Article publié le 24/01/2008 Dernière mise à jour le 24/01/2008 à 22:09 TU
Deux semaines après sa libération, l’ancienne otage des FARC en Colombie a accordé à RFI son premier entretien avec un média international. Dans cette interview, réalisée à Madrid, où elle participe à un congrès international de victimes du terrorisme, elle confirme qu’elle a été séparée d’Ingrid Betancourt en octobre 2005 et que les dernières images de celle dont elle était la directrice de campagne l’ont inquiétée. Elle lance à Ingrid un appel au courage : « il y a beaucoup de gens qui l'aiment et qui agissent pour qu'elle puisse revenir ».
RFI: Comment vous sentez-vous, Clara?
Clara Rojas : Je me sens heureuse car je renais, c'est un retour à la vie et, bien sûr, ce qui m'a le plus motivée, c'est de retrouver mon fils. J'en suis ravie et la manière dont il répond est fascinante. Il va de mieux en mieux chaque jour. Et, à mesure qu'il se rend compte de son importance et du rôle qu'il a joué dans cette affaire, ça l’enthousiasme énormément.
RFI: Après presque six années de captivité, vous avez laissé derrière vous d'autres otages. Que souhaitez-vous leur dire, en particulier à Ingrid Betancourt, avec qui vous avez partagé une partie de votre captivité?
CR : Je leur demande d'avoir du courage, car il y a une véritable action qui a été entreprise pour leur libération. J’ai participé mercredi à une réunion avec le président Zapatero et le président Uribe. Ils m'ont demandé ce que je pensais de la situation. Alors j'ai insisté sur la nécessité de parvenir à un accord avec des concessions de part et d'autre pour que les otages puissent être libérés rapidement.
Il y a sur la table la proposition de l'Eglise catholique. Mais je leur ai fait part de mon inquiétude car il y a des versions un peu contradictoires. D'un côté, l'Eglise affirme avoir déjà établi un contact avec les FARC, mais les FARC affirment le contraire, du moins dans les communiqués que j'ai en ma possession. Je leur ai donc dit qu'il est important de s'assurer de l'existence d'un canal ayant un véritable contact avec les FARC.
Si l'Eglise a déjà pris contact, qu'elle le prouve, comme l'a fait en son temps Hugo Chavez. Car il faut savoir que les familles attendent. Il me semble donc qu'il faudrait faire des efforts plus importants pour favoriser un lien direct avec les FARC afin d'obtenir des résultats concrets, comme ce fut le cas, pour moi, pour mon fils et pour toutes les personnes finalement libérées. Il faut faire cet effort, car les otages vont mal, aussi bien physiquement que moralement, et notamment Ingrid d'après ce qu'on a vu sur les preuves de vie. Il est absurde qu'elle, qui en plus est une femme, doive porter un tel fardeau.
RFI: Quand avez-vous vu Ingrid pour la dernière fois? Quand avez-vous été séparées?
CR : Cela doit faire largement trois ans. C'était en octobre 2005 donc... deux ans et demi.
RFI: Vous veniez d'avoir votre enfant...
CR : Je venais de l'avoir effectivement. Nous venions de faire une « marche », comme ils disent, et c'est alors que nous avons été séparés en plusieurs groupes. Ingrid et moi, nous avons été placées dans deux groupes différents. Moi je suis resté dans le groupe où était mon fils et je n'ai dès lors plus eu de nouvelles d'elle jusqu'aux preuves de vie qui m'ont beaucoup inquiétée. Car on la voit très affaiblie, aussi bien physiquement que moralement. J'ai alors fait des démarches, j'ai parlé avec le président Chavez pour lui demander de faire quelque chose pour libérer Ingrid le plus vite possible. Car ce que je constate c’est que s'il y a eu réussite dans mon cas, c'est grâce au président Chavez. Il faut donc dépasser les divergences et essayer de faire le nécessaire pour libérer les otages qui restent. Il semble que la Croix Rouge Internationale fera aussi une mission. Mais plus qu'établir un contact avec les otages, il vaudrait mieux trouver le moyen de tous les libérer, une fois pour toutes.
RFI: Après six années de captivité, on est surpris de vous trouver aussi fringante. Nous avions tous été impressionnés en découvrant votre bonne mine le jour de votre libération.
CR : J'ai bien sûr aussi un poids, mais j'ai pu m'en dégager en faisant un... effort. Depuis longtemps je m'étais faite à l'idée qu'un jour je retrouverais mon enfant et qu'alors il faudrait que je sois au mieux. Alors j'ai fait beaucoup d'efforts pour être bien, au moins avoir le moral. Mon enfant doit être bien traité aussi et il nous faudra un peu de temps et de tranquillité à tous les deux pour pouvoir récupérer. Mais bon, en attendant nous profitons vraiment de cette première étape de joie, de ces retrouvailles avec la liberté.
RFI : Et maintenant, vous avez choisi de venir en Europe, mais avec votre fils et votre mère, quelques jours après vos retrouvailles...
CR : Bien sûr. Ma mère s'était engagée depuis longtemps à participer à ce congrès. Elle voulait donc venir pour honorer son engagement. Et comme ils ont étendu leur invitation à mon fils et à moi même, nous avons accepté de faire l'effort de venir. Et cela s'est révélé très utile, car on a pu accélérer les démarches pour obtenir les papiers de mon fils. Résultat, j'ai tous les documents le concernant, et cela me réjouit.
RFI : Avez-vous un message à adresser à Ingrid Betancourt ?
CR : Qu'elle soit rassurée, qu’ici il y a beaucoup de gens qui non seulement l'aiment mais qui agissent concrètement pour qu'elle puisse revenir. J'ai même déjà établi des contacts préliminaires avec le gouvernement français pour me rendre en France. Il était même question que j'y aille ce week-end, mais des problèmes de papiers et un contrôle médical qui m'attend m’obligent à faire ce voyage un peu plus tard…
J’y rejoindrai les comités Ingrid Betancourt. Ils m'ont contactée dès ma libération, m’envoyant un historique de leur action. C'était très beau. Il y a donc plein de gens qui travaillent pour elle. Ingrid doit avoir la certitude que, en ce qui me concerne, je continuerai à faire tout ce qui est en mon pouvoir. Lorsque je rencontre quelqu'un, la première personne que j'ai à l'esprit c'est elle. Avant-hier j'étais au Congrès espagnol et je me sentais bizarre car je sentais sa présence en écoutant tant de gens parler d'elle. C'est une femme si brillante qu'il serait formidable de l'avoir bientôt ici afin qu'elle nous raconte ce qu'elle a vécu.
Entretien réalisé par Véronique Gaymard
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« Ce que je constate c’est que s'il y a eu réussite dans mon cas, c'est grâce au président Chavez. Il faut donc dépasser les divergences et essayer de faire le nécessaire pour libérer les otages qui restent. »
24/01/2008 par Véronique Gaymard
24/01/2008 par Véronique Gaymard