Article publié le 18/02/2008 Dernière mise à jour le 18/02/2008 à 22:01 TU
De notre correspondante à Islamabad, Nadia Blétry
Dans la plupart des villes du pays, le scrutin s’est déroulé paisiblement. Quelques incidents sporadiques ont eu lieu et fait plusieurs victimes. Sept bombes ont explosé dans le Nord-Ouest et dans la vallée de Swat, où la talibanisation a gagné du terrain ces derniers mois. Mais ces déflagrations n’ont pas fait de victime et aucun attentat meurtrier n’a endeuillé le pays.
C’est souvent en famille que les Pakistanais se sont rendus dans les bureaux de vote. Hommes et femmes ont participé au suffrage dans des espaces séparés et se sont retrouvés à la sortie des urnes. Dans un village en périphérie d’Islamabad, Iridj, qui porte sa fille dans ses bras, est assise dans une camionnette avec six autres femmes. Il lui reste un long chemin à parcourir avant de rentrer chez elle. Elle brandit fièrement son pouce tâché d’encre, signe qu’elle a bien glissé son bulletin dans l’urne : « Aujourd’hui tout s’est bien passé, il n’y a pas eu d’incident. Dieu nous a protégés pour ces élections essentielles pour l’avenir du pays ».
Beaucoup de Pakistanais ne croient plus en leurs élites politiques
L’enjeu de ces élections législatives est en effet crucial pour le régime en place. Le 6 octobre dernier, ce sont des parlementaires qui avaient reconduit Pervez Musharraf dans sa fonction présidentielle. Lundi, c’est la rue qui s’est exprimée en se rendant dans les 64 000 bureaux de vote. Mais apparemment nombreux sont les électeurs qui ne se sont pas déplacés, trop effrayés par les risques d’attentats. Les quelques 81 000 soldats déployés par le gouvernement pour ce scrutin, jugé à haut risque, n’auront pas suffi à rassurer les électeurs.
Beaucoup de Pakistanais ont également décidé de s’abstenir parce qu’ils ne croient plus en leurs élites politiques. Comme cet ancien officier en retraite qui préfère garder l’anonymat pour des raisons de sécurité : « Moi je ne suis pas allé voter. J’ai longtemps soutenu le président Musharraf mais il m’a vraiment déçu et aujourd’hui, je ne vois plus aucun candidat compétent. De toute façon, la justice a été confisquée par nos dirigeants. Et tant que la justice n’est pas réhabilitée, il ne peut y avoir d’élections libres », dit-il avec dépit, préférant cultiver son jardin plutôt que de participer à l’avenir d’un pays, qu’il estime, joué d’avance.
D’après les premières estimations, le taux d’abstention pourrait être plus élevé encore que celui des législatives de 2002 qui ne comptabilisait que 42% d’électeurs. Mohamed Mirza a, lui aussi, choisi de ne pas voter mais il a décidé de ne pas rester chez lui. Devant le bureau de vote de Loihber, un village à proximité de la capitale, il prend à partie les électeurs. « Pourquoi aller voter ? C’est une farce. Tous nos politiciens sont corrompus ». L’homme se calme quelques secondes avant de voir arriver une camionnette bardée de drapeaux verts sur lesquels on devine une bicyclette. Le symbole du parti présidentiel. « Celui-là c’est le pire de tous, qu’il démissionne et nous laisse en paix », hurle l’homme à l’adresse des sympathisants du régime en place.
Fragilisé, Musharraf appelle à l'unité
Les critiques à l’égard du chef de l’Etat ne viennent pas uniquement de la rue. L’opposition, donnée largement gagnante par les sondages pré-électoraux, ne masque pas sa défiance quant à l’organisation même du scrutin. « Il est plus que clair qu'un plan massif de truquage est à l'œuvre », a annoncé Nawaz Sharif, l’une des principales figures de l’opposition. L’ancien Premier ministre, renversé par Pervez Musharraf lors de son coup d’Etat en 1999, a dores et déjà appelé à des manifestations massives si le résultat des législatives devait être trop ostentatoirement favorable au parti présidentiel.
De son côté, le président, extrêmement fragilisé ces derniers mois pour avoir pris une série de mesures impopulaires, a appelé à l’unité et affirmé qu’il était prêt à une collaboration « harmonieuse » avec les vainqueurs des urnes. Une manière à peine voilée de chercher de nouvelles alliances et de laisser ouvertes toutes les opportunités.
Lundi, dans la nuit, des chaînes de télévision privées pakistanaises annonçaient que les partis de l’opposition étaient en bonne position dans ce scrutin. Si ce scénario devait se réaliser et que l’opposition décidait d’unir ses forces, elle pourrait occuper les deux tiers des sièges de l’Assemblée. Et mettre la position du chef de l’Etat en péril. Lundi, à la clôture du vote, les grandes figures de l’opposition ont annoncé qu’elles appelleraient à des manifestations massives si les résultats étaient trop ostentatoirement favorables au parti présidentiel.