en 2002 par des membres des services secrets américains, « montraient des agents de la CIA soumettant des suspects de terrorisme, notamment Abou Zoubaydah (l’un des recruteurs en chef du réseau al-Qaïda et proche d’Oussama ben Laden ndlr) à des techniques d’interrogatoire sévères ». Et, s’appuyant sur plusieurs sources anonymes, l’article poursuit : « Ces enregistrements ont été détruits parce que les officiers étaient inquiets que des vidéos montrant des méthodes d’interrogatoire dures pourraient créer un risque sur le plan légal pour les employés de la CIA ».     

« Les vidéos représentaient un risque pour la sécurité des agents »

Le général Michael Hayden, directeur de la CIA. 

		(Photo : AFP)
Le général Michael Hayden, directeur de la CIA.
(Photo : AFP)

Voyant le nouveau scandale venir, le directeur de la CIA, Michael Hayden, a envoyé un mémo au personnel de l’agence de renseignement pour, comme il écrit, « prévenir le risque que des faits soient mal interprétés ».

Tout d’abord, Michael Hayden explique aux agents de la CIA pourquoi les vidéos ont été tournées en 2002 : selon le directeur, elles servaient à une sorte de « contrôle interne » de l’application du nouveau programme secret de détention et d’interrogation de terroristes présumés. C’était justement dans le but de ce contrôle qu’en 2003 les bandes ont été examinées par des agents spéciaux de la CIA. Toujours selon Mr. Hayden, ces derniers avaient alors qualifié les méthodes d’interrogatoire enregistrées sur les vidéos de conformes à la loi américaine.

Si l’agence de renseignement s’est enfin décidée en 2005 à détruire ces enregistrements, c’était uniquement parce que la CIA craignait pour la sécurité de son personnel figurant sur les bandes : « Au-delà de leur manque d'intérêt du point de vue des renseignements, puisque les interrogatoires ont été détaillés de façon exhaustive par voie écrite, et de l'absence de raison légale ou interne pour les garder, les enregistrements créaient un risque grave pour la sécurité. S'ils devaient faire l'objet d'une fuite, ils permettraient l'identification de vos collègues de la CIA qui ont servi dans le programme, leur faisant courir, à eux et leurs familles, un risque de représailles de la part d'al-Qaïda et de ses sympathisants », souligne le directeur Hayden dans son mémo à ses employés.

Effacer des traces de tortures 

Pour les défenseurs des droits de l’homme et des libertés civiles aux Etats-Unis, la vérité se trouve évidement ailleurs. Selon eux, les agents de la CIA n'avaient pas à craindre sur le plan de leur sécurité mais risquaient par contre d’être poursuivis en justice pour « des cas de torture ».

« La destruction de ces bandes semble s’inscrire dans un contexte global où les autorités usent de leur pouvoir à mauvais escient pour éviter à des individus d’être poursuivis au pénal pour torture et mauvais traitements », s’est indignée l’importante organisation de défense des libertés civiles ACLU.

Pour Amnesty International la destruction des cassettes est une obstruction à la justice : « Si les cassettes contenaient des preuves de comportement criminel, elles auraient exposé ceux qui étaient impliqués à des poursuites pénales », a souligné Amnesty, qui réclame une enquête approfondie et ouverte.

« Des millions de documents dans les archives de la CIA pourraient permettre d’identifier ses agents », estime aussi Tom Malinowski, directeur de l’organisation Human Rights Watch à Washington avant de poursuivre : « Mais à la différence avec les documents d’archives, ces vidéos montrent une activité criminelle. Si l’opinion publique avait pris connaissance de ses images, elle aurait considéré ces actes comme de la torture, comme un délit très grave. Et c’est pour cela qu'on les a détruites ». 

Il est vrai que la destruction des bandes tombe curieusement au moment où, en 2005, le Congrès ainsi que la justice se penchaient sur le programme secret d’interrogation et de détention de la CIA.

Un programme secret et ses « méthodes alternatives »

Le programme secret de détention et d'interrogatoires a été lancé par l’administration Bush après les attentats du 11 septembre 2001. Il permet aux services de renseignement de recourir à des « techniques accrues » lorsqu'ils interrogent des terroristes présumés. Alors que les techniques militaires concernant les interrogations sont clairement codifiées, les détails sur les méthodes employées par la CIA sont restés confidentiels.

Pour de nombreux observateurs et défenseurs des droits de l’homme, les faits sont pourtant clairs : des techniques brutales d’interrogatoires comme le maintien en hypothermie, la privation de sommeil prolongée ou le « waterboarding » (faire croire au prisonnier qu’il se noie) sont des méthodes de torture moderne et en conséquence une violation de la Convention de Genève, selon laquelle « aucune torture physique ou morale ni aucune contrainte ne pourra être exercée sur les prisonniers de guerre pour obtenir d'eux des renseignements de quelque sorte que ce soit ».

Maintes fois mis en cause ses derniers mois pour avoir permis l’usage de ces techniques, le président Bush s’est jusqu’à présent refusé de parler de torture, préférant l’euphémisme de « méthodes alternatives ».

Mais les députés américains, y compris certains républicains, sont de moins en moins disposés à accepter cet assouplissement du droit international. Ce jeudi, les membres de la commission du renseignement du Sénat ont décidé que toutes les autorités américaines, y compris les agents de la CIA, devraient se plier aux mêmes règles que les militaires. Ce qui veut dire : renoncer au programme secret et à ses méthodes violentes. Le projet de loi doit encore être adopté par la Chambre des représentants et le Sénat pour entrer en vigueur. Toutefois, George W. Bush pourrait être tenté d’y opposer son veto.