par Piotr Moszynski
Article publié le 27/12/2007 Dernière mise à jour le 27/12/2007 à 18:00 TU
On craint souvent – et à juste titre – les Etats qui deviennent imprévisibles. Cependant, les excès de prévisibilité sont parfois aussi inquiétants. La Russie en est un bon exemple, du moins sur le plan des résultats des élections. En effet, à un peu plus de deux mois du scrutin, on peut d’ores et déjà prévoir avec une quasi certitude le nom du prochain président de la Fédération Russe. Ce sera Dmitri Medvedev. Et ce n’est pas tout. On connaît aussi le nom de son Premier ministre – un nom beaucoup plus familier, car il s’agit de Vladimir Poutine.
La popularité de Dmitri Medvedev croît de façon tellement spectaculaire qu’elle laisse tout observateur occidental bouche bée. Un tel phénomène serait impensable dans le système démocratique qu’il connaît. Crédité il y a un mois d’environ 20% d’intentions de vote, Medvedev en recueille 35% à la mi-décembre, pour atteindre, une semaine plus tard, 46% selon un sondage du Fonds d’opinion publique et 79% selon celui d’un institut indépendant Centre Levada !
On a l’étrange impression de voir les électeurs russes exécuter tous en même temps un ordre venu d’en haut: «Maintenant, c’est celui-là qui sera populaire! ». Et il le devient immédiatement. Le plus étonnant, c’est que cela n’a rien d’artificiel. Cette popularité existe vraiment, elle est authentique. Personne n’a besoin de truquer les sondages. Ils reflètent assez fidèlement la réalité. Ce n’est d’ailleurs pas nouveau dans l’histoire électorale russe. Une aventure très semblable était déjà arrivée à Vladimir Poutine. Très discret et peu connu de l’opinion publique, le chef du FSB (services spéciaux) a été propulsé presque du jour au lendemain sur le devant de la scène politique par Boris Eltsine, pour devenir peu de temps après son successeur au Kremlin et accéder à un statut carrément monarchique. De la même façon, le discret premier vice-Premier ministre Dmitri Medvedev, jusqu’à présent juste un parmi de nombreux apparatchiks gouvernementaux gris et ordinaires, devient en trois semaines, dès la bénédiction officielle donnée par Vladimir Poutine, une sorte d’icône nationale qui suscite l’admiration des quatre cinquièmes du corps électoral.
Le poids de l’histoire
Est-ce une entrave au bon sens? Tout dépend du point de vue. Vu de l’Occident, c’est surprenant, incongru, voire ridicule. En plus, cela rend très difficile une reconnaissance du régime russe comme démocratique. Tout cela rappelle plus une désignation des tsars successifs et la distribution des postes parmi leurs vassaux qu’une élection.
Du point de vue de l’avenir de la Russie elle-même, cela semble assez dangereux. Il n’est peut-être pas très judicieux de conserver un système rigide, recroquevillé sur lui-même, autocratique et oligarchique, dans un des plus grands et des plus importants pays du monde, au moment où ce monde s’ouvre de partout, abolit les frontières, devient plus souple et exige que les forces vives de chaque nation se libèrent davantage pour palier la compétition à l’échelle globale. La confiance un peu trop aveugle dans les matières premières éternellement chères, accessibles et pouvant assurer le statut de grande puissance risque de s’avérer préjudiciable pour le peuple russe.
Pourtant, du point de vue d’un Russe ordinaire, cette manière de préparer les élections n’a rien d’étonnant ou d’inquiétant. Bien au contraire, c’est précisément cette manière de faire qui semble lui apporter un sentiment hautement apprécié en Russie par les temps qui courent : celui de stabilité et de sécurité. C’est une réalité sociale, politique – et même psychologique – avec laquelle il faut compter et composer. Il est vrai que la Russie n’a connu de petites prémices de démocratie qu’au tout début de son existence. Après, pendant de longs siècles, elle n’a connu qu’une longue série de dictatures plus ou moins sanguinaires, très souvent assorties d’un fort culte de la personnalité organisé au niveau central de l’Etat : les khans suivis des tsars, suivis des bolcheviks léninistes et staliniens, suivis des communistes khrouchtchéviens et brejnéviens… Pas étonnant qu’avec une telle histoire, les Russes puissent ressentir les tentatives d’introduire une vraie démocratie, un vrai libre choix, un vrai libre jeu de forces politiques décentralisées, comme l’introduction d’un chaos menaçant et comme une atteinte à l’identité nationale, forgée pendant des siècles.
Cherche opposition désespérément
Ainsi, la tâche de l’opposition politique au pouvoir central est très rude dans un pays comme la Russie. Deux candidats de l’opposition à l’élection présidentielle – Garri Kasparov et Boris Nemtsov – se sont retirés de la course d’eux-mêmes, estimant qu’ils n’avaient aucune chance de concourir efficacement. Une troisième candidature – celle de Vladimir Boukovski – a été rejetée par la commission électorale (les candidats doivent avoir vécu les dix dernières années en Russie, alors que Boukovski vit toujours en Grande-Bretagne). Le seul candidat sérieux de l’opposition encore en lice reste l’ex-Premier ministre Mikhaïl Kassianov. Aura-t-il assez de poids pour faire face simultanément à l’indifférence générale aux appels de l’opposition, aux difficultés de l’opposition elle-même à s’unir, et aux obstacles que lui met sur la route le pouvoir en place? Cela semble très peu probable.
En fin de compte, l’opposition semble s’orienter plutôt vers la tactique d’absence critique : laisser l’équipe poutinienne sans opposition visible lors des élections pourrait finalement s’avérer très inconfortable pour le Kremlin, surtout par rapport aux opinions publiques occidentales. Cela pourrait aussi faciliter les accusations de «farce électorale» que formule déjà Boris Nemtsov. Très sévère avec le pouvoir, il lui reproche également d’avoir recours à une «propagande de style Goebbels» et de soumettre l’opposition aux pressions administratives et à celles des organes de sécurité. Condoleezza Rice n’hésite pas à parler d’«un recul par rapport à ce qui était un processus démocratique» en Russie. Est-ce que les efforts de l’opposition et les pressions de l’Occident risquent de changer rapidement les traditions, les habitudes et les mœurs politiques en Russie? Rien n’est moins sûr.