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Turquie

Feu vert polémique pour le voile islamique dans les universités

Article publié le 07/02/2008 Dernière mise à jour le 07/02/2008 à 14:07 TU

Les parlementaires turcs lors du débat sur la réforme de la Constitution pour autoriser le port du voile islamique à l’université.(Photo : AFP)

Les parlementaires turcs lors du débat sur la réforme de la Constitution pour autoriser le port du voile islamique à l’université.
(Photo : AFP)

A une écrasante majorité, les députés turcs ont adopté mercredi en première lecture deux amendements constitutionnels autorisant le port du voile islamique à l’université. Le vote définitif de cette mesure, samedi, effacera un tabou que les défenseurs de la laïcité qualifient de « contre-révolution » sapant les réformes kémalistes.

De notre correspondant à Istanbul, Jérôme Bastion

C’est la « fin d’un interdit » ou « la liberté retrouvée pour les étudiantes » pour la presse de la droite religieuse ou nationaliste, quand les journaux libéraux évoquent « les tensions autour du turban » - comme on appelle ici le voile islamique – et s’inquiètent d’un possible « changement de régime ».

Le Premier ministre Tayyip Erdogan a eu beau promettre que la libéralisation du voile non seulement garantirait le principe de laïcité, mais le « renforcerait » même, l’argument ne lève pas les doutes, notamment ceux des kémalistes du Parti républicain du peuple (CHP). A preuve, l’ambiance électrique dans laquelle s’est déroulé ce premier débat, émaillé d’incidents de séance. Mais le parti historique de Mustafa Kemal Atatürk, s’est retrouvé bien seul pour défendre les valeurs de la République laïque fondée il y a 85 ans.

Pour le vice-président du groupe parlementaire du CHP, Hakkı Süha Okay, le constat aujourd’hui est déjà celui d’une « société entraînée vers un apartheid entre ceux qui marquent le jeûne et ce qui ne le marquent pas, entre ceux qui ont une femme voilée et ceux dont la femme n’est pas voilée...» Alors bien sûr, l’avenir est plus sombre après cette légitimation d’un « symbole de l’Islam politique » : « Qui peut garantir qu’il n’y aura pas de pressions sur celles qui ne portent pas le voile ?  », s’inquiétait-il à la tribune de l’Assemblée nationale. Ce coin dans le dogme de la laïcité constitue selon lui un dangereux précédent, ouvrant la voie à d’autres mesures « contre-révolutionnaires » L’accord passé entre le Parti de la justice et du développement (AKP au pouvoir) et le Parti de l’action nationaliste (MHP) limite cependant le port du voile au seules universités, et sa forme sera strictement codifiée.

Une première étape ?

Les deux partis, qui ont reçu pour l’adoption de cet amendement le soutien de la formation pro-kurde du DTP, ont négocié plusieurs jours durant pour définir au pli près la forme du voile qui sera autorisé dans l’enceinte des facultés. Ni la burka afghane, ni le çarsaf iranien, ni même le voile plissé et fermé par une épingle ne seront admis : seul un foulard noué sous le menton et ne descendant pas sur le front sera autorisé – comme c’est déjà le cas dans certaines institutions militaires, bien obligées d’accepter des visiteuses ayant la tête couverte…

Le journal kémaliste Cumhuriyet rapporte en une que le gouvernement aurait déjà préparé des circulaires élargissant le champ d’application de cette libéralisation du voile à des examens pour rentrer dans la fonction publique, et s’apprête à le faire aussi entrer au parlement, alors qu’une élue avait été déchue de ses droits pour s’être présentée voilée dans l’hémicycle, il y a 10 ans.

« Vous n’êtes pas sincères ! », a rétorqué au nom de l’AKP le président de la Commission des lois, Burhan Kuzu. « Le débat ne sera pas refermé avec le vote du parlement samedi », prévoit le politologue et islamologue Rusen Çakir, et même « il ne fait probablement que commencer ». Car « on va assister à une ruée de jeunes filles voilées dans les universités », et en outre « il y a de fortes chances que l’application de cette mesure pose un certain nombre de problèmes, des recteurs ou des professeurs se refusant à entériner et respecter ces dispositions ».

Pourtant, malgré une forte mobilisation des recteurs d’Université réunis la semaine dernière en conférence inter-universitaire pour prévenir effectivement qu’ils s’opposeraient à l’initiative du gouvernement, des centaines d’académiciens ont, eux, apporté leur soutien public à cette mesure, au nom des libertés individuelles et du droit à l’enseignement. Mais pour les kémalistes, il n’est pas question d’accepter la moindre mesure menant progressivement à l’instauration de la Charia, la loi coranique. Et le CHP a promis d’introduire un recours en annulation devant la Cour constitutionnelle dès que l’amendement sera adopté, samedi.

Djenguiz Aktar

Professeur de sciences politiques et directeur du Centre pour l'Union européenne à l'université de Baché Cézir

« La République turque est-elle suffisamment laïque, je n’en sais rien. (…) Cette affaire crée des tensions sans précédent en Turquie et on ne sait pas comment cela va évoluer (…) En tout cas, les femmes non voilées, elles, sont extrêmement inquiètes ».

07/02/2008