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Pérou

Fujimori : un procès historique

par Stefanie Schüler

Article publié le 10/12/2007 Dernière mise à jour le 10/12/2007 à 20:46 TU

Ce lundi s’est ouvert à Lima le procès contre l’ancien président péruvien, Alberto Fujimori. Il est jugé pour deux massacres qui ont fait 25 morts au début des années 1990, ainsi que pour l’enlèvement et la détention de deux opposants. En cas de condamnation, l’ex-chef d’Etat risque 30 ans de prison. Pour les défenseurs des droits de l’homme, le jugement d’Alberto Fujimori constitue une étape importante pour la réconciliation au Pérou. Mais son procès risque d’être long.

Le bâtiment à Lima, où est détenu Alberto Fujimori.(Photo : Reuters)

Le bâtiment à Lima, où est détenu Alberto Fujimori.
(Photo : Reuters)

C’est un scénario rarissime au Pérou : pour la première fois depuis 1930 un chef d’Etat prend place sur le banc des accusés. Dans la salle d’audience de la Cour suprême fédérale, spécialement construite pour l’occasion à l’est de Lima, Alberto Fujimori affrontera un juge qui le connaît bien : César San Martin. En avril 1992, celui-ci était avocat. Maître San Martin fut alors renvoyé lors du coup d’Etat initié par le président lui-même pour consolider son pouvoir.

Quinze ans plus tard, c’est donc au juge San Martin de décider de l’implication d’Alberto Fujimori dans deux massacres, devenus symbole des années noires au Pérou : entre 1980 et 2000, les crimes commis par la guérilla maoïste du Sentier lumineux et par le Mouvement révolutionnaires Túpac Amaru ont été réprimés par les membres des forces armées et des forces de sécurité. Ce conflit a fait 70 000 morts et disparus. 

Les massacres de Barrios Altos et Cantuta

Dans la nuit du 3 novembre 1991, plusieurs hommes, femmes et vieillards ainsi qu’un enfant se retrouvent autour d’un barbecue dans un quartier de Lima, le Barrios Altos. Quinze d’entre eux sont exécutés. Ils étaient soupçonnés par les autorités péruviennes de faire partie du Sentier lumineux. Seulement quelques mois plus tard, le 18 juillet 1992, neuf étudiants et un professeur sont enlevés à l’Université de la Cantuta à Lima. Ils sont torturés et ensuite massacrés dans un terrain vague, abattus de balles dans la nuque. Les deux crimes ont été commis par un escadron de la mort à la réputation terrifiante : le Grupo Colina

Grupo Colina

Le Grupo Colina est créé en 1992 au sein du Service national des renseignements dans le cadre de la lutte des autorités péruviennes contres les guérillas. Pour mieux mener cette bataille, Fujimori accorde à l’état-major le pouvoir d’arrêter les personnes suspectées de terrorisme et de les juger en secret par des tribunaux militaires. Dans ce contexte, le Grupo Colina sème la terreur pendant de longues années. Formé de militaires, le groupe est dirigé par l’un des plus proches conseillers du président Fujimori, Vladimiro Montesinos. Ce dernier, ainsi que cinquante-six autres personnes liées au Grupo Colina, est actuellement jugé au Pérou pour association de malfaiteurs, enlèvement avec circonstances aggravantes, meurtre et disparition forcée. En septembre 2005, trois personnes accusées d’appartenir au Grupo Colina ont reconnu avoir participé aux crimes dont elles étaient accusées et se sont déclarées coupables des chefs d’accusation retenus contre elles.

Il est désormais prouvé qu’aucune victime des deux massacres de Barrios Altos et de Cantuta ne faisait partie de la guérilla. Alberto Fujimori, quant à lui, nie toujours avoir eu connaissance des crimes commis par l’escadron et renvoie l’entière responsabilité de ces faits sur Vladimiro Montesinos.

Toutefois, les défenseurs des droits de l’homme au Pérou gardent l’espoir de voir l’ancien président condamné, d’autant plus que M. Montésinos a déclaré la semaine dernière devant le tribunal avoir agi sur le seul commandement du président.

« J’ai confiance en l’impartialité des juges. Les preuves sont accablantes contre Fujimori », explique par exemple Francisco Soberon, porte-parole des associations pour le procès. Même son de cloche chez Amnesty International. L’organisation a recensé des centaines de cas de disparition forcée et d’exécution extrajudiciaire imputables aux forces de sécurité péruviennes pendant les dix années de pouvoir d’Alberto Fujimori de 1990 à 2000. « Les témoignages des anciens membres du Grupo Colina ont confirmé ses liens avec le Service national de renseignements et Alberto Fujimori. Les violations des droits humains commises au Pérou sous le gouvernement d’Alberto Fujimori ont été systématiques et l’impunité, légalisée. Le caractère généralisé et systématique de ces violations en font des crimes contre l’humanité, c’est à dire des crimes constituant une offense pour toute l’humanité, pour chacun d’entre nous », a déclaré Amnisty International dans un communiqué à l’occasion de l’ouverture du procès.

Un pas vers la réconciliation nationale

Nombreux sont les Péruviens qui voient en l’ouverture du procès contre l’ancien chef d’Etat un signe d’espoir : celui de voir enfin avancer la réconciliation nationale. Les familles des victimes du régime Fujimori réclament justice. Elles souhaitent que le jugement de l’ancien dignitaire soit impartial et contribue à l’ouverture de nouvelles enquêtes judiciaires pour que toutes les violations des droits humains commises au Pérou fassent l’objet de décisions de justice.

Mais selon l’avis des analystes et observateurs à Lima, le procès risque d’être long : il pourrait durer entre 9 mois et deux ans, avec la possibilité pour Alberto Fujimori de faire appel. Pourtant le temps presse : au mois de juillet prochain, l’ancien président fêtera ses 70 ans ce qui entraînera, selon la loi péruvienne, une éventuelle réduction de peine et la possibilité de la purger à domicile et non en prison. Le procureur a donc intérêt à ce que le procès du siècle au Pérou se déroule sans incident majeur, pour qu’Alberto Fujimori soit jugé avant cette date d’anniversaire fatidique.  

Chrystelle Barbier

Correspondante de RFI à Lima

«C'est alors que l'ancien président a surpris tout son monde : face à un jury médusé, il s'est lancé dans un discours digne d'un meeting politique !»

10/12/2007 par Chrystelle Barbier