Article publié le 13/12/2007 Dernière mise à jour le 13/12/2007 à 17:41 TU
RFI : Lors des attentats de mercredi à Alger, les bombes ont explosé devant le Conseil constitutionnel et contre un immeuble où se trouvaient les bureaux de l’ONU dans le pays. Attentat revendiqué par la branche d’al-Qaïda au Maghreb islamique, l’ancien GSPC. Ces attentats ne vous étonnent pas ?
Eric Denécé : Non, ces attentats ne sont pas surprenants. On savait que, déjà, le dimanche précédent, le GSPC avait fait une tentative d'attentat contre des travailleurs russes qui travaillaient sur un oléoduc. Cela n’avait pas marché puisqu’une des deux bombes n’avait pas explosé et l’autre avait juste endommagé le car. On est dans un phénomène de terrorisme urbain qui caractérise les pratiques du GSPC depuis quelques mois, et on s’attendait malheureusement à un acte de cette nature.
RFI : Le fait que le bâtiment de l’ONU ait été visé et non pas simplement un bâtiment officiel, comme cela a été le cas par ailleurs avec le Conseil constitutionnel, quelle leçon peut-on en tirer ?
Eric Denécé : Il y a des leçons, mais elles sont marginales quant à l’évolution du mouvement. C'est-à-dire que le GSPC (Groupe salafiste pour la prédication et le combat) à l’origine a été un mouvement qui a succédé au GIA (Groupe salafiste pour la prédication et le combat), en fonction des atrocités qui étaient commises. Puis, il a commencé à se criminaliser. Ils se sont débarrassés d’une branche, notamment dans la région sud. Ils ont été après victimes de la « paix des braves » qu’a lancée le président Bouteflika. Et donc, ceux qui restent, ce sont les plus radicaux, sont de plus en plus inféodés à la nébuleuse al-Qaïda et appliquent ni plus ni moins les mêmes modes opératoires qu’eux. Je crois qu’il faut rapprocher à la fois le type d’attentats, des voitures piégées extrêmement mortifères et les cibles, aussi bien le bâtiment de l’ONU que ceux de la République algérienne, d’une copie conforme de ce qui se passe en Irak et notamment de l’attentat contre l’ONU qui avait eu lieu à Bagdad en 2003.
RFI : Certains ont eu l’occasion de dire que ces attentats marquaient l’échec de la politique de réconciliation nationale, voulue par le président Bouteflika, dans la mesure où l’un des kamikazes a profité de ce programme de réconciliation ?
Eric Denécé : Loin de moi le souhait de défendre le régime algérien, mais ce n’est pas d’abord sur le comportement d’un seul homme que l’on peut juger de l’échec d’une politique. Et puis surtout ce qu’il faut voir c’est qu’au contraire la fuite en avant du GSPC actuellement, est la résultante directe des efforts et des succès de la lutte anti-terroriste en Algérie. Si ce mouvement passe aujourd’hui à des actions urbaines, à des attentats extrêmement horribles et dévastateurs, c’est d’abord et surtout parce qu’il est devenu incapable de contrôler des zones libérées en province. Il ne peut plus avoir de maquis, puisque la pression de l’armée est terrible. Il n’a plus assez d’hommes et aujourd’hui ceux qui restent et qui sont encore suffisamment nombreux pour nous embêter pendant quelques années n’ont d’autre choix que d’en venir à des attentats urbains, parce que l’on se dissimule mieux en ville, et surtout à des attentats très spectaculaires pour montrer qu’ils existent alors même qu’ils sont en perte de vitesse.
RFI : Aveu de faiblesse donc, plutôt que prise de dimension, dans la mesure où l’ex-GSPC s’est allié à al-Qaïda et se fait appeler « La branche d’al-Qaïda au Maghreb islamique » ?
Eric Denécé : Vous notez que j’utilise toujours l’expression GSPC, parce que pour moi, il y a un deuxième échec de ce mouvement, c’est qu’il n’a pas réussi à étendre son influence au Maghreb. Sa tentative de pénétration en Tunisie n’a strictement rien donné. Il a réussi un peu mieux au Maroc, mais de manière vraiment très, très marginale par rapport aux mouvements marocains. Donc au bout du compte, malgré le changement de nom, qui n’est plutôt qu’un changement de dénomination marketing, ils n’ont pas réussi à se développer et bien au contraire, ils sont plutôt en phase de régression.
RFI : Hier, le ministre algérien des Affaires étrangères assurait que la recrudescence de ces attentats en Algérie ne risque pas de mettre son pays en situation de guerre civile ; c’est un avis, une analyse que vous partagez ?
Eric Denécé : Oui, j’ai vu dans la presse française ou francophone ces derniers jours, certains analystes parler d’un redémarrage de la guerre civile. Alors, je ne souscris pas du tout à cette analyse. Il me semble que l’on est face à des phénomènes tout à fait horribles, mais qui malgré tout sont plutôt des spasmes d’un mouvement qui peut certes, mettre longtemps à disparaître, mais beaucoup plus des spasmes qu’un signe annonciateur d’un redémarrage de la crise.
RFI : Un mot peut-être sur le fait que le colonel Kadhafi, de même que le président iranien aient condamné ces attentats, c’est quand même nouveau de la part de ces chefs d’Etat ?
Eric Denécé : Oui, c’est très nouveau. Cela me surprend beaucoup plus d’Ahmadinejad que de Kadhafi. Kadhafi est lui-même la cible de mouvements islamistes radicaux dans son pays. Donc, il a tout a fait compris qu’il ne pouvait pas du tout s’allier avec ces gens-là. De la part d’Ahmadinejad, c’est plus surprenant, mais il faut le mettre dans le jeu politique actuel, dans les relations avec les Etats-Unis, suite à la publication du rapport du NIE (National intelligence estimate).
Entretien réalisé par Philippe Lecaplain