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Russie

Poutine sur la sortie… pour mieux revenir

par Piotr Moszynski

Article publié le 14/02/2008 Dernière mise à jour le 14/02/2008 à 19:53 TU

Vladimir Poutine (droite) avec Dmitri Medvedev.(Photo : AFP)

Vladimir Poutine (droite) avec Dmitri Medvedev.
(Photo : AFP)

Lors de sa dernière conférence de presse en tant que président russe, Vladimir Poutine n’a pas résisté au plaisir de «montrer ses muscles», aussi bien sur le plan intérieur qu’international. Il s’est posé en futur Premier ministre fort de son probable successeur, Dmitri Medvedev, et a martelé que la Russie se défendrait contre toute « menace » de l’extérieur.

Un véritable bouquet final. C’est ce que le président russe, Vladimir Poutine, a préparé pour environ 1 300 journalistes réunis à sa dernière conférence de presse comme chef de l’Etat. Feux d’artifice soigneusement choisis, notamment du point de vue de l’élégance et du sens de l’humour.

D’abord, la politique énergétique. Les Etats-Unis et l’Union européenne tentent-ils de diversifier leurs sources d’approvisionnement en matière énergétique et de contourner le territoire de la Russie  en construisant de nouvelles voies de transport pour réduire leur dépendance vis-à-vis des livraisons russes ? Selon Poutine, c’est « une politique incorrecte, stupide, voire non-professionnelle » et la façon dont l’Otan en discute est « clairement inamicale envers la Russie ». Laisserait-il ainsi entendre que, pour le Kremlin, la seule politique amicale consiste à en être dépendant ?

Excès de langage

Ensuite, la démocratie. L’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE) annule-t-elle sa mission d’observation de l’élection présidentielle en Russie car Moscou ne lui permet pas de déployer ses experts suffisamment à l’avance pour que les observateurs puissent faire leur travail correctement ? En réponse, un bon conseil de Poutine : « Qu’ils restent chez eux à apprendre à leurs femmes à faire la soupe  aux choux ! ».

Et pour ne laisser plus aucun doute sur l’immensité de son mépris envers ceux qui auraient l’audace de douter du parfait état de la démocratie dans son pays, Vladimir Poutine ajoute que ce n’est surtout pas « une organisation dont le nom sonne si mal à l’oreille russe, Bdiptch » qui pourra « lancer un ultimatum à la Russie ». Allusion au BIDDH, l’instance de l’OSCE chargée de l’observation des élections en Europe. Son acronyme se prononce « Bdiptch » en russe, ce qui rappelle aux compatriotes de Vladimir Poutine le son du pet. Subtil !

Enfin, la situation personnelle du président. Plusieurs médias russes et occidentaux osent-ils citer un analyste russe, Stanislav Belkovski, qui affirme que Vladimir Poutine aurait accumulé 40 milliards de dollars de fortune personnelle depuis son arrivée à la tête de l’Etat en 2000, ce qui en ferait l’homme le plus riche d’Europe ? Pour l’intéressé, la provenance de ces « racontars », de ces « absurdités », est claire : « Ils ont sorti tout cela de leur nez et l’ont étalé sur ces torchons ».

Au-delà du côté anecdotique de ces excès de langage, qui risqueraient de mettre fin à la carrière de n’importe quel homme politique occidental s’il osait s’exprimer ainsi, une question politique plus sérieuse se pose : pourquoi le chef de l’un des plus puissants Etats de la planète, membre du G8 et du Conseil de sécurité, décide d’avoir recours, devant des centaines de journalistes du monde entier, à ce style de comportement ? L’objectif politique semble facile à déchiffrer. Il s’agit de dire aux Russes : Vous voyez, notre pays est tellement fort que je peux me permettre de dire tout ce que je veux et comme je le veux – et personne n’osera me faire de reproches, même si je les mérite.

Homme fort

Si l’on en croit les sondages et les spécialistes, les Russes semblent adorer ce côté « homme fort » de Poutine. Ceux qui souffrent de la perte du sentiment de puissance à l’issue de la chute de l’Union soviétique, s’identifient facilement à lui pour retrouver ce sentiment. Et Poutine lui-même continue sur cette même ligne pour préparer ses compatriotes à son nouveau-ancien rôle et son nouveau-ancien positionnement dans les structures de l’Etat. Il confirme donc sa volonté de devenir Premier ministre de Dmitri Medvedev, très probable futur président.

Lors de sa conférence de presse, Poutine a très clairement annoncé un glissement du centre de gravité du pouvoir, du Kremlin à la Maison Blanche, siège du gouvernement.  « Le pouvoir exécutif suprême dans le pays – explique-t-il – c’est le gouvernement russe et le chef de gouvernement ». Pour mémoire, rappelons – car peu de gens s’en souviennent – que l’actuel chef du gouvernement russe s’appelle Zoubkov et manifestement, mêmes les Russes ordinaires auraient du mal à dire de quoi il s’occupe exactement.

Mais tout indique que très bientôt, personne n’aura de doutes sur le nom et le champ d’action du Premier ministre car il s’appellera Poutine et deviendra sans doute le premier personnage de l’Etat. Selon le futur chef de gouvernement, la Constitution russe offre à celui-ci « de larges prérogatives », comme « la formation du budget », « la défense et la sécurité du pays » ou encore « la politique économique internationale ». Bref, à peu près tout ce qui compte.

Tout en voulant rassurer ses concitoyens, Poutine s’est montré en même temps assez menaçant par rapport à l’Ukraine, à la Pologne, à la République tchèque, à l’Otan et à l’Occident en général. La Russie, selon lui, sera obligée de pointer ses missiles sur les pays qui oseraient accueillir de nouvelles bases de l’Otan. Toutefois, il a tout de suite atténué la portée de ses propos en soulignant que cela ne se ferait qu’en cas d’ « extrême nécessité » et qu’en tout état de cause, la Russie ne planifiait aucun conflit avec l’Occident.

On peut en conclure que ses menaces étaient destinées principalement à faire pression sur les Ukrainiens. Les autorités à Kiev se préparent à une nouvelle étape d’adhésion à l’Otan, alors que les divisions dans le pays à ce sujet sont très aiguës. Renforcer la frange de la population opposée à cette adhésion ne pourrait qu’arranger la Russie.