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Kenya

Kibera, deux semaines après les émeutes

Article publié le 13/01/2008 Dernière mise à jour le 13/01/2008 à 10:33 TU

Deux semaines après les violences qui ont suivi l’annonce des résultats des élections, le quartier populaire de Kibera à Nairobi porte encore les marques des destructions passées. Certains commencent pourtant à essayer de parler de réconciliation.

De part et d’autre de cette rue les cendres, les gravats et les débris de verre viennent rappeler qu’il y avait, ici, des magasins.( Photo : L. Correau/RFI)

De part et d’autre de cette rue les cendres, les gravats et les débris de verre viennent rappeler qu’il y avait, ici, des magasins.
( Photo : L. Correau/RFI)

De notre envoyé spécial à Nairobi, Laurent Correau

Chapeau de paille enfoncé sur la tête, Frederic Ochieng marche au milieu des cendres, des gravats, au milieu de murs sans charpente et sans toit. Jadis, il y avait ici un supermarché. Jadis ? En fait, il y a... deux semaines.

« <em>Ici, c’était un cybercafé</em> » se lamente Frederic Ochieng.( Photo : L. Correau/RFI)

« Ici, c’était un cybercafé » se lamente Frederic Ochieng.
( Photo : L. Correau/RFI)

Les manifestants du quartier de Kibera ont tout détruit. « Ce magasin a été brûlé par des Kényans en colère à cause des résultats des élections », explique Frederic, en montrant les murs qui l’entourent. « Les gens faisaient leurs courses ici. Maintenant, nous ne pouvons plus faire nos courses nulle part ». Le bitume situé à l’entrée du quartier reste noirci par le feu. De part et d’autre de la route, les irrégularités dans le sol et les débris de verre montrent bien qu’il y avait ici des magasins, avant…

« Ici, c’était un magasin de photos », montre Frédéric en marchant le long de la rue… « Là, je ne me souviens plus… Là il y avait une blanchisserie… Ici on pouvait acheter des frites pour le repas… Il ne reste rien, tout a été brûlé. » 

« Il a tué la démocratie »

Pourquoi un tel déchaînement de violence ? « Les Kényans veulent leurs droits, parce que leurs droits ont été violés par le gouvernement », explique Frédéric Ochieng. « Ce problème a été causé par Kibaki. Nous l’avons élu démocratiquement en 2002, mais quand les Kényans ont voulu l’enlever de son poste de manière démocratique, il les a trompés. Il a tué la démocratie dans le pays. Il y a des gens qui disent qu’ils ne voteront plus jamais… »

Pourquoi s’en être pris aux Kikuyus, la communauté du président Kibaki ? « Les Kikuyus ne sont pas un problème pour nous. Mais puisque les gens ne peuvent pas atteindre Kibaki, les seuls qu’ils puissent atteindre sont les Kiukuyus, les gens de sa tribu, qui vivent à leurs côtés. C’est pour cela que les gens se battent ».

Une photographe se lamente, dit qu’elle a tout perdu : son magasin, ses appareils… mais qu’elle ira manifester mercredi prochain. « Nous, tous, ici, nous savons que Raila a gagné les élections. Nous voulons que Kibaki démissionne ».

La destruction des magasins a désorganisé l’économie du quartier. Un jeune raconte : « Les prix du pain, du lait ont augmenté. Les unités téléphoniques : une carte de 50 unités pourra être vendue 70 shillings au lieu de 50… Il y a tellement de choses qui coûtent plus cher : la nourriture... ou les transports : pour faire la route jusqu’au centre il fallait 30 ou 40 shillings. Maintenant, du centre vers Kibera il faut payer 50, 60 ou 70 shillings. »

Le théâtre pour promouvoir la diversité

Les jeunes de l’association SHOFCO veulent organiser des pièces de théâtre pour sensibiliser les habitants de Kibera à la tolérance.( Photo : L. Correau/RFI)

Les jeunes de l’association SHOFCO veulent organiser des pièces de théâtre pour sensibiliser les habitants de Kibera à la tolérance.
( Photo : L. Correau/RFI)

Kibera, à deux pas de l’ancien supermarché : une grille en fer, un petit jardin dans lequel on trouve des légumes. C’est ici qu’est installé Shofco, pour Shining hope for community (Espoir qui brille pour la communauté), une association créée en février 2006 par des jeunes de Kibera. Ils sont réunis dans un étroit rez-de-chaussée pour leur première réunion de l’année. Ils viennent de différentes communautés du Kenya : Luo, Luhya, Kalenjin, Kamba… Le président, lui, est un Kikuyu.

Ils ont décidé de promouvoir dans Kibera cette diversité, et l’esprit de tolérance qui la protège. A cause de, ou en dépit des violences qui ont éclaté il y a deux semaines.

« Si vous êtes pauvre, la tribu ne compte pas », explique Collins Okoth, chargé de programme à Shofco. « Si les prix grimpent, on n’a pas besoin de savoir si vous êtes Kikuyu ou Luo. Pendant que nous nous battons ici, ces députés et tous ces gens riches vont dans des conférences de presse. Pour eux, c’est un jeu politique, mais ils ne sont pas directement affectés. Notre première stratégie sera d’utiliser un groupe de théâtre qui va jouer des pièces sur la façon dont les gens peuvent vivre ensemble, comment ils peuvent penser en termes de fraternité… et oublier ce que disent les politiciens… ».

Shofco, qui compte une vingtaine de membres actifs, envisage également d’organiser des ateliers de réflexion dans Kibera, et d’aller voir les populations déplacées par les violences.

Deux semaines après le pillage des magasins, les habitants racontent également que certains ont ramené à leur lieu de départ les biens volés. Car selon la rumeur, ces biens auraient été ensorcelés. « Certains des commerçants ont fait usage de la sorcellerie pour protéger leurs biens », explique Collins Okoth… « Et ceux qui ont volé des choses chez eux ont commencé à souffrir de brûlures d’estomac… à uriner du sang… Des choses très étranges ont commencé à leur arriver. Et donc, ces gens ont commencé à se dire "ce que j’ai pris me fait du mal. Je dois rendre ce qui reste pour pouvoir être sauvé"… et ils ont commencé à rendre les biens qu’ils avaient pris… Qu’il y ait toujours un magasin ou pas, ils vont là où ils ont pris les choses et ils les jettent là-bas ».

Pour plus d’informations sur Shofco : collyokoth@yahoo.com