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Italie

Une poubelle nommée Naples

par Piotr Moszynski

Article publié le 07/01/2008 Dernière mise à jour le 07/01/2008 à 17:41 TU

Incendies, manifestations, heurts avec la police – et surtout, l’odeur nauséabonde qui émane de montagnes d’ordures non ramassées – c’est l’image actuelle d’une des plus pittoresques villes au monde, Naples. Cela fait déjà des années qu’elle essaie de se débarrasser des immondices qui s’entassent périodiquement dans ses rues. Fléau difficile à combattre en raison de nombreuses erreurs de gestion, de la corruption rampante et de l’emprise de la mafia sur le secteur.

A Afragola, dans la banlieue de Naples, le 3 janvier 2008.(Photo : Reuters)

A Afragola, dans la banlieue de Naples, le 3 janvier 2008.
(Photo : Reuters)

Sur quelques sacs en plastique éventrés, on peut lire : « Bonne année 2008 ». Devant une table de camping en guise d’autel et sur fond de pompes à essence qui font figure de vitraux, un prêtre célèbre une messe sous la pluie et au milieu des amas d’ordures abandonnées. Ici ou là, les sirènes retentissent – les pompiers tentent d’éteindre des tas de déchets qui dépassent parfois plusieurs mètres et que les habitants brûlent directement dans la rue, malgré la plus stricte interdiction : les fumées dégagées risquent de contenir des dioxines, très nocives pour la santé. C’est bien cela, le paysage de Naples d’aujourd’hui. Les éboueurs napolitains ont cessé de ramasser les poubelles quelques jours avant Noël. Ils réclament l’ouverture de nouvelles décharges car celles qui existent déjà sont surchargées.

« Les ordures, c’est de l’or »

L’idée ne plaît pas à tout le monde. Surtout pas aux riverains des décharges qui devraient être créées ou rouvertes. Depuis Noël, plusieurs manifestations ont été organisées contre ces projets et quatre bus ont été brûlés pour bloquer l’accès à l’un des terrains concernés. Certains y voient la main de la Camorra – la mafia – qui n’a aucun intérêt à voir se développer des décharges officielles, tout à fait en règle, qui pourraient concurrencer celles qu’elle arrive à contrôler. Le mécanisme de son emprise sur le secteur est redoutablement efficace. Cela commence par l’achat à bas prix d’un insignifiant terrain agricole. Ensuite, grâce à ses influences, connivences et pressions, la mafia obtient les autorisations nécessaires pour transformer le terrain acquis en décharge. Une fois le contrôle sur la nouvelle entreprise établi, la Camorra y écoule non seulement des déchets « normaux », mais aussi des produits toxiques provenant des industries du Nord. Selon les experts cités par le journal Libération, le chiffre d’affaires obtenu par les mafiosi grâce à cette activité pourrait s’élever à 10 milliards d’euros par an ! Pas étonnant de voir un des boss de la Camorra dire devant un magistrat : « Les ordures, c’est de l’or ».

Dans ce contexte, pas étonnant, non plus, que toutes les initiatives visant à moderniser le traitement des déchets dans la région échouent ou traînent sans fin depuis des années. En Lombardie, au nord de l’Italie, on compte plus d’une douzaine d’incinérateurs. En Campanie – région dont Naples est la capitale – il n’y en a aucun. Le seul prévu est toujours en voie d’achèvement. Seulement 10% des déchets en moyenne sont soumis au tri sélectif. Il y a – tenez-vous bien ! – DIX ans, le ministre de l’Environnement avait lancé un ambitieux plan ayant pour objectif de transformer les déchets en énergie. Le plan prévoyait la construction de sept centres de compactage qui devaient approvisionner deux autres centres dédiés, eux, à la thermovalorisation. Dix ans passés, aucune de ces structures n’est encore achevée. En revanche, ce sont les thermovalorisateurs allemands qui tournent à plein régime grâce aux abondants arrivages des déchets napolitains. Entre 1 500 et 2 000 tonnes d’ordures partent quotidiennement de la Campanie en Allemagne, ce qui coûte un million d’euros par jour. Et quand la justice ferme les décharges où elle trouve des preuves de l’emprise de la mafia, cela rend la situation encore pire.

Un seul résultat : l’inefficacité

La Commission européenne est loin d’y voir un bel exemple de coopération au sein de l’UE. Elle semble plutôt perdre patience en voyant les autorités italiennes laisser pourrir la situation – aux sens propre et figuré. Le système de gestion des déchets a été mis en place il y a vingt-trois ans, en 1984, mais il n’a prouvé qu’une seule chose : son inefficacité. En 1994, Rome a commencé à envoyer à Naples des commissaires spéciaux, chargés d’apporter une solution au problème. Au total, ils étaient huit à essayer. Tous ont dû affronter des incuries bureaucratiques, les résistances des populations locales, les détournements de fonds – tout cela, avec la Camorra en toile de fond. Finalement, aucun des commissaires n’est parvenu à résoudre quoi que ce soit. Périodiquement, les immondices s’entassent dans les rues de la Campanie. Le dernier exemple d’avant l’accumulation actuelle date de mai 2007, quand quelques 15 000 tonnes d’ordures ont  jonché les rues de Naples et de sa province pendant trois semaines. Tout de suite après, en juin, Bruxelles a réagi en ouvrant une procédure contre l’Italie pour « infraction à la législation communautaire en matière de déchets ».

Malheureusement, pour les acteurs sur place, ce ne sont que des paroles. L’actuel ministre italien de l’Environnement évalue le désordre à Naples de façon froide, sobre et tristement réaliste : « Cela créé le chaos, dans lequel la Camorra est toujours vainqueur ».

Fabrizio Calvi

Journaliste et écrivain spécialiste de la mafia

C'est un gros marché pour la camorra [mafia napolitaine] qui contrôle la distribution et la gestion des ordures.

07/01/2008 par Patrick Adam