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Hubert Védrine : «Au Tchad, la France a adopté une attitude raisonnable et prudente»

Article publié le 07/02/2008 Dernière mise à jour le 07/02/2008 à 16:39 TU

Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin.(Photo : AFP)

Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères de Lionel Jospin.
(Photo : AFP)

Hubert Védrine, l'ancien ministre français des Affaires étrangères, analyse les causes de la guerre qui a frappé le Tchad ces derniers jours. Avec Christophe Boisbouvier de RFI, il revient sur la « méthode » utilisée par le président Sarkozy lors de ce conflit qui, selon la Croix-Rouge, a fait au moins 160 morts et un millier de blessés. De plus, 35 000 réfugiés tchadiens se trouvent actuellement au Camroun. Hubert Védrine publie dans deux mois, avec Pascal Boniface, un Atlas du monde global, chez Fayard et Armand Collin.

RFI : Hubert Védrine, pourquoi le Tchad n’est-il jamais en paix ?

Hubert Védrine : Il fait partie des pays de cette région de l’Afrique où l’Etat n’a jamais réussi à se structurer véritablement. Donc, il y a des rivalités régionales, ethniques, sociales, plus ou moins attisées selon les moments par les voisins, et d’autre part, je pense que la découverte du pétrole au Tchad n’a pas favorisé la stabilité en réalité, mais plutôt fait monter les enjeux.

RFI : Quelle est la cause première de cette dernière guerre particulièrement meurtrière ?

Hubert Védrine : Il me semble que c’est l’utilisation par le Soudan de mouvements de rébellion qui existaient, que le Soudan n’a pas inventés, mais enfin qui étaient là disponibles, que le Soudan a réussi d’ailleurs à réunifier. Il y en avait trois, le Soudan cherchant à retarder ou à compliquer le déploiement de l’Eufor, qui serait de nature à le gêner. Donc, je crois que c’est cette combinaison que l’on trouve d’ailleurs souvent, malheureusement, dans les pays d’Afrique, entre des dissensions internes et des utilisations par les pays voisins.

RFI : Le Soudan accuse Idriss Déby de soutenir les rebelles du Darfour. Est-ce que cela n’a pas joué ?

Hubert Védrine : Oui, c’est probable. Il y a beaucoup de pays justement où il y a des soutiens croisés à la rébellion du voisin, mais qui est plus ou moins forte selon les moments. Donc, sur le fond, oui, mais pourquoi à ce moment-là ? Bien-sûr, c’est lié à la volonté française de bâtir une force européenne, (ce qui est devenu l’Eufor) pour essayer de stabiliser la région. La région du Darfour est la région voisine du Tchad, tout est lié.

RFI : Quand les rebelles sont entrés en ville, samedi dernier, ils ont été acclamés dans certains quartiers. Est-ce qu’il n’y a pas des causes internes ?

Hubert Védrine : Oui, une combinaison. Ce n’est pas un corps expéditionnaire soudanais. Ce sont les Soudanais qui ont favorisé et soutenu des mouvements de rébellion interne. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois qu’à partir du Soudan, il y a des opérations visant le Tchad, bien-sûr. Mais, s’il n’y avait pas des mécontentements internes, à la fois de nature politique, sociale et économique, l’influence soudanaise n’irait pas loin.

RFI : Idriss Déby a fait réformer la Constitution tchadienne pour pouvoir se représenter en 2006. Est-ce qu’il n’y a pas un problème de démocratie ?

Hubert Védrine : Oui, sans doute, la démocratie est une longue construction. Peut-être que l’on s’est fait des illusions à une époque, notamment après le discours de La Baule, sur la possibilité d’introduire rapidement les formes de la démocratie actuelle, auxquelles nous sommes attachés. Au fond, on a peut-être eu des illusions un peu comparables à celles des Américains plus tard, à propos de la transposition de la démocratie.

Il n’empêche que c’est un processus dans lequel il faut avancer. Mais cela ne se fera pas du jour au lendemain. Donc, il y aura des avancées et des reculs, des travestissements, des instrumentalisations des progrès démocratiques à un moment donné. Mais je ne crois pas que ce soit une raison pour douter de l’orientation générale, d’autant que les Africains eux-mêmes continuent d’y aspirer.

RFI : Samedi dernier, pendant la bataille de Ndjamena, la France est restée spectatrice, au risque de laisser gagner les rebelles. Est-ce que ce n’était pas un jeu dangereux ?

Hubert Védrine : Vous savez, on critique la France à peu près tout le temps dans toutes ces histoires africaines, qu’elle intervienne ou qu’elle n’intervienne pas, qu’elle intervienne à moitié. Moi, je ne trouve pas que la crise soit mal gérée, du point de vue de la France. La France n’est pas tenue d’intervenir. Le type d’accord qu’elle a avec le Tchad ne lui en fait pas obligation. Elle s’occupe de ses ressortissants ou de toute personne d’ailleurs  - pas uniquement des ressortissants français – mais qui seraient mis en danger par les combats, pour pouvoir les évacuer ; c’est très bien.

C’est ce que feraient également d’autres puissances. Ce n’est pas critiquable. Pour le reste, elle a adopté une attitude que je trouve raisonnable et prudente. Il y a maintenant une décision du Conseil de sécurité qui lui permettrait de s’engager plus. Il faut souhaiter que ce ne soit pas nécessaire. Mais je ne trouve pas qu’il y a à critiquer ce qui a été fait jusqu’au moment où nous parlons.

RFI : Samedi, la France n’est pas intervenue, mais trois jours plus tard, mardi, Nicolas Sarkozy a déclaré : « Si la France doit faire son devoir, elle le fera ». Est-ce que ce n’est pas un changement de cap ? Est-ce que ce n’est pas un discours néocolonial ?

Hubert Védrine : Non, parce que cela s’appuie sur la décision du Conseil de sécurité. Donc, il y a un élément différent, il y a un feu vert donné, il y a une éventuelle intervention française si c’était nécessaire. Donc, c’est à partir de là que le président fait cette déclaration. Et je crois, je pense, j’imagine qu’il l’a fait dans un esprit dissuasif et non pas offensif.

RFI : A quelles conditions, la France pourrait-elle intervenir dans ce confit ?

Hubert Védrine : Si la France devait intervenir, comme on est plus à l’époque des interventions ponctuelles unilatérales, quand on le fait – même si c’est pour des raisons purement humanitaires – on voit que c’est des polémiques sans fin, c’est mal interprété, etc… Donc, ce serait des conditions strictement encadrées par le droit international et par une décision du Conseil de sécurité.

RFI : Il y a deux ans, Jacques Chirac avait fait tirer un coup de semonce au devant d’une colonne rebelle qui avançait vers Ndjamena. Cette année, rien du tout, est-ce qu’il y a une rupture ?

Hubert Védrine : L’élément nouveau, il y a un changement de président, donc il peut y avoir un changement de politique sur ce point, et l’élément nouveau, c’est que la priorité française, devenue un objectif européen important, c’est le déploiement d’une force : l’Eufor, dont nous parlions. Donc, cela explique peut-être une attitude différente.

RFI : Il ne fallait pas donner d’arguments aux Anglais et aux Allemands qui pensent qu’Eufor n’est pas neutre ?

Hubert Védrine : Il y a une réticence des autres Européens ; soit ils pensent que ce n’est pas neutre, ou en tout cas, ils pensent que sur le terrain, l’Eufor risque d’être entraînée contre son gré, dans un camp, contre un autre. Donc, il s’agit bien de montrer qu’il ne s’agit pas de cela.

Entretien réalisé par Christophe Boisbouvier