Un membre du groupe d'autodéfense devant une maison incendiée.
(Photo : Stéphanie Braquehais/RFI)
De notre envoyée spéciale à Nakuru,
Stéphanie Braquehais.
A l’aube, au bord de la rue bitumée Harry Thuku, menant aux bidonvilles de Githima et Kaptembwa, des dizaines de jeunes, pangas (machettes) à la main, s’en prennent aux camions de commerce qui tentent de traverser l’embranchement. Le chauffeur d’un matatu, (bus kenyan) est extirpé avec violence de son véhicule et lynché par un groupe en liesse, qui hurle des injures, tout en le frappant avec frénésie.
A une centaine de mètres de là, des hommes de l’ethnie kalenjin et luo, armés de bâtons, d’arcs et de flèches ou de barres de fer, sont réunis en conciliabule pour organiser la contre-attaque. « Les Kikuyu nous empêchent d’emprunter la route qui mène au centre-ville, on ne peut pas aller travailler, explique un employé de l’industrie de savon de Nakuru. On veut les chasser de là, ce sont eux qui nous poussent à nous battre ».
Un de leurs chefs, appelé Koskei, un homme trapu au visage bonhomme qui répond sans cesse à son téléphone portable, s’adresse longuement en langue kalenjin à cette milice de quartier, formée d’une centaine de jeunes, qui l’écoute religieusement, tout en jetant de temps à autre un regard inquiet lorsque les cris « ennemis » semblent se rapprocher.
Ceux équipés de machettes ou d’arcs et de flèches doivent aller à l’avant du groupe, pour lancer l’offensive. Les autres, en retrait, sont censés incendier le plus de maisons et d’échoppes possible. « Mais attention, nous devons tuer silencieusement. Sinon, la police nous entendra… »
Un code est mis en place pour éviter de tuer les membres de son propre groupe : frapper deux bâtons l’un contre l’autre à deux reprises.
Pillages organisés
« Nous ne pouvons pas adopter un code verbal, car nous parlons des langues différentes, le luo, le kalenjin, le luhya. Il ne nous reste que le swahili, mais les autres le parlent aussi », énonce doctement Simon, âgé d’une vingtaine d’années.
« Vous savez en face, ils massacrent tout le monde! Nous, au moins, on a un peu plus de compassion », poursuit Simon.
L'intervention de la police quelques heures après le début des troubles.
(Photo : Stéphanie Braquehais/RFI)
Une dizaine d’entre eux se mettent rapidement au travail. Ils marchent avec nonchalance le long des chemins en terre et mettent le feu à des matelas, des petites bonbonnes de gaz ou de simples vêtements qu’ils trouvent à l’intérieur des maisons.
L’incendie prend facilement, aidé par le vent sec de la matinée. D’épaisses fumées commencent à s’échapper et des miliciens crient avec entrain: « no man’s land, no go zone ! (zone de non droit) », tout en entamant des pillages minutieux.
Deux hommes armés de pangas fracassent une commode et s’interrompent soudain en voyant passer une fillette d’à peine huit ans qui porte une valise sur sa tête. « Honte à toi ! » hurlent-ils en la menaçant avec leur panga. La petite, effrayée, évite les coups et s’enfuit en courant. Les deux hommes entreprennent alors de fouiller le butin qu’elle a abandonné dans sa course. Une valise remplie d’une paire de chaussures et de décorations de Noël, qu’ils jettent dans l’incendie.
Soudain, des rafales se font entendre. Les miliciens se mettent à leur tour à courir dans tous les sens. Quelques camions de police ont pris position à l’entrée du bidonville. Un groupe de vingt policiers tente de patrouiller, avec une réticence non dissimulée, à l’intérieur des quartiers, tirant sans cesse en l’air pour éloigner des foules inexistantes.
Dans l’après-midi, la zone est redevenue calme, en attendant la nuit propice aux attaques, en dépit du couvre-feu, imposé par les autorités depuis vendredi.
Kofi Annan dénonce les abus des droits de l'homme |
Devant la presse, l'ancien secrétaire général des Nations-unies s'émeut de la situation constatée sur place. « Nous avons vu des gens contraints de quitter leur situation, leur ferme », raconte Kofi Annan, « des grand-mères et des enfants sont à la rue ». Selon l'ancien patron de l'ONU, les violations des droits de l'homme sont graves et systématiques dans cette région de la vallée du Rift, et il ne s'agit plus, selon les témoignages recueillis par son équipe, de violences post-électorales, mais bien d'affrontements interethniques. Une situation qui fait dire à Kofi Annan que seule une solution sur le long terme est envisageable pour sortir de la crise. « Sinon, nous serons obligés de revenir au Kenya dans trois ou cinq ans », affirme l'ancien secrétaire général de l'ONU. Kofi Annan reconnaît qu'il faudra du temps pour ramener une paix durable dans le pays. « Nous ne pouvons pas rester ici indéfiniment », explique le médiateur, qui compte donc mettre en place un système permettant de poursuivre les négociations dans les prochains mois. C'est sur ce processus de dialogue que l'ancien secrétaire général des Nations-unies travaille et va travailler dans les prochains jours. Avec notre envoyé spécial à Nairobi, Raphaël Reynes. |
« Nous avons vu des violations graves et systématiques des droits de l’homme, j’ai vu des maisons détruites, j’ai vu des gens qui souffrent… »