Article publié le 20/01/2008 Dernière mise à jour le 20/01/2008 à 22:59 TU
Après une longue agonie, la compagnie aérienne créée en 1963 a finalement été liquidée sur décision de justice, provoquant colère et abattement chez les salariés et privant la Mauritanie d’un important symbole national. Après trois mois de chômage technique, les 400 salariés de la compagnie ont l’impression d’avoir été méprisés.
Le siège d'Air Mauritanie à Nouakchott. Le rideau de fer est baissé depuis quatre mois, depuis l'immobilisation à Paris des deux appareils de la compagnie nationale.
(Photo : Manon Rivière/RFI)
Par notre correspondante à Nouakchott, Manon Rivière
« C’était une volonté politique de couler Air Mauritanie, souffle un mécanicien. On s’y attendait ! » Mélange de découragement et de colère, le sentiment est partagé par l’ensemble des 400 salariés de la compagnie nationale, ainsi que par la population mauritanienne. « Quel gâchis ! s’exclame un Nouakchottois. Toute cette expérience technique ruinée par des années d’impunité et de détournements. Car tout le monde s’est servi dans les caisses ». Mamadou Lamine N’Gaïdé, qui fut chef-comptable durant vingt ans, de 1979 à 1999, témoigne : « Les huit dernières années, c’est simple, il n’y a pas eu de comptabilité ».
Inévitable
La liquidation judiciaire a été prononcée jeudi soir par le président du tribunal de commerce de Nouakchott au terme de quatre mois de flou et de rumeurs. Addou ould Babana a également nommé un liquidateur en la personne de Mohamed ould Horma ould Abdi, l’ancien inspecteur général d’Etat. C’est lui qui va déterminer l’avenir des biens de la compagnie -il pourrait ainsi décider de la vente du siège d’Air Mauritanie à Nouakchott-, mais devra surtout calculer le montant des indemnités qui seront accordées à chaque salarié. « Seuls les anciens peuvent espérer quelque chose de conséquent, explique Hassan ould Deidi, mécanicien avion et porte-parole des salariés. En effet, plus de la moitié du personnel a été recruté dans les années 2000, au moment de la privatisation sauvage de la compagnie ». A cette époque, quelques mois seulement avant sa propre liquidation, la compagnie Air Afrique était devenue subitement l’actionnaire majoritaire d’Air Mauritanie. Avant que les investisseurs privés mauritaniens n’entrent dans le jeu, l’Etat conservant seulement 39% du capital. « Les privés ont géré la compagnie au jour le jour, comme une boutique, déplore encore Hassan ould Deidi. Nous avions l’apparence d’une compagnie aérienne, mais nous n’avions aucun fondement, rien ».
Quatre mois de flou
A la dérive depuis plusieurs années, c’est en septembre dernier que le ciel de la compagnie s’est définitivement obscurci. Le 5 septembre, on apprend que ses deux appareils sont bloqués à l’aéroport de Paris-Orly par décision de justice. La société américaine de leasing ILFC, chargée du prêt des avions à Air Mauritanie, porte plainte pour non-paiement d’arriérés et ordonne la saisie des Boeing. Le montant de l’ardoise est sans appel : 1,8 milliards d’euros. Privée appareil, la compagnie continue néanmoins de vivoter, affrétant quelque temps des avions étrangers pour acheminer ses derniers clients. L’opposition politique mauritanienne monte au créneau pour empêcher la liquidation, on annonce d’hypothétiques plans de sauvetage… mais rien n’y fait : Air Mauritanie s’enfonce dans la crise. Ses salariés sont mis au chômage technique le 12 octobre. Une procédure qui, selon la loi, ne peut excéder trois mois. « Nous avons survécu parce que nous vivons en Mauritanie, explique en souriant l’ancien chef-comptable Mamadou Lamine N’Gaïdé. Ce sont nos familles qui nous ont soutenus financièrement ».
Les salariés d'Air Mauritanie ont décidé de poursuivre leur sit-in dans les locaux de la compagnie à Nouakchott, jusqu'au paiement de leurs indemnités de licenciement. Le liquidateur a dix jours pour verser aux employés 70% de leurs droits.
(Photo : Manon Rivière)
Fatigués, les salariés n’en restent pas moins déterminés. « Aujourd’hui, ce que nous voulons, c’est être indemnisés, martèle le représentant syndical Hassan ould Deidi. Nous sommes même prêts à descendre dans la rue ! Non pas pour troubler l’ordre public, mais pour faire respecter nos droits. Nous en appelons d’ailleurs au président de la République, le sage Sidi Mohamed ould Cheikh Abdallahi ». Les représentants du personnel ont contacté le cabinet d’avocat de Sidi el Moktar, à Nouakchott. Ils ont aussi sollicité l’appui juridique d’associations de pilotes et de mécaniciens en France et au Canada.
En attendant de toucher leurs indemnités, les 400 salariés d’Air Mauritanie ont commencé à chercher un nouvel emploi. Le personnel qualifié frappant massivement à la porte de Mauritania Airways, la nouvelle compagnie, en service depuis novembre dans le pays, et dont Tunisair est l’actionnaire majoritaire. « En effet, nous avons commencé les entretiens, confirme Moncef Badis, le directeur général de Mauritania Airways. Nous comptons embaucher dans un premier temps six pilotes et six commandants de bord, ainsi que les mécaniciens ». L’avenir semble moins rose pour le personnel administratif, pléthorique au sein de la défunte compagnie nationale. Même si le ministère des Transports se montre rassurant : « A la demande du gouvernement, l’Agence nationale pour l’emploi travaille à la réinsertion professionnelle des employés les moins qualifiés », confie Ahmed ould Lefghih, le secrétaire général du ministère.
Un cabinet d’audit britannique est également présent dans la capitale mauritanienne ces jours-ci. Mandaté par les autorités et par un grand groupe privé qatari, il doit rendre une étude d’ici deux mois et demi afin de voir si la compagnie ne pourrait pas renaître, sous une forme ou une autre. Le phoenix « Air Mauritanie » n’est pas encore totalement mort.