Article publié le 31/01/2008 Dernière mise à jour le 31/01/2008 à 13:17 TU
En marge du sommet des chefs d'Etat africains qui s'ouvre aujourd'hui à Addis-Abeba, un mini-sommet parallèle était organisé mercredi dans la capitale éthiopienne par le colonel Kadhafi. Le président sénégalais Abdoulaye Wade assistait à ce sommet. C'est à la sortie de cette réunion qu'il a accordé un entretien à l'un des envoyés spéciaux de RFI à Addis-Abeba. Jean-Karim Fall a tout d'abord interrogé le président Wade sur le rôle de l'Union africaine dans le règlement de la crise au Kenya.
RFI : Monsieur le président, des centaines de Kényans ont été tués depuis l’élection présidentielle, que peut faire l’Union africaine ?
Abdoulaye Wade : Moi, je pense que d’abord, nous devons en parler. Et il est étonnant que cette question ne soit pas inscrite à l’ordre du jour. Mais moi, je vais demander que nous considérions cette question comme première question de l’ordre du jour. Il n’est pas acceptable qu’à côté, des milliers de gens meurent, que nous venions ici, repartions, sans faire entendre notre voix.
RFI : Quel genre d’initiatives l’Union africaine peut-elle prendre ?
Abdoulaye Wade : J’ai parlé tout à l’heure à Raila Odinga, qui m’a dit qu’il souhaite venir transmettre un message, un message au sommet. Moi, je pense que c’est un minimum que nous puissions faire. Certes, Monsieur Kibaki sera là officiellement, parce qu’aujourd’hui, c’est lui qui représente le Kenya. Mais étant donné ce qui s’est passé, il me semble que nous devrions entendre les deux. Donc, moi, je plaiderai pour qu’on lui (Odinga, Ndlr) permette de venir. Il a dit que dès qu’on lui fera signe, il viendra pour faire une communication ou transmettre un message au chef d’Etat.
Comme cette affaire dépasse les deux et prend des proportions qui détruisent même l’image de l’Afrique, car c’est l’image de l’Afrique qui est en jeu dans cette histoire du Kenya. On fait des élections… nous avons une commission qui est soi-disant chargée de veiller sur la régularité des élections, qui n’a pas pu prévoir des alternatives difficiles, et nous nous trouvons tous devant cette situation-là. Je pense que c’est un devoir pour nous d’appeler les deux et de les entendre.
RFI : Comment expliquez-vous le relatif silence de l’Afrique jusqu’à maintenant ?
Abdoulaye Wade : C’est que nous avons des institutions qui ne fonctionnent pas. Peut-être que la plupart disent : « On attend l’Union africaine, on attend un conseiller de paix et de sécurité, on attend telle ou telle institution africaine ». Moi, je pense que c’est cela. Je suis sûr que beaucoup de chefs d’Etat se rallieront à mon point de vue. On en discute. Moi, je propose qu’on envoie une commission d’au moins 5 chefs d’Etat pour aller entendre ; parce que Kofi Annan fait quelque chose de très bien, mais Kofi Annan, il le fait en tant qu’ancien secrétaire général des Nations unies. C’est très bien qu’il ait pris cette initiative
RFI : Donc, on peut imaginer qu’à la fin de ce sommet, une délégation de chefs d’Etat se rende à Nairobi ?
Abdoulaye Wade : Moi, c’est ce que je vais faire. Peut-être même que s’il n’y a pas de commission, moi j’irai. J’étais venu avec l’intention d’y aller parce que je suis en rapport avec Odinga.
RFI : Vous avez parlé de la crédibilité de l’Union africaine. Il y a en ce moment un audit qui va vous être soumis, à vous chefs d’Etat. Cet audit recommande un certain nombre de réformes. Est-ce que vous y êtes favorable ?
Abdoulaye Wade : L’audit est très bien. Je l’ai exprimé à ses auteurs qui sont venus me voir. Mais ce n’est pas le sujet, tout simplement. Aujourd’hui, la question n’est pas de passer des heures à discuter pourquoi l’Union africaine n’a pas fonctionné, pourquoi la Commission n’a pas fonctionné. Mais tout le monde le sait. Cette Commission n’a jamais eu d’attributions. On a nommé des commissaires, un président de la Commission ; ils n’ont aucune compétence. Ils n’ont pu intervenir sur rien, parce qu’ils n’ont pas de compétences. Ils n’ont pas de moyens. Donc, pourquoi aller perdre son temps ? On a fait un audit, c’est bien. On le garde comme un document. Mais ce qui est dedans, moi, je le savais, avant de le lire.
RFI : Alors, que faut-il faire pour relancer la machine ?
Abdoulaye Wade : Il faut que l’on passe directement à la discussion sur le gouvernement de l’Union qui a été proposé depuis longtemps, ce qui nous a amenés à créer plusieurs commissions, ce qui a fait que nous nous sommes retrouvés à Accra, pour décider que nous allions en discuter cette fois-ci à Addis. Donc, en fait cela devrait être la seule question, la question la plus importante. Parce qu’il y a des questions qui ont été évoquées à côté. Nous avons décidé d’ailleurs de demander qu’on les enlève de l’ordre du jour. Parce que venir jusqu’ici pour parler de l’industrialisation de l’Afrique ! Mais franchement, il faut n’avoir rien d’autre à dire ou à faire ! L’heure n’est plus à des discussions sur des thèmes, mais à l’action.
RFI : Je reviens sur cet audit, qui propose trois scénarios pour parvenir aux Etats-Unis d’Afrique : 9 ans, 15 ans, 35 ans... quel est votre choix ?
Abdoulaye Wade : Moi, mon choix c’est demain ! C’est demain ! Ce gouvernement-là, si on le met en place avec les compétences dans dix postes pour ses ministres, mais avec des compétences qui ne touchent pas le système actuel, c'est-à-dire que le président reste, le gouvernement reste, les institutions des Etats restent, les ministres des Affaires Etrangères restent, la diplomatie reste, on n’y touche pas.
RFI : La souveraineté reste ?
Abdoulaye Wade : La souveraineté, on n’y touche pas. On a identifié des domaines qu’on confie à des ministres qui n’ont aucun rapport avec la souveraineté.
Entretien réalisé par Jean-Karim Fall